Des difficultés d’interpréter la normalité ou la banalité…


Des difficultés d’interpréter la normalité ou la banalité…

 

Nous nous sommes installés autour d’une table dans une salle d’un restaurant vide de tout occupant.

 

Nous avions trouvé cet endroit en lieu et place de la maison d’hôte dans laquelle nous séjournions, celle-ci ayant refusé de nous proposer le couvert, le gîte oui, le couvert non, pourquoi ? Probablement parce qu’il est plus aisé, si on n’a pas d’autre choix, d’accepter de loger des personnes indésirables que de les nourrir, puisque dans ce dernier cas le risque de rencontres avec d’autres personnes est plus important.

 

Le tissus urbain dans lequel nous sommes actuellement perdu est assez anonyme et d’apparence normale.

 

Pas de situation surréaliste, pas d’incongruité particulière, les gens qui y vivent semblent similaires à toutes celles et tous ceux que l’on pourrait croiser dans n’importe quel endroit du monde, à Copenhague, Vienne, Bangkok ou autre, des gens qui parlent, d’autres qui fuient, certains qui s’amusent d’autres qui dialoguent avec eux-mêmes dans un cœur en chagrin.

 

Le restaurant que nous avons trouvé se trouve au bout d’une large avenue bordée de bâtiments, rénovés pour la plupart, dont les rez-de-chaussée sont occupés par des commerces divers, des garages automobiles ou des services soi-disant publics et les étages par des officines d’avocats, de notaires ou de prestataires de service de différentes natures voire des appartements.

 

Nous avons pénétré dans un endroit vivant et à l’atmosphère conviviale marquée par un brouhaha chaleureux qui, malheureusement, s’est très rapidement transformé en silence monacal puis à nouveau brouhaha mais à tendance amère. Il aura suffit de quelques minutes seulement, le temps nécessaires pour nous installer autour de la table ronde dans la deuxième salle, pour que tous les autres clients puissent quitter les lieux, sans bruit ni désordre, une fuite disciplinée et bien organisée.

 

Le personnel lui-même s’est rapidement réduit à sa plus simple expression, c’est-à-dire un homme d’une cinquantaine d’année et une femme bien plus jeune que lui.

 

Maria au regard si profond que je m’y perds régulièrement a indiqué à la deuxième nommée ce que nous consommerions et lui a demandé si d’aventure par quelque mouvement ou propos inapproprié nous avions effrayé les usagers de ce lieu. La jeune femme n’a pas répondu et s’est contentée de sourire nerveusement avant de se réfugier dans la cuisine et passer la commande à voix basse à des interlocuteurs invisibles. Maria a réitéré sa question à l’homme d’âge mûr mais celui-ci s’est contenté de fixer le mur sur lequel était suspendu une luge, des skis, des voitures en métal, des rouets, une table d’école, une machine à coudre des années cinquante, un banc public, un banc privé, des patins à glace, une balle de football, une paire d’avirons, des maquettes de voilier en bois tendre, des lampes à pied, et des casseroles en cuivre.

 

Maria a alors suggéré de poursuivre notre conversation sans nous occuper davantage des autres habitants de ces lieux puisque d’évidence nos questions les gênaient.

 

La machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes a indiqué que d’une part elle nous avait compris et d’autre part elle avait compris les habitants de ces lieux, ce qui entre nous soit dit ne revêtait pas une importance fondamentale mais semblait lui faire plaisir. Ce qui gêne ces gens a-t-elle commenté par la suite ce n’est pas tant notre physionomie qui est finalement assez anodine et anonyme mais notre manière d’être. Nous marchons tandis que la plupart des gens se déplacent d’évidence en voiture. Nous sommes visiblement en grande conversation la plupart du temps, nous regardons les objets et les vivants comme si nous les voyions pour la première fois, nous nous étonnons de tout et de rien, nous ne savons pas où aller, tout cela doit les perturber.

 

Je ne sais pas si elle avait raison mais j’en doute.

 

N’importe quel étranger se comporterait de la même manière et j’imagine que ceci ne devrait pas provoquer cette consternation teintée d’angoisse assez vive. L’incohérence de notre comportement ou la difficulté pour les autochtones de le concevoir et l’interpréter clairement devrait en tout état de cause les amener à nous regarder ou nous aborder avec dédain ou une certaine forme de superbe.

