De ce que l’on peut apprendre dans les Nouvelles Monarchiques et Périgourdines et d’une bêtise que j’ai peut-être commise…


De ce que l’on peut apprendre dans les Nouvelles Monarchiques et Périgourdines et d’une bêtise que j’ai peut-être commise…

 

J’imagine que vous n’avez pas dormi la nuit dernière et que votre journée s’est perdue dans les brumes lointaines dont je vous parle tous les jours par chronique interposée en l’attente des nouvelles informations dont j’aurais pu être le vecteur fort utile suite à la lecture des Nouvelles Monarchiques et Périgourdines datées de Noël dernier que Maria au regard si émouvant et profond que je m’y perds si souvent m’avait laissée en lecture.

 

Pour ma part, j’ai bien dormi, merci.

 

S’agissant des nouvelles en question, nada, rien, pas un traître mot d’intérêt général ou particulier, le vide absolu, les limbes les plus profondes, pas un atome dans le vide dont je vous parle, même pas un dixième d’atome, et que les astrophysiciens viennent me faire la guerre pour partager avec vous une telle inanité, qu’ils vrombissent du museau et arguent que dieu du ciel c’est faux, archi-faux, qu’il y a toujours même dans le vide absolu des atomes qui se baladent, plusieurs centaines par mètres-cube de soi-disant vide, d’accord, je prends note, mais je m’en fiche éperdument, passionnément, dérisoirement, ceci n’est pas leur problème, ni le mien d’ailleurs, dans les Nouvelles Monarchiques et Picardes il n’y avait rien. Archi-rien.

 

Je pense que vous percevez un brin de désillusion et surtout d’énervement dans mes propos, et vous vous demandez nerveusement

 

(i) pourquoi ai-je pu bien dormir la nuit dernière ? et

(ii) quand est-ce que vous aurez le privilège d’en savoir plus sur ces évènements qui ont apparemment détruit une partie de cette ville et provoquer un carnage sans nom ?

 

Et bien à la deuxième question je répondrai ceci : je n’en sais rien, rien du tout, pas un chouia, pas le moindre début de quelque idée que ce soit, non, absolument rien, là encore un vide sidéral vidé de tous ses habitants atomiques ou quarkiens…

 

Quant à la première question, la réponse est la suivante : ceci ne vous regarde pas le moins du monde et si vous pensez que cela a quelque chose à voir avec un réconfort éventuel de la personne dont j’ai mentionné il y a quelques lignes ou minutes le nom et le regard, et bien, je vous laisse la responsabilité de vos pensées puisque de toute évidence je ne suis pas en droit, ou à l’envers, je dis ça comme cela, pour vous faire patienter un peu, de vous interdire de penser, quand même, ce sont des choses qui ne se font pas, je ne suis pas un conglomérat politico-militaro-industriel, je n’ai pas la possibilité de vous aiguiller sur de mauvaises pistes pour vous faire penser à autre chose qu’aux scandales du jour, à vous bassiner de nouvelles ineptes et ridicules pour vous faire oublier le reste, bonjour volcan, bonjour cousine de la fille de l’oncle du mari de la voisine de l’acteur principal de la série numéro un en Papouasie tropicale et andalouse, bonjour dernier film à la mode ou pas, bonjour crème solaire, bonjour petite biche toute jolie blessée par un méchant camion sur une méchante route de montagne, bonjour jolis soldats bien courageux du front occidental ou oriental, non, non, non, je n’ai pas ce pouvoir, bref, pensez ce que vous voudrez, je ne nierai ou ne confirmerai rien, sachez-le.

 

Bref, revenons à mes moutons, c’est-à-dire les évènements de l’année dernière dont nul ne veut me parler et au sujet desquels nous ne savons pratiquement rien si ce n’est que nos amis pingouins amateurs de Piero della Francesca, extincteur fort sage, autruche volante, flottante et trébuchante et grille-pain existentialiste ont avoué spontanément leur responsabilité et culpabilité pleine et entière, unique devrais-je immédiatement ajouter.

 

Chacun a déclaré avoir agi seul. Ne m’en demandez pas plus.

 

Ah si, je dois immédiatement ajouter qu’une vieille dame sourde s’est hier déclarée elle également responsable et coupable tandis que notre autre ami le Yéti anarchiste a été arrêté pour avoir incendié la bibliothèque municipale.

 

A ce rythme, les responsables et coupables uniques vont pulluler et il y aura bientôt plus de gens derrière les barreaux que devant.

 

Je lis et relis les Nouvelles Monarchiques et Pompéiennes et n’y trouve absolument rien.

 

Pas plus maintenant que ce matin ou cette nuit… Pour vous dire, j’ai même disséqué une heure durant une succession de treize nombres, 4, 75, 34, 12, 55, 3, 88, 45, 65, 32, 1, 44, 13, figurant en page 125 dudit document, les ai additionné, soustrait, multiplié ou divisé, les ai mis dans différentes équations et suites géométriques, ou algébriques, ai relu le Da Vinci code à l’envers pour essayer d’y trouver une clef à un code secret mais cela ne m’a mené à rien d’autant que j’ai plus tard constaté qu’il s’agissait de le loterie locale ayant rapportée trente mille écus-or au récipiendaire principal, Alexis Mathurin de Bluemenisl sur Herbe Tendre, ce qui franchement dans les circonstances ne m’est pas apparu comme très intéressant ou utile.

 

Ailleurs, il y avait des contes de Noël traditionnels, des fables d’Esope, d’Horace ou de ce brave et bon La Fontaine, et un très long essai sur la physique quantique telle qu’enseignée en primaire dans cette ville surprenante, ce qui, je dois l’admettre, m’a interpellé.

 

S’agissant d’évènements d’actualité, quelque chose qui aurait pu avoir un lien quelconque avec les incidents gravissimes de l’année dernière, rien, pas une phrase, pas une petite note de bas ou haut de page, si ce n’est des phrases ambiguës disant par exemple

 

La Comtesse de Saint-Just a expliqué avec virtuosité les différentes étapes de la confection des chapeaux ronds dont le niveau de production a atteint ces deux derniers mois le double du mois de Nivôse et a déclaré espérer retrouver un rythme normal dès ce printemps.

 

Les autruches sacrées de Bretagne ont été regroupées dans des centres de tri spécialement affectés à la protection des espèces nouvellement menacées et pour lesquelles les autorités ont indiqué qu’il fallait consentir un effort particulier compte tenu des circonstances.

 

Les procès pour corruption ou exhibition des hommes politiques de sexe masculin seront reportés sine die pour permettre d’absorber le trop-plein de ces derniers mois et faciliter l’élimination des goulots d’étranglement bien connus de nos lecteurs.

 

J’en passe et des moins bonnes.

 

Que dire ? Rien, je présume.

 

En passant près d’un stade en plein air sur lequel des jeunes gens pratiquaient un sport étrange mélangeant le rugby et le badminton, je me suis assis sur une tribune délaissée et ai regardé les jeunes se jeter les uns contre les autres avec ballons ovales et raquette légères utilisées tels des maillets et ai été rejoint par leur entraineur, une jeune femme au sourire léger comme un parfum de lavande.

 

Nous avons discuté de chose et autre surtout autre d’ailleurs. Elle me connaissait car notre petit groupe fournit un contingent important aux services pénitentiaires de la ville mais elle n’a pas paru particulièrement choquée.

 

A un certain moment elle a par exemple indiqué que : la situation doit être compliquée pour toi. Des amis qui se dispersent et se dénoncent, font des aveux et se rétractent, plaident systématiquement coupables et deviennent ensuite la risée de la foule et la cible d’attentats divers. Ce ne doit pas être très facile à vivre. Je compatis vraiment.

 

J’ai haussé les épaules de façon très masculine, signifiant quelque chose de parfaitement incongru et surprenant, vous auriez bien ri, quelque chose que l’on aurait pu traduire par : ne t’inquiète pas, tout est sous contrôle, tout est anticipé, tout est discuté, la stratégie est claire et suit un processus prédéterminé…

 

A la bonne heure, comme si quoi que ce soit était sous contrôle, surtout le mien…

 

Nous avons continué de discuter et bientôt les choses ont pris un tournant totalement bizarre et non anticipé.

 

Je ne sais pas comment j’expliquerai ceci à Maria…

 

Je me demande d’ailleurs si, compte tenu de ses propos dont je vous ai rapporté la teneur, je n’aurais pas dû pousser la conversation? Une erreur de plus j’imagine… et une profonde angoisse à l’appui.

 

Que vais-je dire à Maria…

 

J’imagine que je vais nier tout en bloc et dire que je n’y suis pour rien et que d’ailleurs je n’étais même pas là et que je ne connais pas cette fille du tout…

 

Je vous laisse, j’ai du travail à faire, façon introspection préventive.

 

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De l’incongruité de ce monde et l’impossibilité qu’il soit autre chose que le produit de l’imaginaire d’un auteur endormi…


De l’incongruité de ce monde et l’impossibilité qu’il soit autre chose que le produit de l’imaginaire d’un auteur endormi…

 

Qu’arrive-t-il à mes amis ?

 

Ce monde étrange dans lequel mon alter ego, l’auteur, nous a plongés est insupportable de cynisme et d’indifférence. Les qualités et travers de chacun et chacune y sont exacerbés à l’extrême, les sentiments sont confondus, entremêlés, les comportements bouleversés.

 

Je vous ai parlé du Yéti anarchiste que j’ai croisé l’autre jour, qui m’a à peine reconnu et s’est plu à m’expliquer, brièvement, ses activités actuelles, les fonds révolutionnaires qu’il avait créés et introduit en bourse et qui prospéraient pour le bénéfice de la cause, laquelle ?, et dont ils tiraient des avantages certains et une motivation galvanisante, pour lui en tout cas.

