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Maps of the lost city of EREWHON
The more you look the more you see
From ashes to ashes
Blue mosaics
BLUEISH FANTASY
WHITE MACHINE
RED CANDLE
Chronique – 28
De la philanthropie, du fisc, des autruches volantes et des marmottes gracieuses
Avant de prendre le taxi pour l’aéroport de Copenhague et voler en direction de Bangkok nous avons profité des quelques heures libres que nous avions pour déambuler dans les allées bouillonnantes de vie, nous inspirer du marché aux fleurs, humer les parfums profiter des sonorités, apprécier les temples dorés et nous réjouir du spectacle de la rue et du fleuve.
Près d’un temple danois typique érigé en l’honneur d’une divinité inconnue à douze bras où une foule compacte se dirigeait en rangs serrés avec colonnes de fleurs et bâtonnets d’encens fumant et pas trébuchant pour un sou nous avons été interpellés par de sinistres individus. Il s’agissait de trois humains mâles d’environ 47 à 56 ans, glabres, de taille moyenne mais pas trop ni trop peu, portant hauts de forme, costumes de soirées, plastrons blancs, et chaussures jaunes et rouges avec lacets mauves et brillants. Ils étaient entassés dans un tricycle motorisé typiquement danois que l’on appelle ici schtouckschoutck et sur la toile cirée servant de plafond de laquelle on avait saucissonné une autruche visiblement volante.
Ces individus se sont adressés au Yéti anarchiste dans un premier temps puis à moi dans un second, temps aussi, très beau par ailleurs. Voici ce qu’ils nous ont dit en danois traduit automatiquement en français, papou et anglais par l’intermédiaire de deux portables qu’ils portaient dans une cage métallique prévue à cet effet :
« Par les pouvoirs qui nous ont été conférés par la loi majeure de protection des droits des poissons, des humains et des autres sans distinction aucune si ce n’est celle du pouvoir et de ce qui ne se dévoile que prudemment, nous tenons à vous signifier un attendu qui ne s’attend pas et ne s’entend que comme une admonestation à payer sur le champs les 99 pour cent d’imposition sur les sommes non déclarées au titre d’une contribution humanitaire d’un Yéti anarchiste qui s’est enrichi par des biais probablement licencieux et s’est épanché dans les médias pas forcément libres, objectifs et généreux ce que l’avenir et Wikileaks prouveront en temps utile et opportun en annonçant à la crédulité publique la cession de la moitié d’une fortune dite considérable dont il ne possède certainement pas le moindre sou en vertu de nos recherches certifiées conformes par un collège de scrutateurs indépendants du ministère du bien-être public ».
Ils ont continué de cette manière :
« Par les mêmes pouvoirs nous tenons à ramener vers vous un animal qui ne saurait exister puisque les autruches ne volent pas et en application stricte d’une directive européenne concernant le trafic des animaux sauvages de catégorie 345z nous vous signifions une amende de 1726 eurodollars augmentée de 1200% en raison de la circulation de données fausses et non avérées concernant des faits dont la nature a été contredite par les autorités les plus justes, sures et dignes de foi confirmant ainsi qu’une autruche ne saurait voler même si on devait trouver une exception à cette règle. En conséquence de quoi, nous vous enjoignons à régler ces sommes immédiatement, à renommer l’animal concerné selon une terminologie appropriée, proposer à l’institut de la propriété publique intellectuelle et morale des options à cet égard, chacune valant 432 euroyuangs, défendre ces propositions devant un collège de philanthropes bienheureux et aimables suite à quoi l’utilisation de ce mot sera légalisée à votre compte et pour votre bien-être et celui des peuples dont il ne s’agit pas. »
Les trois individus se sont tus et conformément aux termes d’une loi dont j’ai oublié le saint nom ils ont chanté l’hymne du ministère de la santé financière et du bien commun des philanthropes nantis.
Nous avons profité de l’obligation qui leur est faite après chaque admonestation publique de rester ainsi immobile un minimum de trois minutes et trois secondes pour filer à toute vitesse et nous perdre dans la foule non sans avoir récupéré l’autruche volante.
Dorénavant pour faciliter les choses nous l’appellerons marmotte gracieuse, c’est dit !