 

Tel n’est pas le cas. Il doit y avoir dans notre groupe un ou une particularité qui les surprend de telle manière qu’ils, je veux dire les habitants de ces lieux, éprouvent une peur frôlant les limites inférieures de la panique.

 

Ceci est très perturbant, je dois l’admettre.

 

J’ai rarement fait peur à qui que ce soit et se retrouver dans la peau d’un tel individu induit en moi une forme bizarre de mal-être. Maria qui a ressenti mon appréhension avant même que je ne l’explicite a souligné que le problème n’est pas tant notre comportement que le leur. Dans une société de ce type il est évident que nous devrions être rejetés, voire ostracisés, jusqu’à ce que l’on nous connaisse un peu mieux et finisse par nous accepter tels que nous sommes. Le fait qu’il y ait parmi nous des vivants non-humains pourrait les effrayer ou les déranger peut-être mais pas les terroriser. Il doit donc y avoir autre chose derrière tout cela. Mais, ne vous inquiétez pas outre mesure, il y a forcément une raison justifiant tout ceci et elle deviendra claire très rapidement… Par ailleurs, nous ne savons pas où nous sommes ce qui n’aide pas forcément, n’est-ce-pas ?

 

Les pingouins amateurs de Piero della Francesca ont immédiatement réagi en soulignant que eux savaient où nous n’étions pas, à savoir Arezzo, puisque par définition la ville d’Arezzo ne pouvait être que chaleureuse, ouverte d’esprit et humaniste, ce qui n’était pas le cas ici.

 

L’extincteur fort sage s’est interrogé sur le point de savoir si nous n’étions pas revenus à Vienne tandis que le grille-pain existentialiste solidement accroché sur mon épaule droite a suggéré d’aller dans une librairie aussi rapidement que possible pour acheter les œuvres complètes de Kierkegaard ce qui nous permettrait, selon lui, d’y voir plus clair.

 

De mon côté, j’ai murmuré à la jeune fille au foulard rouge qui se trouvait sur ma droite – ce qui m’oblige à me contorsionner pour pouvoir la regarder tandis que je lui parle sans avoir à bouger le grille-pain de sa position allongée – que nous devrions observer avec attention le personnel du restaurant, en fait l’homme et la femme mentionnés précédemment, et déterminer sur qui leurs regards se porte et sur qui ils ne se portent pas tout en notant les caractéristiques desdits regards.

 

Maria qui m’a entendu a trouvé cette idée excellente et nous sommes tous prêts à observer les regards du personnel de ce lieu, ce qui pourrait peut-être les gêner d’avantage, quoi que… A demain.

 

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D’une bâche verte déchirée et de la fin d’un monde de pacotilles


D’une bâche verte déchirée et de la fin d’un monde de pacotilles

 

Le sol s’est effondré sous nos pas.

 

Ce monde artificiel, lumineux, brillant, aux couleurs éblouissantes, au vernis lisse et étincelant, aux contrastes bien marqués et à l’ombre formant un angle à 45 degrés, n’est plus. Il a disparu sous les coups de boutoirs de quelque bon ou mauvais génie, une implosion progressive, un cheminement nous ayant mené de l’illusion à la désillusion, ou inversement, une lente dérive sous un ciel de pacotille, des projecteurs simulant des astres, des décors parfaits mais à l’économie ne couvrant le sol en béton que pour la surface absolument nécessaire pour ne pas être visible depuis la route bitumée qui coupe le paysage en deux quadrilatères parfaits, ou plutôt qui coupait le paysage en deux, car il n’y a plus de paysage, il n’y a plus de route bitumée, il n’y a plus de quadrilatère, plus que des amas de poussières, des cendres et des objets non identifiables jonchant le sol et s’accumulant sur un bassin de fortune dans lequel se déverse des flots imparfaits jaillissants de lances à incendie automatiques et qui simule une mer grise à l’endroit où auparavant une mer bleue azur lissait ses stries d’écume au spectateur inattentif et grisé par la magie des illusions.

 

Tout cela n’est plus.

 

Nous n’avons pas été blessés.

 

Tout juste le Yéti anarchiste aura-t-il écopé d’une belle bosse en recevant sur la tête un morceau de plâtre détaché du ciel qui s’effondrait.