 

J’ai retrouvé hier, mais ceci était dans un tout autre registre, Maria, la femme au regard si profond et étrange que je m’y perdais si souvent, accompagnée de cette jeune femme au chemisier rouge, qui nous avait aidés lors de notre séjour dans cette mégalopole traversée de convulsions profondes, marquée au fer rouge par la peur, le chaos et les désordres de toutes sortes, et qui m’avait ensuite guidé dans ma traversée du désert.

 

Toutes les deux sont apparues dans cette réalité incongrue mais leur présence est, si j’ose m’exprimer ainsi, celle d’absentes.

 

Dans un monde qui n’est qu’un contenant sans contenu elles sont assises empreintes d’une profonde léthargie, silencieuses, immobiles, sourdes à mes paroles, apparemment apaisées, mais leur être trahi quelque chose qui n’est ni tranquillité, ni sérénité, ni sagesse. Il y a ces tics quasiment imperceptibles, ces mouvements subis et brusques des paupières, ces doigts qui tremblent légèrement, le froncement des lèvres qui papillonnent, le teint du visage tirant les nuances vers le clair voire le diaphane, les vaisseaux sanguins qui dans les yeux se découvrent en arbres hivernaux minuscules et rouges.

 

Je me suis inquiété mais nul ne m’a aidé.

 

Le grille-pain, assis sur mon épaule droite, tel un perroquet de bonne compagnie, a supposé la chose suivante : nous sommes clairement installés dans un monde superficiel, artificiel, de façades et décors sans fondements, il y a là création d’un auteur endormi, ton autre toi-même qui couve son imaginaire dans un sommeil triste sous des pingouins avachis et un Vermeer blanc. Nous sommes en quelques sortes des acteurs d’un monde qui n’est pas réel, pas véridique, simplement plausible. Celui ou ceux dans lesquels nous avons évolué jusqu’à présent n’étaient guère mieux mais ils étaient plus détaillés, mieux finis, plus crédibles. Celui-ci est brut. Une composition simple. Moins de nuances, moins de subtilité. Donc, Maria et la jeune femme sont là mais sans y être vraiment. De la même manière que les pingouins qui sont pourtant, au-delà de leur passion particulière pour Piero della Francesca, râleurs, pesteurs et piaffeurs, sont installés sur le dos de ton autre toi-même dormant et ne prononcent pas un mot. Ce pauvre Yéti qui s’est toujours fichu comme d’une guigne des honneurs et de l’argent ne cherche plus que cela. Ce n’est pas crédible. C’est donc fantasmatique, imaginaire. Nous évoluons dans une création, peut-être le prélude d’un roman ou d’un film, va savoir. Nous sommes des personnages non point en quête d’auteur, pas de doute sur cela, mais en quête d’histoire. Nous attendons que les choses bougent, avancent, nous souhaitons rejoindre le flot de celles et ceux qui marchent, mais ne savons comment faire. On ne nous a pas donné la clef!

 

J’ai réfléchi un moment et ai acquiescé. Cela doit être vrai. En partie tout au moins.

 

Ce monde n’existe pas!

 

L’indifférence et le cynisme de ces gens ne peut qu’être feinte. Elle ne saurait être réelle.

 

Songez un moment aux conversations que j’aie entendu ces dernières heures:

 

Une jeune femme, marchant d’un pas ferme sous le crachin perpétuel s’adressant à un gestionnaire anonyme à l’autre bout d’une liaison téléphonique virtuelle et probablement inexistante, lui demandant d’étudier en détail les valeurs boursières qui monteraient en cas d’éruption volcanique, tremblements de terre, ou tsunami, de les cataloguer et les suivre avec précision pour créer un fonds d’investissement potentiellement très rentable nommé ‘Espoir’.

 

Ou encore, ce jeune homme au costume taillé dans la marque et le vernis s’adressant au monde virtuel collé à son oreille et lui disant que suite aux famines du Dixland et Mixterres il songeait à demander une mutation qui lui ferait compléter le cycle demandé et lui permettrait d’obtenir une promotion rapide et méritée au sein du secrétariat d’état à l’assistance humanitaire, la perpétuation du bonheur, et la diffusion de la sérénité envers les foules humaines et animales animées du désir de droits et liberté.

 

Sans parler de celui-ci qui se portait volontaire pour des concerts ou spectacles philanthropiques en arguant de sa disponibilité, de son souhait de diffuser gratuitement ses nouvelles créations hors frais généraux et indemnités de traitement pour lui et son orchestre, sa cousine et ses deux maîtresses, ce qui lui permettrait de propulser sa carrière inondée non pas de joie et soleil mais de poncifs certains.

 

Et cet autre individu charmant suggérant d’investir en masse dans une société condamnée et en faillite pour avoir diffuser des molécules dangereuses, voire mortelles, l’acheter pour le dollar symbolique, revendre tous les biens, transférer le fonds de commerce en Boulchanie Transversale sur la base du soutien à l’investissement mélancolique, y rester trois ans, licencier tout le monde et revenir au point de départ sur la base de l’assistance au retour des investissements étrangers, bénéficier des aides à l’emploi premier et second, à la création d’entreprise etcetera et à ce moment-là, faire comme les prédécesseurs et partir rapidement sous d’autres cieux plus hospitaliers.

 

Sans parler de celle-là qui venait de faire trois enfants de suite à trois maris différents et avait maintenant atteint la limite supérieure de pensions lui permettant de se lancer dans le soutien au botoxage intensif des âmes charitables et peaux élastiques ou celui-ci qui proposait à un anonyme de le rejoindre dans une boite de nuit pour ados de riches et atteindre bientôt le record d’un viol consentant par chimie interposée et par nuit de labeur, six nuits par semaine, par respect du jour du seigneur, et cinquante semaines par an, pour permettre le pèlerinage de Maigrelettes les bains durant les mois de processions mariales.

 

Non, ce monde ne saurait être réel.

 

Il ne peut être le fait que d’un esprit dérangé et maladif.

 

Je vais réveiller l’auteur, mon alter ego, le secouer et lui demander de nous transposer toutes et tous dans une réalité meilleure et cette-fois-ci plausible, quelque chose qui soit vivable.

 

Je vais également essayer de retrouver les absents, je veux dire l’extincteur fort sage et la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne.

 

Pour l’heure, cependant, j’ai du mal à quitter le banc où Maria et la jeune fille au chapeau rouge laisse leur mélancolie filtrer et baigner le monde impur de leur aura magique.

 

Je me sens si las. La pluie coule sur mon visage telle une douche de tristesse. Je devrais voler un parapluie.

 

§511

Quand il devient urgent de passer de l’au-delà à l’en-deçà pour ne pas attraper un rhume


Quand il devient urgent de passer de l’au-delà à l’en-deçà pour ne pas attraper un rhume

 

Je vous rassure immédiatement, j’ai quitté l’au-delà et me trouve dorénavant à nouveau dans l’en-deçà, où exactement je ne le sais pas vraiment, mais les choses sont certainement bien plus favorables qu’il y a 24 heures.

 

Le fait d’avoir rencontré directement celui qui semble être un autre moi-même mais de nature différente, c’est-à-dire non pas le narrateur d’une chronique paraissant tous les jours sur internet mais l’auteur d’une chronique similaire plus ancienne d’environ deux mois, s’est avéré fort utile.

 

Nous nous trouvions dans ce que l’on pourrait appeler un aquarium, donc l’au-delà, en forme de cube d’environ 39 m3, inondé d’eau, et nous devisions sur maints sujets d’intérêt communs – on en a forcément beaucoup lorsque l’on se parle à soi-même – lorsque je lui ai demandé à brule pourpoint s’il pouvait puisqu’il était auteur nous transmuter, transporter, transbalancer ou transfuser ailleurs.

 

Il a dit que tel était naturellement le cas et en l’espace de quelques minutes tout a changé. Les décors ont chancelé, l’au-delà s’est ouvert, les vannes d’eau se sont fermées, le plafond est resté plafond mais avec lumière artificielle en plus, les murs ont pris une dimension différente et se sont recouverts de tableaux, le sol est devenu moins mou et a pris ce délicat aspect vernis que l’on retrouve dans ces vieilles demeures du XIXème siècle, un siège a surgit de nulle part au centre de la pièce et des gens ont fait irruption, un nombre assez important d’ailleurs, tous vêtus d’un pull rouge avec lunettes de soleil avec écouteurs sur les oreilles, tenant à la main droite divers objets dont des appareils photos, portables, laisses pour chien mais sans chien, nœud de cravates bleus et jaunes et autres éléments similaires.

 

J’ai demandé à mon alter ego où nous nous trouvions et il a haussé les épaules et a indiqué « on verra bien , pour l’instant cela ressemble à un musée avec touristes un brin ridicule, mais au moins il n’y a plus d’eau. Après tout tu as raison, être au fond du puits humide que tu appelais au-delà représentait plusieurs inconvénients, d’abord on aurait pu t’accuser de plagier Murakami, ensuite parler de l’au-delà dans une chronique qui entend ‘cibler de manière décalée l’actualité’ – permets-moi de sourire en utilisant tes propos partiellement excessif et globalement inappropriés – laissait présupposer que l’actualité nous y conduisait tout droit ce qui n’était pas forcément le dessein initial et enfin il reste forcément ce sentiment incertain enfoui en chacun d’entre nous qui nous rend mal à l’aise lorsque l’on parle de l’au-delà et comme de toutes les manières tu n’avais pas grand-chose d’intelligent à dire là-dessus autant aller ailleurs. Pour ma part, en tant qu’auteur, je me fiche pas mal de ton au-delà qui n’est pas le mien, mais à force d’être confiné dans un espace tellement humide je risquais un rhume voire une trachéite et ceci ne m’enthousiasmait pas vraiment. Donc, cet endroit me va bien. »

 

Je n’ai rien dit et n’ai pas forcément apprécié, je dois vous l’avouer, le ton un brin présomptueux de mon alter ego même si un auteur est toujours un peu égocentrique sur les bords, et au centre aussi, forcément, mais je dois admettre partager son inquiétude quant à un coup de froid si nous étions restés dans l’au-delà.