Nous avons pris un bateau à moteur arrière ce qui est mieux pour avancer qu’un moteur avant, surtout en allant vers l’amont, et nous sommes perdus dans la nature urbaine. Nul doute que les trois représentants agréablement chaussés nous suivrons. Nous sommes à nouveau en fuite et essaierons de rejoindre le plus rapidement possible un aéroport pour avions volants et non trébuchants et si ce n’est pas possible nous nous contenterons d’un aéroport souterrain et prendrons le métro pour Bangkok ce qui risque d’être passablement plus long.
Chronique – 18
D’une étrange rencontre et de ses conséquences
Je dois admettre qu’il m’est arrivé une bien étrange chose aujourd’hui, une chose si bizarre que si cette chronique elle-même ne l’était pas déjà à maints égards on pourrait la considérer comme un brin surréaliste.
De fait, cela a commencé la semaine dernière lorsque j’ai fait la connaissance d’une serveuse du restaurant d’en face, le fameux Prince des Galères un deux étoiles par le cousin de la patronne, lui-même astronome à la cour du prince régent. Nous avons eu l’occasion d’échanger deux ou trois mots en nous croisant dans la rue, guère plus, deux ou trois car d’une part le temps nous manquait et d’autre part elle est suisse alémanique et parle une langue que je ne comprends pas même lorsqu’elle s’exprime en anglais, la réciproque semblant visiblement similaire. Elle est très sympathique et je dois l’admettre fort jolie. Elle est manifestement fort croyante et pratiquante, une croix en or pendant constamment sur son fort agréable pull-over en cachemire que je regarde souvent pour la beauté des dessins géométriques qui y sont représentés.
Aujourd’hui, je me suis décidé à l’inviter à prendre un café chez moi pour profiter de la vue sur la montagne, la mer et les étoiles, au choix, selon sa convenance. Elle m’y a rejoint avec son accent fort intéressant et un sourire à faire pendre le plus saint des saints. Nous avons conversé longuement, elle en allemand et moi en français, elle beaucoup moi peu, et avons souri bêtement plus de temps qu’il n’en fallait pour que la lune tourne trois fois autour de la cathédrale qui a bêtement trouvé intéressant de jongler avec ce satellite, aujourd’hui, maintenant, en ce moment, un comportement fort peu élégant je dois dire.
Bref, elle a parlé de choses et autres liées entre elles par des mots que je ne comprenais et par moments j’ai cru entendre le mot ‘saint’ quelque chose et j’ai souri niaisement en lui disant ‘athée’, car telle est ma religion. A chaque fois elle a souri en montrant sa tasse qui était encore pleine et je lui ai dit ‘santé’ et là elle n’a pas compris grand-chose mais a continué de sourire et moi aussi. Puis elle est partie et moi je suis resté… ou peut-être l’inverse, allez savoir car je n’ai plus rien vu, entendu ou dit dans les heures qui ont suivi.
Le problème est que mes co-locataires ont peu apprécié cette visite, pas du tout, absolument pas, vraiment pas, et respectivement. Le Yéti anarchiste a dit en substance que la révolution ne pourrait être accomplie avec un bourgeois qui s’entichait d’une jeune femme aux tendances politiques et philosophiques extrêmes. Le grille-pain, le réfrigérateur et l’extincteur se sont considérés particulièrement floués en me faisant remarquer que ma visiteuse était humaine, un comble ou alors une farce de bien mauvais goût m’ont-ils dit avec haussement d’épaules et claquement de portes à l’appui. Quant aux pingouins à lunettes roses ils m’ont fait remarqué que durant ma conversation fort sympathique avec un humain de sexe féminin aux jambes longues et la chevelure sans plume je n’avais pas fourni de l’effort visant à parler de Piero della Francesca, une ignominie si l’on songeait à la qualité picturale du songe de Constantin ou de l’Annonciation, des symboles qu’aurait sans doute appréciée la jeune nymphe au regard vitreux et au sourire sans bec.
Je n’ai rien dit songeant qu’il y avait probablement un peu de jalousie de leur part. Mais ceci a pris un tour surprenant lorsqu’ils se sont présentés solennellement avec leur chapeau à la main en me disant d’une seule voix : ce sera elle ou nous. Tu as une journée pour choisir. Et ils sont partis se promener dans la pluie et la boue.
Je ne sais pas vraiment que faire à ce stade mais je dois admettre une chose un peu particulière, ne m’en veuillez pas s’il vous plait, mais je suis si content dans mon appartement désert et sans bruit que je vais d’abord profiter de cette solitude avant de réfléchir plus avant. Du silence naîtra probablement la réflexion puis l’action puis la réaction puis je ne sais trop quoi. On verra.