 

J’aurais pu être blessé moi aussi, mais légèrement, si l’extincteur existentialiste n’avait eu la présence d’esprit de me murmurer à l’oreille droite, vous vous rappellerez peut-être qu’il siège magistralement sur cette épaule depuis un certain nombre de jours : à mon humble avis tu devrais songer à te déplacer de deux ou trois mètres sur ta droite pour éviter de ne recevoir sur l’occipital la partie inférieure de ce qui devait simuler un hêtre et n’était d’évidence qu’un assemblage de plâtre, de ferraille et de plastique.

 

Je me suis retourné au moment où ledit décor s’effondrait vers nous me laissant ainsi quelques précieuses secondes pour me jeter dans la direction proposée par l’extincteur souriant. Pour le reste, nous n’avons que peu souffert et n’avons pas été affecté outre mesure par le basculement de ce monde suites aux bouleversements qu’il subissait.

 

Le chaos s’est installé mais le brouhaha qui l’accompagnait n’aura finalement que très peu duré, guère plus de deux ou trois dizaines de minutes. Puis, tout s’est tassé.

 

L’effondrement, le flétrissement, l’affaissement, peu importe le terme, aura été très bref. Puis, la poussière virevoltante s’est propagée avant de se déposer minutieusement en une couche unique d’un millimètre d’épaisseur.

 

Le silence s’est imposé suivi d’un glissement très lent d’une clarté grisâtre à une lumière clignotante et de faible intensité, le résultat d’un clignement imperceptible des néons dorénavant visibles qui auparavant étaient cachés sous un faux-plafond brillant.

 

Nous sommes restés proches les uns des autres. La peur rapproche. Plusieurs d’entre nous avaient les mains serrées sur la poitrine ou enfoncées dans celles des voisins. Nous sommes décidément semblables à tous les humains qui dans les tragédies les plus extrêmes songent trouver un salut impossible dans la force d’un groupe dérisoire. Heureusement, il ne s’agissait pas d’une telle situation et nous avons simplement vécu l’implosion d’un décor en carton-pâte.

 

Après un moment de surprise teintée d’anxiété, nous avons repris la distance nécessaire par rapport aux évènements et avons pu débuter le processus de pondération et d’analyse des faits qui venaient de se produire et dont j’ai tenté de vous décrire le lent cheminement.

 

Les pingouins amateurs de Piero della Francesca ont en un trait nié toute implication dans cette destruction mais se sont réjouis de la disparition d’un monde ‘barbant’, ‘mortellement ennuyeux’, ‘plus fade que des asperges à la mayonnaise’, et ‘beaucoup plus lassant qu’un océan d’incertitude’.

 

La machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes a naturellement affirmé qu’elle nous avait compris et que tout s’arrangerait puis s’est mise à osciller sur elle-même en indiquant qu’il s’agissait là d’une nouvelle forme de gymnastique philosophique à vocation fataliste.

 

Maria au regard si profond qu’il m’absorbe délicatement en permanence n’a pas prononcé de mots mais s’est aventurée la première autour de nous, enjambant les pans du monde écroulé, escaladant des masses sombres et s’avançant au milieu de déchets plastifiés. Nous l’avons suivie avec un peu d’appréhension pour la rejoindre sur un socle de béton assez solide, là où auparavant une partie de la route devait être scellée.

 

La jeune fille au foulard rouge a observé de son regard perçant les environs pour conclure qu’une partie des décors s’était écroulée sur la droite laissant passer des traits de lumière plus francs et prononcés qu’ailleurs ce qui pouvait signifier qu’une ouverture y était dissimulée.

 

Pour ne pas demeurer bêtement coi, j’ai proposé de nous diriger dans cette direction mais ces propos étaient manifestement inutiles puisque Maria nous précédait d’une bonne dizaine de mètres.

 

Nous avons marché au milieu d’un environnement démonté et boursouflé mais peu dangereux, avons entrepris la montée d’un reste de colline en pente douce pour aboutir à un affaissement plan que nous avons utilisé comme promontoire pour contempler les environs.

 

Tout était chaotique et dérangé, bouleversé, mais effectivement sur la droite un mur recouvert d’une bâche verte vibrait légèrement laissant passer une lumière fade mais d’apparence naturelle. Maria a repris sa marche suivie par le reste du groupe et nous a menés à cet endroit où nous nous trouvons maintenant, une immense ouverture vaguement dissimulée par une bâche déchirée en son milieu.

 

De là où nous nous trouvons il devient évident que nous nous trouvions dans un hall immense.