 

Ceci étant, j’ai l’impression mais je peux me tromper qu’un narrateur est rarement malade, vous l’aurez peut-être vous aussi remarqué, sauf dans certains récits autobiographiques façon Fritz Zorn, mais ça c’est autre chose. Il y a certainement ce souhait des auteurs de se reproduire en narrateur un brin plus ragoutant qu’il ou elle-même.

 

Pour autant, et parlant de rhume, mieux vaut être doublement prudent. En l’occurrence nous le sommes puisque nous sommes dorénavant loin de l’au-delà et parfaitement au sec dans l’en-deçà.

 

Les tableaux aux murs sont blancs, mais avec attribution, les uns indiquent Vermeer, les autres Bosch, Stella, Mantegna, Klee, Bellini ou Rauschenberg. Curieusement, il y a également un carton indiquant Piero della Francesca ce qui naturellement a éveillé mon attention. J’ai demandé à mon autre moi-même pour quelles raisons les tableaux étaient blancs et dans la mesure où des attributions étaient indiquées et que mention était faite de Piero si son intention étaient de faire revenir nos amis pingouins aux lunettes roses.

 

Sa réponse a été lasse, fatiguée, épuisée, soulignant combien son imaginaire était vide et qu’il lui faudrait des semaines pour renouveler le catalogue des images disponibles qu’il avait en tête. « Tu ne t’imagines pas ce qu’est le travail d’un auteur, il s’agit de créer, toujours créer, s’aventurer sur des chemins de vie constamment renouvelés, nécessitant une énergie considérable, chaque élément de cette pièce où nous nous trouvons est une combinaison de nombreux facteurs créatifs issus de mon pauvre cerveau. J’ai donc envisagé de mettre les tableaux dont il s’agit mais je suis trop épuisé pour dessiner les contours de ces œuvres. En plus, tu n’en as pas besoin pour tes descriptions. Ce que toi narrateur est censé dire est que tu te balades dans un musée avec des tableaux de Vermeer, Bosch et autres suspendus au mur, on ne te demande pas dans le cadre de cette chronique d’en dire plus. C’est naturel. Si tu souhaites parler des tableaux, il fallait le dire et je n’aurais pas envoyé des touristes stupides se balader avec leurs pulls rouges, parfaitement inutiles. »

 

A ce moment précis, un jeune homme au pull rouge et à la caméra verte s’est approché de nous, a protesté de sa bonne foi, a réclamé réparation, s’est agité telle une autruche volante, flottante et trébuchante, et a giflé mon brave auteur qui visiblement s’en es trouvé fort contrit.

 

« Celle-là tu ne l’avais pas vu venir » lui ai-je dit de manière un peu cynique ce que j’ai regretté par la suite puisque, après tout, c’est un autre moi-même, et de surcroît, je ne suis pas censé être un méchant narrateur, cela ne figure pas dans mes termes de référence.

 

Il a haussé les épaules et a simplement fait remarquer que dans cette histoire il y avait un moi-même de trop et que ce serait tout aussi bien que ce soit ‘moi’, enfin lui a dit ‘toi’ mais comme c’est moi qui vous raconte la scène je dis ‘moi’ sinon j’aurais dû mettre le tout en italiques et dire ‘toi’ mais ne l’ai pas fait car j’ai du mal avec mon clavier d’ordinateur portable… vous me comprenez, n’est-ce pas ?

 

En conclusion de cette journée un peu mouvementée je dirai que nous sommes dorénavant loin de l’au-delà, que nous découvrons un nouvel univers dans une salle de musée, que des personnages un peu abruptes sont présents dans la même salle que nous, que des tableaux sont en cours d’acquisition – comme au Louvres d’ailleurs, si vous voulez contribuer financièrement s’entend n’hésitez pas – et d’appropriation et que comme d’habitude je me demande ce que je fais dans cette galère.

 

Je vous en dirai plus demain si demain il y a.

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Des interrogations et envies dérisoires qui sont les nôtres lorsque notre embarcation est en train de chavirer


Des interrogations et envies dérisoires qui sont les nôtres lorsque notre embarcation est en train de chavirer

 

Notre situation est un brin cocasse, admettons-le.

 

Nous dérivions tranquillement, mon autruche volante, flottante et trébuchante toujours aussi loquace et incompréhensible, mon irascible Bob le pingouin et moi-même, sur une mer sombre, à la dérive dans une baignoire rose sur des flots tourmentés, fuyant une terre brûlée et recherchant nos amis égarés, lorsque deux banquiers fort distingués sur leur beau destrier, je veux dire une planche à voile surgie de nulle part, ont fait irruption pour m’arracher les droits sur la chronique que vous êtes en train de lire et me proposer une fort alléchante distribution pour un film éventuel. Puis Bob s’est fâché et nous n’avons eu d’autres choix que recueillir les deux naufragés à bord de notre fragile embarcation.

 

Les vagues ce matin sont de nature colérique et nous sommes en conséquence brinquebalés dans tous les sens à la recherche d’un équilibre précaire au sein d’un esquif lui-même essayant tant bien que mal à trouver un sens à sa dérive ce qui n’est jamais chose aisée.

 

L’autruche s’est remise à chanter ce qui ajoute au surréalisme du moment, la mer étant noire et forte, le ciel orageux laissant entrevoir par moments les trois soleils dont j’avoue ne plus avoir le courage de vous parler plus avant, la pluie s’écrasant en gouttes glaciales sur nos corps transis. « Les soleils d’ailleurs sont ici » clame-t-elle « la Lune est ailleurs, les ombres fuient, les absents sont tous réunis là où nul ne les cherchera, les présents dansent la sarabande, la flûte est fine, les doux élans me manquent, il n’y a toujours pas d’amour à Saint-Pétersbourg dont l’ignorance du satin est cruellement ressentie… » Il n’y a pas de fin à sa longue mélopée.

 

Pendant ce temps, le banquier rasé de près, j’ignore comment il fait, s’accroche au long et mince cou du bipède poète, Bob le pingouin s’amuse lorsque nous dévalons le revers des vagues et s’envole lorsque l’écume du temps est trop forte, et la belle banquière se tient contre moi ce qui met à mal la fidélité de mes pensées pour Maria dans le regard de laquelle je me suis toujours perdu mais dont l’absence dans ces moments charnières est cruellement ressentie.

 

Nous évoquons la distribution du futur film qui pourrait être tiré de ces chroniques car il faut bien parler de quelque chose et les options sont limitées, j’ai préféré balayer d’un revers de ma manche mouillée la possible évocation d’une noyade de groupe dans une mer hostile et inconnue et me suis aventuré sur ces terres un peu ridicules du film dont il pourrait s’agir.

 

Nous avons immédiatement évacué le problème des pingouins amateurs de Piero della Francesca en nous accordant sur le fait que les seuls acteurs potentiellement envisageables étaient eux-mêmes, point final, sans contestation possible, pas d’hésitation et les trois humains compressés dans le véhicule rose ont hoché la tête simultanément en signe d’acquiescement. Ils n’avaient pas vraiment le choix, soyons francs.

 

Pour ma part, alors que les vagues sont de plus en plus grosses, et qu’en conséquence de quoi la jeune femme aux jolies jambes gainées de soie, à l’intelligence fort vive et la détermination glaciale, se trouve de plus en plus proche de mon pauvre corps engourdi et déconcerté, je me permets d’évoquer la problématique du grille-pain, de l’extincteur et de la machine à gaz, ce qui est une manière élégante je pense d’évacuer des problèmes de cohabitation éventuels.

 

« Comment envisagez-vous ai-je demandé de remplacer des machines par des humains ? Jouer un Yéti, ceci je le comprends, un peu de maquillage façon Star-Wars première façon et le tour est joué. Mais un grille-pain… vous risquez de tomber rapidement dans une évocation lourde et ridicule, voire niaise d’une chronique qui soit dit en passant l’est aussi par moments ».

 

La jeune femme qui ne semble pas ressentir le moins du monde la même gêne que moi, peut-être en raison des nausées qui la prennent régulièrement et l’empêche vraisemblablement de songer pleinement à d’autres sujets que la hauteur des vagues, le roulis ou le tangage, a simplement évoqué la magie des effets spéciaux et le fait que les acteurs jouant ces rôles se contenteraient certainement de prêter leur voix plutôt que leur corps.

 

Mais Bob vient de nous interrompre en interpelant agressivement Nelly – c’est ainsi que cette jeune femme se prénomme j’ai oublié de le mentionner, à cet égard veuillez noter également pour solde de tout compte qu’elle est originaire de Londres, trente-trois ans, trois mois et trois jours, célibataire, ancienne petite-amie du banquier susmentionné jusqu’à ce qu’elle le quitte pour un autre et lui aussi, deux chiens, une sœur, un frère, deux parents oubliés, et réciproquement, et une grand-mère chaleureuse et vive, rédactrice de haïkus pour un journal de Singapour, le reste étant assez vague.

 

Bob s’est donc insinué dans nos digressions et a apostrophé Nelly : « tout cela on s’en fiche un peu, franchement, mais avez-vous songé à qui interpréterais vos rôles à vous, les deux banquiers niaiseux qui se sont précipité dans notre histoire à nous en tentant de tirer la couverture à eux, hein !?, y avez-vous songé ? »

 

Nelly l’a regardé un brin décontenancée entre deux crampes nauséeuses et son regard a visiblement exprimé le souhait de mieux comprendre l’interrogation du volatile colérique. Ce dernier a précisé : « Ben, évidemment, vous êtes parmi nous maintenant, on ne vous avait rien demandé, vous étiez des étrangers, hors de cette réalité et de cette chronique poussive, et vous avez fait irruption en plein milieu de cette tempête, et vous trouvez maintenant accroché à l’autruche pour l’un et au narrateur au sourire imbécile pour l’autre. Il faudra donc trouver quelqu’un pour interpréter ces rôles ? Qui ? Pourquoi ne pas inverser les rôles ? »

 

Nelly s’est perdue dans ses chavirages d’entrailles peu habituées au roulis et n’a plus répondu mais le banquier sans nom, j’avoue ne pas avoir retenu son prénom, son âge et tutti quanti, n’exagérons pas le degré de concentration qui peut-être le mien en pareilles circonstances, a souhaité obtenir quelques précisions.

 

Bob de plus en plus excédé par l’incapacité des deux humains de comprendre quoi que ce soit à ses interventions s’est envolé mais avant de le faire a conclu de cette manière : « dans la mesure où il faudra bien trouver quelqu’un pour jouer vos rôles de tordus qui s’incrustent, je me demande si on ne devrait pas demander à un crétin de lévrier de jouer le rôle du banquier bien dans sa peau, jouant le beau, mais rien dans la tête, et à … »

 

Il n’a pas terminé et ses mots se sont perdus dans le vent. Je dois admettre que ce coup de vent est venu plus qu’à propos car je pense que la terminologie usitée par le bipède anachronique à propos de Nelly n’était pas forcément politiquement correcte, adéquate et appropriée à une époque où la forme a définitivement pris le pas sur le fond.

 

De toutes les manières, même si je reproduisais lesdits termes j’imagine que l’organisme en charge du contrôle d’internet pour renforcer la liberté, la démocratie, les droits, la sureté, la sécurité, le bien-être, le bonheur, la plénitude et la sérénité des vivants se chargerait de remplacer ces termes. Dont acte.

 

Une vague vient de remplir la baignoire rose plus que de raison et nous devons écoper. Je vous laisse pour aujourd’hui d’autant que l’ordinateur sur le clavier duquel je tape ces comptes rendus quotidiens semble ne pas apprécier outre mesure les jets de gouttelettes et d’écume sur ses parties intimes.

 

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De l’étrange irruption de banquiers dans cette histoire qui n’en demandait pas tant…


De l’étrange irruption de banquiers dans cette histoire qui n’en demandait pas tant…

 

Vous connaissez ma situation. Inutile d’y revenir sans arrêt, je risquerais de vous lasser.

 

Pas la peine de vous rappeler cette errance débutée il y a des mois à Copenhague, puis Vienne, la Mer d’Autriche, l’île de Vienne, une mégalopole inconnue, un océan sans nom, un pays déchiré et meurtri, une ville immense prise par une tourmente révolutionnaire, un périple dans le désert, une échappée vers Arezzo qui s’est achevée dans une compression de mondes, une fuite éperdue devant un incendie ravageant une lande désolée et un sauvetage in extremis.

 

Je me trouve avec certains de mes amis dans une baignoire rose flottant sur une mer démontée et c’est de là que je vous écris.

 

Vous n’êtes pas sans ignorer non plus, je répète ceci à satiété, lesdits amis qui vont et viennent dans ma fuite, à commencer par ceux qui se trouvent dans cette frêle embarcation, je veux dire l’autruche volante, flottante et trébuchante qui s’exprime par poèmes indigestes, le grille-pain existentialiste qui s’est réincarné à plusieurs reprises et est devenu ces temps-ci fort fataliste et enfin Bob l’un des trois pingouins aux lunettes roses amateurs de Piero della Francesca et souhaitant par-dessus tout se rendre à Arezzo pour y déclarer l’indépendance de la chapelle où se trouvent les fameuses fresques.

 

Au rayon des absents, ma chère Maria, ma compagne, au regard si profond que systématiquement je m’y noie, la jeune fille au foulard rouge qui peut-être la suit, le Yéti anarchiste et révolutionnaire, les deux autres pingouins, l’extincteur fort sage, historien et spécialiste des phénomènes extraterrestres et des révolutions et enfin la machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes.

 

Nous cherchons désespérément ces amis disparus sans réellement savoir où ils pourraient se trouver.

 

Pourquoi vous faire cette présentation lourde et répétitive à ce stade de ma fuite ? Pour deux raisons,

 

(i) d’abord le besoin de faire le point car oscillant sans arrêt entre des réalités qui n’en sont pas et des imaginaires qui le sont vraiment, perdant au fil des déplacements l’un ou l’autre les retrouvant ensuite, ignorant les lieux où nous déambulons, totalement dépassés par les évènements et subissant à l’extrême les convulsions et chaos de notre monde qui ressemble peut-être au vôtre, je n’en sais rien après tout, chacun vit sa réalité comme il ou elle le ressent, le perçoit et le voit, il n’est pas inutile de faire une cartographie du présent et du passé immédiat et

 

(ii) ensuite le souhait d’identifier et nommer aussi bien les présents que les absents car ne pas le faire est équivalent à les laisser disparaître dans une mort triste et morne, un vide sidérant.

 

Et puis il y a cette autre raison particulièrement étonnante que je souhaiterais évoquer aujourd’hui.

 

Nous dérivions tranquillement sur une mer démontée, je vous l’ai dit, dans notre baignoire rose, cela aussi vous le savez, seuls, cela je ne vous l’ai pas dit mais sachez que depuis ce matin toutes les autres baignoires ont disparu de notre environnement immédiat, il n’y a plus que vagues, écume, trois soleils au firmament et même une pauvre Lune qui se demande ce qu’elle fait là avec ses étranges ombres dessinées sur sa face visible et souillée, et nous nous demandions comment nous pourrions survivre sans eau ni nourriture, lorsque surgit de nulle part, un homme et une femme d’une quarante d’années tout au plus, sur une planche à voile arborant un beau motif doré représentant le logo d’une banque anglo-portoricaine, vêtus d’un complet trois quart anthracite à rayures discrètes, chemise au demi col élégamment entrouvert, cravate ©Lanvin à motif de fleurs de lys et framboises entremêlées, et chaussures de cuir noires de la maison ©Soulthon Et Meyson, et d’un tailleur sombre ©Boss, chemisier ©Lyster brodé main, bas de soie, chaussures à talon aiguille rayées bleues et roses, se sont arrimés à notre embarcation.

 

Ils ne nous ont pas laissé le temps de réagir et se sont immédiatement adressés à moi de manière extrêmement énergique se référant à l’acquisition des droits de cette narration dans le but d’en produire un scénario pour un film à grand budget.

 

Ce n’est pas la première fois que l’on m’entretient de cette possibilité mais une innovation s’agissant du lieu, des circonstances et des précisions quant audit film.

 

« Que l’on soit bien clair », m’a sermonné la jeune femme au visage légèrement maquillé « nous respecterons le ton décalé de vos chroniques. Il ne s’agira pas comme d’autres l’ont fait par le passé de mouliner vos propos à la sauce hollywoodienne. Loin de là. Nous sommes tout à fait sur la même ligne que vous quant à l’appréhension du vécu, les profonds bouleversements de notre univers quotidien, les catastrophes imposées par la nature ou inversement, les contradictions de notre propos d’homo occidentalis. Nous souhaitons présenter aux spectateurs une vision originale de ce chaos dont vous vous faites l’écho tous les jours ».

 

L’homme rasé de près avec lunettes fines ©Dior et lui aussi un léger fond de teint, peut-être du ©Nyarquos, a poursuivi « je n’en suis pas sûr, la distribution doit être impeccable et nous avons d’ores et déjà pris contact avec Natalie Portman pour jouer le rôle de Maria, cela semble une évidence n’est-ce pas, Pénélope Cruz serait bien elle aussi mais elle sera en tournage durant la période envisagée. Bill Murray serait très bien façon narrateur angoissé, perdu, délirant, là aussi cela paraît évident. Nous avons également pensé à Tim Robbins mais vous nous direz ce que vous en pensez ».

 

La jeune femme a poursuivi « Depardieu serait bien en Yéti anarchiste, pour le reste il faudra chercher un peu. Pour le grille-pain existentialiste se sera un peu difficile mais nous souhaitons rester dans l’esprit de votre texte. Il ne faut pas l’épurer, hors de question. Cela représentera un vrai travail d’acteur, passionnant, tout à fait passionnant ».

 

« Quant à la machine rondouillarde et à l’extincteur nous avons quelques idées à vous proposer » a poursuivi l’homme sans sourire, en tout cas peu avenant.

 

Ils se sont un peu écartés de nous à la faveur d’une vague un peu plus haute que les autres et dès lors nous ne les avons pas entendus poursuivre leur étrange dialogue.

 

Lorsqu’ils sont revenus à portée de voix, Bob le pingouin les a apostrophé de la pire des manières puis s’est envolé dans leur direction et les a attaqués avec son bec relativement tranchant en leur tenant à peu près ces propos : « Le héros de ce film ce doit être un pingouin. Tout tourne autour de Piero della Francesca et d’Arezzo, non ? Alors pourquoi vous n’avez pas parlé de cela ? Pourquoi ? Vraiment des cloches sans nom, des abrutis de la pire espèce ! Ne pas comprendre cela c’est passer entièrement à côté de la finalité de la chronique. Vous ignorez l’évidence. Si vous deviez faire un casting vous devriez commencer par Maria, cela d’accord, mais ensuite il faudra poursuivre par des pingouins et là franchement quoi de mieux que les personnages originaux de cette série ? Hein ? Pourquoi ne pas avoir commencé par cela ? Trop difficile à intégrer pour des banquiers de la City, c’est cela ? »

 

Il s’est ensuite perdu dans des hurlements intraduisibles, des volées d’ailes et des coups de becs sur le pauvre duo relativement perplexe qui a malheureusement pour eux comme pour nous perdu l’équilibre, ce qui est toujours mauvais pour un banquier me semble-t-il, et est tombé à l’eau.