 

Au-delà de l’ouverture béante s’ouvre un paysage tout autre, un village ou un bourg, des voitures, des gens qui marchent, d’autres qui parlent entre eux, un ciel nuageux ruisselant une faible pluie, des oiseaux qui volent en rase-mottes.

 

Il me paraîtrait juste après ces périples ininterrompus et dangereux de revenir dans un endroit plus ‘normal’ même si ce mot ne veut pas dire grand-chose. Je vous en dirai plus demain.

 

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Des pingouins fort irascibles et des touristes peu loquaces


Des pingouins fort irascibles et des touristes peu loquaces

 

La situation dans cette salle de musée où nous nous sommes retrouvés un peu par hasard au gré des divagations d’un autre moi-même, écrivain de son état, s’est stabilisée.

 

La superficie du monde connu s’est élargie à plusieurs salles toutes un peu similaires mais disposées en croix autour de la salle centrale où nous nous reposons.

 

L’auteur demeure allongé et endormi sous une toile de Vermeer que mon imagination a peinte en un portrait de femme à la robe bleue qui n’est autre que Maria au regard si profond que je souhaite ardemment m’y perdre à nouveau.

 

Sur lui sont assis le grille-pain existentialiste et les trois pingouins aux lunettes roses, amateurs de Piero della Francesca. Des touristes aux pulls rouges passent et repassent devant les toiles, toutes blanches sauf pour moi qui les ai agencées à mon gré, et s’extasient lorsque le matériel audiovisuel prêté par le musée leur dit de procéder de cette manière.

 

J’ai demandé aux pingouins où, quand et comment ils s’étaient retrouvés tous les trois mais ils n’ont pas daigné répondre à cette question. Ils ont poursuivi leur conversation portant sur la meilleure manière de procéder à la vente des toiles blanches et ont fini par s’entendre sur une vente aux enchères en cet endroit précis à l’attention de mécènes philanthropes amateurs d’art, généreux sauveurs du monde, dont un pourcentage important irait selon eux à la préservation de la banquise et le reste à la mise en place du système légal permettant d’aboutir à la déclaration d’indépendance de la chapelle d’Arezzo où reposent les fresques fameuses de Piero.

 

Je me suis permis de reprendre la parole mais au lieu de répéter mes questions qui visiblement ne les inspiraient guère, j’ai aiguillé mon attention sur leur sujet de préoccupation permanent depuis que je les connais, à savoir Piero.

 

« Pourquoi procéder à une telle vente lorsque vous disposez de la possibilité unique de posséder une toile de Piero » leur ai-je demandé. « Il y a un peu plus loin une toile qui pour vous est blanche mais pour moi représente le rêve d’un Constantin avec un ange en premier plan pointant sa main vers l’Empereur. La scène est cependant différente de celle d’Arezzo, Constantin ne dort pas sous une tente mais dans le désert, et l’on distingue en haut à droite une cité fortifiée dont les toits ressemblent à cette mégalopole plongée dans de profondes convulsions au sein de laquelle nous avons vécu il y a peu. Deux soldats dorment debout, l’un a des yeux très ronds qui ressemblent à ceux de l’autruche volante et trébuchante tandis que l’autre a autour de son poignet un bracelet rouge que portait la jeune fille amie de Maria. Vous pourriez procéder de même, prendre possession virtuelle de cette toile blanche attribuée à Piero et vous posséderiez de fait la plus précieuse des créations que l’on puisse un jour rêvé avoir ».

 

Les pingouins n’ont pas réagi immédiatement. Ils se sont parlés à voix basses puis finalement l’un d’eux, Bob peut-être, s’est adressé à moi d’une manière très sèche : « D’abord, ceci ne te regarde pas. Ensuite, nous faisons ce que nous voulons de nos toiles, blanches ou pas. Jouer avec les œuvres de Piero est un délit qui bientôt sera répréhensible au titre d’une législation à venir à Arezzo. Vouloir sans arrêt t’incruster dans notre conversation est pénible, cela ne nous intéresse pas. Nous allons procéder à la vente aux enchères de ces toiles que tu le souhaites ou non ».

 

« Mais », ai-je rétorqué, « ces toiles sont blanches, personne ne vous les achètera ».