 

Nous les avons recueillis à bord de notre petite baignoire rose tandis que la planche à voile s’est trouvée absorbée par les éléments et renvoyée hors de portée de nos mains ou ailes.

 

Etrange situation, vous l’avouerez…

 

Je dois cesser ici mon écriture car les talons à aiguilles de cette jeune personne sont dorénavant placés en travers de mon clavier suivis de près par une paire de mollets fort gracieux dans une soie suave ce qui rend l’écriture assez complexe et de surcroit passablement déroutante, vous en conviendrez avec moi.

 

La concentration n’est pas forcément aisée dans de telles circonstances et la nécessité pour les yeux de se concentrer sur l’écran est contredite par l’impérieux dictat des instincts masculins les plus épidermiques.

 

Dont acte et peut-être à demain.

 

A propos, si vous deviez avoir des idées pour un casting éventuel faites les moi parvenir plutôt par email que par courrier le facteur pouvant éprouver quelques difficultés à nous trouver sur cette mer qui soit dit en passant demeure fort démontée.

 

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Des chemins divergents, de l’ermite dans le désert, de la révolution dans les montagnes, de la villa dans la campagne, et de notre anxiété naissante


Des chemins divergents, de l’ermite dans le désert, de la révolution dans les montagnes, de la villa dans la campagne, et de notre anxiété naissante

Nous étions unis et amis.

Nous étions un groupe compact d’amis, de divers genres, espèces ou natures, inséparables par la force des choses et des circonstances.

Nous avons traversé différents cycles, certains exaltants, d’autres dramatiques, enthousiasmants ou déprimants, la vie est ainsi faite, nous partions d’alpha et nous rendions vers oméga et entre les deux nous glissions le long d’une sinusoïdale biscornue.

Notre groupe était solide mais peut-être moins qu’il ne le paraissait.

L’unité provenait d’un lien qui nous soudait, très fort, l’incompréhension du monde et inversement.

Maintenant, tout a changé. Ce liant était soluble dans l’eau de la révolution.

Les amitiés d’hier disparaissent. Celles de demain ne sont pas encore formées. Tout est sujet à caution et aléa. Plus tard nous dirons peut-être c’était prévisible, inscrit dans notre destin, il ne pouvait pas en être autrement mais pour l’heure ceci n’est pas clairement lisible. Il y a des croisements ou giratoires que nous empruntons les uns après les autres, comme si nous nous rapprochions d’une grande ville, et nous essayons d’aller à droite, gauche ou tout droit en fonction des choix que nous faisons sur le moment, sans avoir la possibilité de réfléchir, sans avoir le luxe de l’approximation, ou de la marche arrière, et ces choix qui s’accumulent, ces lignes de l’ombre que nous traversons les unes après les autres, nous rapprochent ou nous éloignent d’une certaine forme d’évolution, de nos vies je veux dire. Cette direction générale semble être celle de la séparation, je crois pouvoir le dire sans me tromper. Nous étions toujours ensembles mais tel n’est plus le cas.

Je me préoccupe de mon ami grille-pain existentialiste mort au combat, torturé et suspendu à un arbre avant d’être dépecé et brûlé. C’est atroce. Je l’ai ramené avec nous, nous c’était l’autruche volante, flottante et trébuchante et moi-même, errant dans la périphérie d’une agglomération géante sans nom dans un pays de misère et de disette, triste auparavant, gai maintenant, et demain je ne sais pas.

Nous avons retrouvé Maria et celle-ci a sombré dans une forme de tristesse teintée de nostalgie et remords. Elle est toujours aussi belle, son regard est bien entendu aussi profond qu’auparavant et je vous assure que je m’y noie tout aussi souvent, mais il y manque un zeste d’espièglerie et en lieu et place s’y trouve une once de mélancolie qui la transforme en profondeu.

L’autruche ne sait pas, ne comprend pas, ne réalise pas, mais son cerveau en perplexité permanente renvoie des ondes de sourde tristesse. Elle a recommencé à chanter ses chants ineptes et ridicules, prononcer des sonnets ou poèmes indigestes au possible mais il y manque cette folie douce qui parfois leur conférait un cachet surréaliste. Ce matin, au petit-déjeuner, dans la pension où nous logeons au milieu de rescapés des derniers évènements, protégés par une charmante dame et sa fille, une jeune femme enthousiaste et délicieusement cynique portant toujours un vêtement rouge, notre amie autruchienne volante a ainsi dit à peu près ceci « la rivière longe et se prolonge, le chemin se ratatine, les gens se perdent se retrouvent et se perdent, forcément, la forêt se referme, la pluie se forme et s’abat, le soleil est rouge, pas jaune, pas orange, rouge, le pont traverse mais personne ne l’emprunte, tout le monde marche mais personne ne s’arrête pourtant il faudrait mais cela nul ne le sait, et tous se perdent car il y a trop de monde, trop de circonstances, trop de tout, et moi je ne comprends rien, mais je marche aussi, je crois que je ne saurais même plus voler, tant pis ». Maria et moi nous sommes regardés mais n’avons pas commenté, cela n’était pas nécessaire, nous nous comprenons sans avoir besoin de parler.

L’extincteur fort sage n’a pas entendu car il a dorénavant la charge d’un site internet qu’il a établi et qui compile tous les faits révolutionnaires de ces temps-ci et les met en rapport avec ceux des temps précédents. Il y a beaucoup de va et vient dans son bureau car certains ont considéré qu’il y avait là une forme d’anticipation des évènements qui était utile, ou remarquable, ou intéressante. Je ne sais pas. Lui-même ne le sait pas et a avoué que plus il lisait ces phénomènes et plus il était évident que la volatilité de telles situations les rendait très difficilement lisibles et que ceci était inversement proportionnelle au nombre de penseurs et sages de toutes sortes qui prétendent avoir tout compris. « Ce qui est évident » a-t-il dit en dévorant un plateau en inox « c’est que tout peut basculer à tout moment dans un sens comme dans un autre, que nous vivrons des extrêmes de bonheur et malheur mais plus beaucoup de situations neutres, que nous serons souvent très heureux et souvent très malheureux et qu’entre-temps nos oreilles résonneront de façon insupportable en entendant les cris d’une part des gens qui souffrent et d’autre part des gens qui savent. Méfiez-vous de ces derniers, car, par définition, ils ne savent rien ». Puis, très affairé, il est reparti dans son bureau avec ses proches élèves et nous ne l’avons plus vu depuis. Nous le reverrons peut-être ce soir, peut-être demain, peut-être pas.

Les trois pingouins aux lunettes roses amateurs de Piero della Francesca sont partis hier suivant un bonimenteur portant cape rose lui aussi disant qu’il désirait s’exiler dans le désert pendant quarante jours et quarante nuits, comme le Christ, et que ses adeptes et apôtres étaient la bienvenue. Nous avons essayé de les dissuader mais ils n’ont pas écouté, ledit homme saint les ayant prévenus par avance que leurs plus proches amis les trahiraient et tenteraient de les écarter de la voie sainte et la voix sacrée. Comme en plus il a eu l’intelligence de leur parler de Piero, du songe de Constantin et de la possibilité de trouver Arezzo dans le désert, notre degré de conviction a diminué fortement. Avant de partir j’ai juste eu le temps de dire au prophète à la cape rose : « s’il arrive quoi que ce soit à ces pingouins timbrés je t’arracherai les yeux et les ferai bouffer par l’autruche, compris ? » Je ne sais pas s’il a compris mais il s’est touché les paupières avec ses doigts noircis ce qui m’a fait déduire que peut-être tel avait été le cas.

Le Yéti anarchiste est plus impliqué que jamais dans son groupe d’anarchistes opportunistes, contemplatifs et opportunistes et aux dernières nouvelles il aurait l’intention de rejoindre une autre révolution de l’autre côté des montagnes. Il aime les montagnes vous le savez bien. Quant à savoir où ces montagnes sont, je n’en sais rien. Je lui ai d’ailleurs demandé où elles étaient et il m’a simplement affirmé : « l’important n’est pas là. Il faut que la révolution enflamme toutes les villes et pays. Peu importe lesquels. Bientôt elle embrasera le monde du désert puis celui des villes, nul ne sera épargné, pas plus le sud que le nord, l’ouest que l’est, car tous souffrent sous une chape de béton corrompue, d’information contrôlée, d’argent usurpé, et nous ferons exploser tout cela ».

Puis il est parti, avec un groupe d’amis à lui nous disant qu’il reviendrait bientôt, qu’il serait avec nous en pensées, qu’il n’oublierait jamais le regard de Maria.

La machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne s’est assagie et domine de mieux en mieux son sujet. Elle apparaît sur les écrans des chaînes de télévision populaires et démocratiques instaurées pour le bien de la révolution, son suivi et épanouissement pour le bonheur des peuples pour les siècles des siècles. Tout à l’heure, par exemple, nous l’avons entendu s’adresser à des syndicalistes et leur dire : « nous vous avons compris, la corruption des classes dirigeantes précédentes avait conduit à une expropriation de fait des richesses de notre pays. Aujourd’hui nous sommes tous remis au travail pour le bien du peuple, avec le peuple, et pour lui, il n’y a plus d’autre alternative. Sur un terrain desséché nous œuvrons à son irrigation et l’émergence de nouvelles cultures et de futures récoltes pour les générations à venir. Que chacun et chacune ait compris que dans de telles circonstances les revendications devaient prendre en compte un réalisme certain et s’inscrire dans la durée nous paraît d’une exceptionnelle sagesse et marque avec le sceau du sacré le choix de nos concitoyens… » Il s’est installé dans la villa de l’ancien secrétaire d’état au sport et à la jeunesse transformé en comité de salut populaire et public pour le bien-être des générations à venir. Il y réside seul puisque nous avons préféré rester dans notre pension de famille. Pour l’aider à remettre en état cette petite bâtisse d’à peine 500 mètre carrés entouré d’un parc d’essences tropicales, il a proposé à des étudiants au chômage d’y travailler chaque matin avant de se rendre à leurs manifestations quotidiennes.

Ne restent donc autour de cette table de laquelle je vous écris ces quelques lignes que nous trois, ainsi que la jeune fille au pull rouge, et nous devisons de chose et autre, conjecturons sur ce qui a été et anticipons ce qui viendra. Il y a beaucoup à dire et peu à commenter. Le temps s’est accéléré et les évènements aussi mais leur lecture et interprétation aussi.

Chacun et chacune choisit son chemin, c’est ce que l’on dit, mais c’est totalement faux, c’est la pression de nombreux facteurs intérieurs et extérieurs qui nous influence et le choix que nous opérons n’est jamais libre.

Nous sommes prisonniers de notre passé, de notre présent, du passé de tous nos contemporains et de leur présent, et tous ensemble nous essayons tant bien que mal de faire un futur qui lui ne nous attend jamais.

Je sirote une tasse de thé. Je n’aimais pas le thé auparavant. Je ne l’aime pas maintenant. Mais, c’est ainsi. Peut-être n’est-ce même plus du thé, allez savoir… peut-être cela n’a-t-il jamais été du thé, après tout qu’elle importance cela peut-il avoir.

Du dehors viennent des cris de joie. Ceci me ravit mais une sourde appréhension enfle dans ma poitrine.

Je crois qu’il en est de même pour Maria.

Je ne sais et ne comprends rien, mais cette anxiété me trouble.

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De l’étrange confusion de nos sentiments et de la possible défection de plusieurs de nos amis


De l’étrange confusion de nos sentiments et de la possible défection de plusieurs de nos amis

Je vous ai raconté en détails, peut-être un peu trop j’en conviens, les circonstances ayant conduit à la découverte du cadavre de notre ami grille-pain existentialiste.

J’ai décrit de manière assez réaliste l’état psychique qui était le nôtre lorsque l’autruche volante, flottante et trébuchante et moi-même avons retrouvé le pauvre être balançant au gré du vent maudit de ce pays de misère, dont le nom nous échappe toujours, suspendu à un arbre piteux et dérisoire dans un environnement des plus banals et des circonstances ordinaires.

Une fin triste et médiocre.

Ce que je ne vous ai pas décrit ce sont les réactions de nos amis lorsque la nouvelle de la mort du grille-pain leur avait été annoncée.

Maria dont le regard est si profond que souvent je m’y noie a fermé ses paupières, laissé une larme perler sur sa joue droite, passé une main dans ses cheveux et a demandé à voir le cadavre de notre pauvre ami.

Nous l’avons accompagné jusqu’au bureau du propriétaire de la pension de famille dans laquelle nous séjournons et qui n’est pas présent en ce moment en raison de son arrestation récente pour appartenance à un parti réactionnaire et par trop impliqué dans les évènements pré- ou postrévolutionnaires. C’est en cet endroit que j’avais installé le corps meurtri de notre cher disparu. Elle a souhaité rester seule dans cette pièce au parfum de naphtaline et cirage pour s’y recueillir un moment.

Le Yéti anarchiste s’est quant à lui emporté et à accusé le Comité de salut, salubrité, sobriété, santé et souhait publics d’avoir commandité le meurtre de notre ami et, sans même aller se recueillir auprès du pauvre petit corps de l’humble et triste grille-pain existentialiste, s’est précipité au foyer des travailleurs levantins et florentins du sixième district gauche après la porte de Neufchâtel, version sud, pour appeler à une manifestation monstre de dix à quinze mille personnes ce soir sur la place des libertés retrouvées et de l’ordre annoncé.

La machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne, s’est émue de la disparition de notre ami, s’est enquis de la présence ou non du livre de Kierkegaard en son sein et notant ma réponse embarrassée a conclu que « ces maudits vandales ne faisaient que sombrer jour après jour d’avantage dans la criminalité ordinaire au titre des grands principes, des libertés, de la joie retrouvée et du fric à gogo dont ils ont toujours besoin. Ces parasites ne souhaitent qu’une chose, kidnapper notre révolution, celle de notre jeunesse, de nos victimes, de nos familles. Je comprends leur petit jeu et leurs desseins évidents. Après nous le bonheur, après eux le chaos. Soyons forts, il faut que la révolution subsiste et que la jeunesse se forme. Il faut qu’une nouvelle classe de citoyens se mette en place mais d’évidence en voyant la violence dont certains font preuve ce ne sera pas une tâche aisée. Il faut laisser le temps au temps, il faut travailler sur le long terme, former, éduquer, consolider les fondations. Nous ne sombrerons pas dans le piège qui consiste à accélérer la vitesse dans le seul but de permettre l’appropriation des richesses par certains et d’assouvir les pulsions les moins nobles des êtres vivants ».

Terminant ses propos depuis le dessus de la télévision où il s’était accroché il s’est précipité au siège du comité dont il exerce, je vous le rappelle, la fonction de porte-parole. Curieusement, il n’a pas demandé à voir notre ami martyrisé.

L’extincteur fort sage, d’habitude tout au moins, a commenté le comportement de nos amis et les conditions de la disparition du grille-pain en disant « ceci n’est pas chose incompréhensible. Les premières phases de toute révolution consistent en un faisceau de convergences conduisant à un point de rupture. Lorsque celui-ci est dépassé on entre dans une phase chaotique durant laquelle tout peut arriver, chacun essayant de s’approprier un levier de commande et des pièces du puzzle gigantesque du pouvoir absolu venant de se détruire. Ce faisant, nombreux sont les grains de sable qui profitent de cette situation et parfois interrompent le processus qui les faisait vivre. Le vandalisme, la petite criminalité, provoqués ou subis, sont des facteurs indissociables de ces périodes. Notre ami a succombé face à ces dérisoires excès ».

Lui aussi est parti, également sans se recueillir un instant auprès du grille-pain impatient de consulter ses livres et déterminer dans quelle phase, sous-phase et sous-sous-phase historique ou proto-historique nous nous trouvions.

Les trois pingouins ont fait de même mais cela je m’en doutais. Ils se sont précipité sur la place de la révolution magistrale et secondaire par les côtés ouest et réfrigérés pour examiner de plus près les dessins découverts la veille et dont ils ont conclu qu’ils pouvaient s’agir des travaux inconnus de Piero mais dont tous les autres observateurs ont déterminé qu’il s‘agissait de graffitis exécutés par des vandales de 5 à 7 ans au plus, de sexe masculin, et de conditions indéterminées.

Ne restent donc que nous trois, Maria, l’autruche et moi, assis maintenant en rond triangulaire inversé et songeant paisiblement au temps passé.

Nous nous remémorons les propos de notre grille-pain existentialiste, ses visions prémonitoires et ses paroles sobres et émues, ses sourires entendus, ses regards timides et fatalistes, ses craintes et frayeurs.

Il nous manque mais au fond de nous il y a, insidieuse, cette crainte que nos autres amis, ceux qui se sont enfuis, n’aient été rattrapés par le cours de l’histoire et ne soient en train d’être en voie d’intégration dans cette société que nous aimons mais pas tant que cela, ses lois, ses règles, sa dérisoire propension à flatter les égos pour aveugler les esprits et le cœur.

Peut-être avons-nous perdu ces derniers jours plus d’un ami.
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De l’interruption brutale de nos tergiversations, de la réaction des uns et des autres en situation d’urgence, des propos d’une machine à gaz vaguement politicienne


De l’interruption brutale de nos tergiversations, de la réaction des uns et des autres en situation d’urgence, des propos d’une machine à gaz vaguement politicienne

 

 

 

 

Je vous écris ces lignes à la hâte. Je ne sais pas si elles vous parviendront. Je ne sais pas si ce que vous lirez correspondra à ce que j’ai écris. Mais je dois le faire. Sinon comment pourrez-vous savoir ? Comment pourrez-vous appréhender l’étrange retournement des tenants et bouleversement des aboutissants qui s’est produit aujourd’hui ?

 

Nous attendions que la réalité se dévoile, que la vérité laisse apparaître une parcelle d’elle-même, vêtue ou non, qu’après avoir laissé nos esprits se vider nous nous trouvions en mesure, enfin, de comparer nos notes mentales et de nous accorder sur ce qui s’était produit lors de ce trop fameux entretien avec ce couple en charge de cette étrange colonie sise aux abords d’une oasis, tel un vaisseau luxueux, à quelques kilomètres seulement d’une étendue immense et sans limite ou presque ayant été dévastée et détruite par le feu de la violence, de la mort, des viols, des destructions et des pires frayeurs.

 

Il est indéniable que cet homme et cette femme, sans âges, souriants et confiants, calmes et sereins, ne pouvaient pas ne pas savoir ce qui s’était passé dans ce lieu perdu, et qu’en conséquence de quoi nous devons l’avoir entendu de leur bouche, d’une manière ou d’une autre, nous savons mais nous ne nous rappelons pas, nous ne pouvons peut-être pas admettre l’inadmissible, mais à tout le moins nous désirons lever le voile, nous le devons à celles et ceux qui sont morts ou qui souffrent, à ce vieil homme qui nous l’a demandé en expirant sur le genoux de Maria.

 

Nous prenions notre petit-déjeuner lorsque des véhicules ont fait irruption dans la colonie émeraude à grande vitesse, se sont arrêtés à proximité de notre bungalow, ont déversé un nombre non négligeable de miliciens affublés de costumes guerriers et parés d’objets ne servant pas seulement de décoration chez des militaires d’occasion, et les ont laissés se lancer à l’assaut de notre petite chambrée.