 

Bob, ou son équivalent, m’a regardé avec un regard dont le niveau élevé de condescendance rejoignait celui du dégoût puis a conclu : « tu n’es pas un enfant, non ? Tu devrais savoir que les philanthropes n’ont que faire de ce qui peut se voir sur une toile, ce qui les intéresse ce sont les noms en bas à droit, sur le carton doré qu’ils se font épingler au mur par les célèbres maisons dont il s’agit. Le mieux pour eux est d’acheter quelque chose dont tout le monde dit que cela ne les vaut pas, car ainsi ils se seront montrés à la fois généreux et riches, le contraire de ce qu’ils sont en réalité. Comme disait il y a peu une personne qui nous manque beaucoup, ils ne font qu’acheter avec l’argent des autres des objets qui n’appartiennent pas aux vendeurs et dont le produit de la vente ne servira à rien d’autre que monter le degré de prestige qu’ils souhaitent atteindre. Maintenant, s’il te plait, va jouer avec les touristes et fichent nous la paix ».

 

Je n’ai pas répondu. On m’a toujours dit qu’il ne fallait pas s’abaisser à répondre à l’injure par l’injure.

 

J’ai souhaité discuté avec le grille-pain car ses conseils de la veille avaient été très judicieux et je souhaitais lui faire part des images qui progressivement avaient peuplé les tableaux autour de nous, mais il m’a indiqué qu’il devait s’occuper de la fièvre de l’auteur qui dormait sous lui et apparemment se portait plutôt mal, peut-être une maladie du voyage, peut-être l’effet de l’humidité qui prévalait dans l’au-delà de la veille.

 

J’ai donc déambulé dans les pièces autour de nous et ai laissé mon imagination remplir les toiles. Je me suis surpris à découvrir des cadres dorés et raffinés qui souvent attiraient plus les regards que les toiles elles-mêmes. Mais, j’ai poursuivi mon travail et ai laissé les desideratas de mon imagination procéder comme bon leur semblait. De fait, ils ont joué avec Poussin, Raphaël, Goya, Dubuffet, Fautrier, et plusieurs autres et ont reproduit des œuvres intéressantes.

 

Me trouvant aux côtés de plusieurs touristes au pull rouge et aux visages lisses je n’ai pu résister à la tentation de demander à l’un ou à l’autre ce qu’ils pensaient des œuvres dont il s’agissait. Certains n’ont pas répondu car les écouteurs les empêchaient de m’entendre, d’autres m’ont enjoint de me taire, et d’autres encore ont souligné combien ces artistes étaient inestimables et leurs œuvres essentielles.

 

Je me suis tu.

 

J’ai regardé vers les plafonds et ai remarqué que dans plusieurs des pièces que je découvrais l’auteur n’avait pas eu le courage, la force ou la volonté de finaliser les hauteurs qui se trouvaient de ce fait sombres ou vides, s’effaçant comme des jeux de miroirs vers un infini qui en l’occurrence ne me paraissait pas si enthousiasmant que cela.

 

Ne m’en veuillez pas mais après avoir voyagé dans l’au-delà et en être revenu plus ou moins intact, je suis un peu blasé quant à ces artifices un peu enfantins que l’auteur se permet de lancer dans notre environnement afin de les perturber.

 

Je suis donc revenu vers la pièce centrale et ne sachant que faire car il n’y avait pour l’heure pas d’accès possible vers d’autres pièces ou vers la sortie, je me suis assis sur l’auteur ce qui m’a fait sourire. Après tout, ce n’est pas si souvent que l’on a la possibilité de poser son séant sur son propre visage, même les contorsionnistes les plus aguerris n’y arriveraient pas.

 

Si tout continue d’évoluer comme ces dernières vingt-quatre heures, l’auteur endormi devrait avoir ajouté quelques pièces et couloirs à notre petit monde d’ici demain, il est très productif ce garçon, je ne manquerai pas alors de vous rapporter ce que j’y verrais.

De l’importance de ne jamais confier à des pingouins une transportation virtuelle et d’une douce et sainte colère de l’auteur de ces lignes


 

De l’importance de ne jamais confier à des pingouins une transportation virtuelle et d’une douce et sainte colère de l’auteur de ces lignes

Je vais probablement regretter ce que je vais écrire, ce n’est pas politiquement correct, c’est parfaitement inapproprié, et vous direz ensuite que ce qui était arrivé était en fait inopiné, totalement, et vous m’en voudrez, je le sais bien, et je vous prie humblement et par avance de bien vouloir excuser mon emportement singulier et probablement surprenant, c’est un fait, mais disons-le nettement, haut et fort, ne laissez jamais un crétin de pingouin diriger une opération de transportation virtuelle, ceci ne pourra que mal se terminer.