 

Nous avons été surpris dans notre lent éveil dans cette antichambre du paradis ou de l’enfer, allez savoir les deux sont probablement pareils, et n’avons guère eu le temps de réfléchir.

 

Le Yéti anarchiste a hurlé quelque cri étrange issu du plus profond des entrailles du temps et des montagnes et s’est précipité sur les premiers intrus en leur lançant des objets de diverse nature. Les trois pingouins se sont enfuis en tenant leurs lunettes roses à la main et en disant par la foi de Saint Piero della Francesca ceci ne saurait se produire sans réaction de notre part, et pour que cela soit évident nous nous éclipsons ce qu’ils ont fait avec une parfaite dextérité en s’envolant avec force battements d’ailes.

 

L’autruche volante, flottante et trébuchante a souhaité faire de même mais s’est emmêlée les ailes et a décidé de courir à la manière d’un émeu désabusé en chantant : « je ne sais plus, moi non plus, c’est ainsi, je ne sais plus, pourquoi, pourquoi pas, alerte et pas, demain ou, deux degrés à droite et cinquante à gauche devant et derrière, bonjour » puis s’est écroulée à terre après avoir heurté la porte de la ferme adjacente. Elle a été immédiatement arrêtée en même temps que la machine à gaz rondouillarde et politicienne qui a tendu les tentacules lui servant de tuyaux lorsque le premier soldat ayant réussi à esquiver les coups du Yéti a fait irruption sur la véranda. Elle s’est exprimée solennellement disant : « je vous ai compris, l’expression de vos visage est de colère mais vos cœurs sont purs, ce pays est beau et vous ne supportez pas la violence, je le comprends bien, c’est ainsi, j’agirais de la même manière si j’étais parmi vous, l’un des vôtres, c’est pourquoi je ne souhaite qu’une chose, vous comprendre, et pour ce faire je me dois d’être libre de mes mouvements, observateurs privilégiés et amical, neutre et objectif. Entendons-nous bien mes frères, mes camarades, mes amis. » Elle n’a pas pu terminer sa phrase et s’est trouvée projeté au sol et lui aussi arrêté.

 

Quant à l’extincteur fort sage, comprenant que tout était perdu avant même que cela ne commence, il s’est simplement mué en extincteur tout court, silencieux et immobile, contre le mur, et on l’a laissé ainsi, pour solde de tout compte, mieux vaut qu’il soit à l’abri. Entre temps, le Yéti s’est trouvé immobilisé et embarqué dans un camion mal bâché.

 

Le radiateur jaune artiste multiforme et confronté à des délires fréquents dû à la juxtaposition de personnalités parallèles mais également perpendiculaires, s’est contenté de dire : « tout est fini, fort l’honneur. Mais non, cela ne peut pas se terminer ainsi. La ferme. Quoi ? Je te dis que les choses ne finissent jamais, ne commencent jamais, elles sont et c’est tout. Donc tu es. Moi aussi alors ? Pourquoi pas ? Au moins tu es d’accord ? Pas vraiment mais tout le monde s’en fiche non ? Pas Kierkegaard ! Qui c’est ce type ? » Mais les soldats n’ont pas réagi, ils ont probablement cru qu’il s’agissait d’une radio italienne ou française retransmettant une interview de quelques membres influents du gouvernement.

 

Maria était affolée. J’ai craint pour elle. Me remémorant les paysages souillés que nous avions traversés les jours précédents, je me suis précipité vers elle et l’ai camouflée aussi bien que j’ai pu le faire derrière le massif de verdure sur la terrasse puis, au moment où l’on arrêtait la machine rondouillarde je suis revenu dans la pièce centrale en criant : « cessez le feu. Nous nous rendons. Nous admettons tout. Nous signerons où vous voudrez les plus belles des confessions. Nous sommes humains après tout. Donc, le courage n’est pas nécessaire. Nous terminerons tous au paradis, même vous, alors ne gâchons pas notre plaisir. Nous sommes à vous. Et inversement, enfin je me comprends. Allons, cessons nos amusements. »

 

Ils m’ont jeté quelque chose sur la tête et ce n’est que quelques heures plus tard que j’ai réalisé que nous étions bel et bien prisonnier de quelques miliciens, mais que mon stratagème ridicule avait fonctionné, ils n’ont pas poursuivi leur recherche et se sont contentés de nous quatre, la machine à gaz, le Yéti, l’autruche et moi-même.

 

Je vous écris en tapotant sur le mécanisme confus de ladite machine à gaz, elle servira au moins à cela. Mes amis sont inquiets. Je le suis aussi mais en pensant à Maria laissée seule dans ce monde brutal. Je laisse les dernières lignes à la machine à gaz qui souhaite conclure cette chronique :

 

« je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris, je vous ai compris … »

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De nouveaux paysages dans le désert, de la signification d’une route bitumée au milieu de nulle part, des spéculations inappropriées à cet égard et à nouveau de ce pauvre Piero Della Francesca qui n’en demandait pas tant


De nouveaux paysages dans le désert, de la signification d’une route bitumée au milieu de nulle part, des spéculations inappropriées à cet égard et à nouveau de ce pauvre Piero Della Francesca qui n’en demandait pas tant 

Nous avons quitté cette succession de hameaux, villages et baraques brûlées ou détruites, ce monde de poussière et désolation, ces images de fin d’humanité, poursuivant notre marche lente et silencieuse le long d’une route bitumée, noire et brillante au soleil, avec lignes jaunes tracées méticuleusement de chaque côté, une apparence de normalité totalement surréelle au milieu de l’enfer, tandis que de part et d’autres de la route le même spectacle à l’infini, une savane ou steppe sèche, aride, perdue, marquée par endroit par un buisson épuisé, des grappes de pierres sombres, des taches d’herbes hautes jaunes sales, le tout traversé par un vent chaud et éreintant.

Plus loin, on reconnaît des groupes d’arbres plus conséquents dont certains sont simplement noirs, reliquats d’un ou plusieurs incendies, probablement liés aux évènements inconnus ayant aspiré la vie hors des contrées que nous venons de traverser.

Le vieil homme, avant de s’effondrer dans les bras de Maria avait demandé POURQUOI ? avant de s’effondrer une dernière fois. Nous n’en savons rien et ne sommes pas équipés pour comprendre, analyser, disséquer et examiner, nous ne sommes pas des médecins légistes, des experts, des envoyés de je ne sais trop qui pour enquêter sur je ne sais trop quoi et faire ensuite rapport je ne sais trop, nous sommes des âmes en peine marchant vers leur devenir lassés et éreintés par le spectacle en négatif qui leur a été offert en guise de prime de bonne conduite. Pourquoi nous ? Pourquoi pas…

Nous marchons sur cette langue noire séparant la contrée en deux parties semblables et similaires, deux absences, deux silences, deux zones sans ombre et sans vie.

Maria a fait remarquer ce matin que depuis que nous arpentions cet Hadès implacable nous ne nous étions jamais demandé pourquoi alors que tout était tragiquement pauvre, mort, gris et sombre seule la route était noire et bien entretenue. Certes, a-t-elle souligné, la route est parfois recouverte de tâches de sable ou terre, mais dans l’ensemble elle est en excellent état. Il n’y a pas de bosses, de trous, de parcelles abîmées, de morceaux de bitume disparus ou endommagés. Il pourrait s’agir d’une fraction de l’autoroute conduisant à un aéroport ultra contemporain dans une frange du monde oublieuse de tout ceci. Alors, d’où vient cette route ? Où va-t-elle ? Qui l’emprunte ? A quelles fins ? Nous n’avons vu que des traces de destruction, de mort, de combats, d’exils et de fuites s’étant produites dans des villages misérables et pitoyables le tout au milieu de roches, de sable, et de vagues arbres sans âge ni feuille, le tout recouvert de poussière.

Les trois pingouins aux lunettes roses qui étaient demeurés silencieux ces temps-ci accablés par la vue de tant de haine et de violence ont commencé à reprendre un peu d’énergie. Ils sont pareils à nous-mêmes mais un peu plus expressifs. Le spectacle de la mort laisse des traces aux tréfonds des âmes mais l’épiderme de celles-ci ne peut tolérer trop longtemps d’être ainsi marqué au fer rouge et cherche par tous les moyens à s’extirper de cette gangue de mort.

Ils ont ainsi disserté sur le contraste de la route et des villages incendiés et détruits : « Peut-être ces gens se sont-ils battus pour retrouver le lieu où est enfouie la Chapelle d’Arezzo et les fresques de Piero Pella Francesca qu’elle contient ? Peut-être qu’auparavant les hautes instances de la communauté internationale universelle, philanthrope et avisée avaient fait construire cette route pour amener les millions de spectateurs attendus vers celle-ci. Les villageois se seront ainsi battus pour savoir qui auraient le droit de protéger les lieux saints et bénéficier de la protection de Piero- qui serait bien triste de savoir que l’on s’est ainsi battu pour avoir l’honneur de lui rendre hommage de la manière la plus appropriée. »

La machine à gaz rondouillarde et politicienne a rompu le silence qui était le sien pour réagir immédiatement à ces propos : « Je vous ai compris chers pingouins, je crois que vous avez raison, comme toujours, il y a du vrai dans tout cela, nous devons obtenir des subventions des hauts représentants du peuple avisé et cultivé et permettre de déterminer un accès apaisé, facilité et ordonné vers les lieux saints d’Arezzo et sa chapelle renfermant les trésors de Piero. Le COUAC dont j’ai l’honneur d’être le Président, cette Confédération opportuniste et utopique des anarchistes contemplatifs, est prête à répondre immédiatement aux demandes qui pourraient lui être transmises, les étudier avec soin et éviter d’autres carnages de cette nature. Nous créerons un espace international sous contrôle COUACIEN, érigerons un mur surveillé par des miliciens universels et bons, séparerons ceux qui doivent l’être et déterminerons les critères permettant l’accès sans restriction des peuples comblés vers les lieux saints d’Arezzo. »

Le Yéti anarchiste a repris pour le coup sa faconde et subtilité habituelle et a répondu aux interlocuteurs précédents de cette manière un peu brusque : « Bandes d’imbéciles, on n’est pas en Italie. Ces villages ne sont pas Arezzo. La chapelle n’est pas dans le désert. Les représentants ébahis du monde se foutent de Piero comme de leur dernière chaussure, à moins qu’ils n’en obtiennent un exemplaire pour pouvoir le revendre aussi cher que possibles aux autres imbéciles de philanthropes, et vous, vous racontez n’importe quoi. Ce qu’on a traversé ce n’était pas le spectacle d’artistes en herbe, c’était autre chose. Cessez de raconter vos conneries et pensez au vieillard. Ce n’était pas Piero que je sache. »

Entendant ces propos fort nuancés, j’ai pris les devants, me suis munis de mon brave et fort sage extincteur et ai exigé le silence. J’ai enjoint aux pingouins de déposer les cailloux qu’ils avaient ramassés et au Yéti d’en faire de même avec le radiateur jaune artiste sur les bords qui n’avait rien demandé à personne surtout qu’il traverse ces jours-ci une crise d’identité particulièrement vive avec des bulles de son passé ayant émergées dans sa réalité quotidienne à la faveur des visions d’horreur précédemment décrites.

De tous j’ai exigé le calme et la dignité rappelant nos bonnes intentions de la veille suggérant d’arrêter pour l’heure toute spéculation inutile. Maria en a fait de même et alors que l’autruche volante, flottante et trébuchante souhaitait réciter un sonnet qu’elle qualifiait de paradigme de paix, elle l’a interrompue gentiment lui suggérant de reporter ceci au repas que nous prendrons dans quelques heures.

Nous avons repris notre marche vers le nord et vers une ligne sombre et verte qui semble émerger de l’horizon.

Peut-être s’agit-il d’un mirage. Peut-être pas.

wall544

Du silence assourdissant, des chorégraphies de Béjart, du rève de Constantin et des questions sans réponse


Chronique – 57

Du silence assourdissant, des chorégraphies de Béjart, du rève de Constantin et des questions sans réponse

Le silence, voici ce qui me frappe, la chose la plus étrange qui soit, une hésitation du temps me semble-t-il, le rappel que nous ne sommes pas grand-chose, une parenthèse entre un néant et un autre néant, mais souvent une réalité qui nous échappe, un éclairage sur une partie de nous-mêmes que nous ne connaissons pas ou préférerions ne pas connaître, un éclairage différent sur ce qui nous entoure car, avouons-le, nous sommes habituellement plongés dans un océan sonore implacable qui nous dévore, nous épuise, nous marque au fer rouge, sans que nous ne nous en rendions vraiment compte, une plaie d’autant plus vive que nous ne la notons même plus tant elle est ancrée dans nos veines, notre chair, notre esprit. Et là, mes pauvres amis et moi-même, somnambules, pantins dérisoires déambulant dans un pays qui jour après jour s’avère plus sinistre et éreintant que la veille, nous sommes submergés par cet intense et menaçant silence.

Même le vent se tait, même les objets semblent s’être enrobés d’ouate et lorsqu’ils chutent le font avec un forme délibérée de quiétude probablement inversement proportionnelle au délire qui a du précéder notre venue en ces lieux.

La poussière est partout, je l’ai dit, le sable s’incruste partout et nous isole du monde d’avant, nous progressons mais sans réellement comprendre où nous nous trouvons et sans comprendre ce qui s’est vraiment passé.

Cet endroit, ce pays ou lieu, ordinaire et banal, vidé de ses vivants, sans explication particulière mais sans que la violence rentrée qui se dévoile par-ci par-là ne nous laisse l’illusion d’un départ calme, serein et pacifique, nous emplit d’un terrible sentiment de terreur, d’injustice et, admettons-le, de peur.

Le bruit de la vie n’est plus là. Celui de la mort est partout, et celui-ci est d’évidence exprimée par une absence flagrante de sons. Lorsque nous marchons nous ne parlons pas et lorsque nous nous arrêtons nous murmurons, chuchotons, bredouillons quelques mots ou syllabes mais sans que cela ne forme autre chose que des demi ou quart de phrases sans véritables signification autre que l’onomatopée. Il n’y a que Maria et l’extincteur qui sortent du lot, de par leur force de caractère. C’est ainsi.

Le Yéti anarchiste souvent si débonnaire, drôle et bavard ne dit plus rien et se contente de faire des gestes vagues, des sortes d’auréoles larges finement chorégraphiées, façon Béjart pourrait-on dire si l’on avait le souhait d’ironiser sur ce qui se passe. Il y a quelques minutes il a tendu le bras dans un geste éloquent et ample vers une sorte de balançoire accrochée à un vieil arbre qui s’il était vivant serait d’évidence boiteux et qui était légèrement en mouvement, insidieusement, doucement, tristement, et le plus surprenant était que le cliquetis marqué par le frottement du vieux câble sur l’assise était presque inaudible, à peine perçu par nos oreilles, un chuintement désinvolte et terrorisant par sa signification… Où sont les enfants qui se sont amusés à cet endroit ? Qu’est devenu le rire de la petite fille ou du petit garçon qui s’est balancé à cet endroit il y a un certain temps ? Leurs pas doivent forcément résonner quelque part, non ? Il n’y pas d’enfant silencieux, cela ne peut se concevoir, ses pas sont forcément maladroits et hâtifs, désordonnés et joueurs, alors que sont devenus ses pas ? Il doit bien se cacher une vie dans cet océan abandonné…

Les trois pingouins aux lunettes roses dont Piero della Francesca hante l’esprit en permanence hésitent à commenter quoi que ce soit mais ont dit à Maria en début de journée que peut-être nous étions dans un rêve, semblable à celui de Constantin, et que bientôt tout deviendra plus clair, évident, limpide, que nous comprendrons ce qui s’est passé, que nous rencontrerons des absents, et qu’ils deviendront alors des présents, et ce sera à ce moment-là que nous nous réveillerons à Bangkok, Copenhague ou ailleurs, peut-être même sur la belle et bonne vieille île de Vienne, mais Maria leur a dit qu’il ne fallait jamais s’enfuir de la réalité et que si celle-ci semblait indiscernable, incompréhensible, inaccessible, c’était tout simplement que nous n’en possédions pas toutes les clefs mais qu’à force de réflexion, de concentration et d’analyse les choses finiraient par prendre leur place dans le doux et lent ordonnancement des situations, des lieux, du temps et des vivants.

Par contre, nous a-t-elle dit, il serait prudent de rester bien groupés, car notre petite communauté de par son incongruité pourrait nous protéger, tandis qu’isolés ou parsemés sur une longue ligne nous deviendrions des proies faciles pour qui ou quoi que ce soit qui ait été à l’origine de ce fléau, car il s’agit bien de cela.

Le grille-pain existentialiste n’est plus là, heureusement, sinon il se serait probablement mis à hurler, pleurer et trépigner. L’autruche volante, flottante et trébuchante ne perçoit pas vraiment ce qui se passe et semble la seule âme de notre groupe qui ne soit totalement grise. Parfois elle marmonne une sorte de mélopée dont nous ne percevons que des sons indistincts mais qui par ses tonalités très basses et bien involontairement je vous l’assure prend des aspects totalement tragiques les sons nous ont quitté, les arbres se sont vidés, l’arc-en-ciel n’est plus mais le ciel non plus n’est, même pas en arc, et si arc il y à c’est celui des paupières qui cachent les pleurs.

La machine à gaz rondouillarde a cessé je vous l’ai dit de vouloir persuader les choses et les êtres de voter pour le parti ou groupement anarchiste, utopiste, opportuniste ou dieu sait quoi encore en débutant ses phrases par un tonitruant et passéiste « je vous ai compris » et a au contraire remplacé ceci par un très résigné « je ne comprends » pas qu’il s’adresse à lui-même en hoquetant de manière un brin ridicule, mais qui dans la circonstance est la bienvenue car il rompt le silence qui nous hante.

L’extincteur fort sage a attiré notre attention tout à l’heure sur une toile d’araignée qui pendouillait piteusement entre deux arbres et a docilement et simplement indiqué que ce pays avait été déserté de toutes et tous, même de ses insectes, et que ceci ne pouvait pas vouloir dire grand-chose d’autre que l’approche de la mort ou sa fuite. Soyons objectifs a-t-il dit soit elle nous a précédé et nous ne risquons pas grand-chose car nous ne nous déplaçons pas trop vite et ne représentons aucune sorte de risque ou d’attrait pour qui que ce soit – à part toi Maria et nous devons prendre ceci en compte -, soit nous la précédons et nous allons nous ficher dans la gueule du loup, avec grand fracas, mais ce ne sera pas trop grave car nous ne nous en rendrons même pas compte.

Et moi dans tout cela ? Je marche, je suis le mouvement, je ressens la tristesse d’un monde qui s’est éteint et le poids des absents et me demande pourquoi cette humanité dont nous sommes membres à notre corps défendant peut produire de telles choses, mais sais que jamais aucune réponse ne me parviendra.

Alors, je laisse mon regard se poser sur une chaussure de femme penchée sur le côté au milieu de la route, un porte-clefs qui fut scintillant accrochée à des brins d’herbes roussis, un reste de collier dérisoire noué à une branche d’arbre, une voiture calcinée sans roues et sans porte, une table renversée et un seau en plastique roulant et roulant et roulant encore et encore, sans bruit, en silence, dans un tonitruant, assourdissant et invraisemblable silence.
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