Voilà c’est dit et pour la première fois depuis le début de cette chronique avec des termes légers et inadéquats. Pardon, mille pardon, dix mille pardon mais, je dois vous l’avouer, je suis vraiment excédé.

Que l’on me comprenne bien, je n’ai rien en particulier contre la gente pingouine, je la trouve pour le moins sympathique, évoluée, cultivée, charmante et attachante, tout cela est une évidence, donc rien dans mes propos ne doit être considéré comme une attaque de naturelle globale contre l’espèce pingouine qui au demeurant se trouvera bientôt dans une situation délicate compte tenu du réchauffement climatique et de la présence contiguë desdits pingouins ainsi que des ours sur les mêmes lopins de glaces et pierre, ce qui ne sera bon ni pour la croissance des glaces ni pour celles des bipèdes dont il s’agit, donc je le répète il n’y a de ma part aucune volonté de dénigrer une espèce animale dans son ensemble.

Le fait que les pingouins soient originaires du nord de l’hémisphère occidental n’entre nullement en compte dans le constat que j’ai fait, ce serait proprement déplacé voire raciste, je n’éprouve aucun sentiment particulier à l’égard ou l’encontre des populations de ces contrées septentrionales, pas le moins du monde, rien à dire, rien à voir, je suis sourd à ce type de propos.

Je n’ai rien non plus contre la couleur blanche et naturellement rien contre la couleur noire, ni d’ailleurs rien contre quelque couleur que ce soit, je m’en fiche éperdument, cela m’indiffère ou plutôt me laisse pantois et coi, je suis silencieux, j’aime toutes les couleurs, rien à dire là-dessus, comprenez-le bien.

Quant au fait que mes pingouins à moi portent des lunettes roses, je vous prie de n’en tirer aucune conclusion, les questions de genre ou autre ne sont pas du ressort de cette tribune ou chronique, pas de cela ici.

La propension naturelle desdits bipèdes palmés et volants de se promener en groupe de trois ne doit pas être retenu contre moi, je n’y peux rien et je n’ai aucune idée si cela se produit ainsi dans la nature, mais dans une chronique intemporelle, virtuelle et absurde, ceci n’entre pas en ligne de compte. Non, pas de problème de cette nature-là.

Enfin, si vous pensez noter dans mes propos des considérations déplacées contre ce cher Piero della Francesca, je vous prie d’effacer ceci de vos mémoires, carnets de note ou cartons de rangement sur lesquels vous êtes peut-être en train de préparer mon acte d’accusation.

Tout cela n’a rien à voir.

Par contre, permettez-moi de vous rappeler quelle était la situation de notre entreprise hier soir à 23 heures et 59 minutes.

Nous étions, je vous le rappelle, sous l’impulsion de Maria au regard si profond et délicat que je m’y perdais tout le temps, là je vous prie de noter le temps que j’utilise, pas le présent, ô grands ou petits dieux non, le passé, l’imparfait, c’est-à-dire que ceci est dans mon passé et que j’ai perdu cette espérance de perfection qu’elle représentait, et bien nous étions en train de réaliser notre rêve commun depuis des mois, quitter ces lieux de misère, chaos et convulsion et rejoindre Arezzo la douce, en Toscane, au milieu de laquelle une chapelle s’élève contenant les fresques du bien nommé Piero.

Maria avait négocié avec l’individu louche qui est le créateur de ces lignes la possibilité de prendre pied dans cette réalité virtuelle là et de nous y rendre ensemble et rapidement, sans autre forme de procès, en tout bien et tout honneur, sans baignoire qui fuit, bateau qui chavire, avion qui s’écrase, non tout simplement par la sainte intercession des lois et principes informatiques.

Maria avait enjoint au créateur de ces lignes de nous accorder la possibilité de nous ressourcer à Arezzo pendant quelques temps, juste ce qu’il faut pour nous reposer un peu, déclarer en passant l’indépendance de la cité et peut-être, admettons-le, soyons franchement fous, créer quelques trépidations, tumultes et turpitudes légères et digestibles en passant, rien de moins mais rien de plus non plus.

Tout était au point.

Nous étions en cercle, Maria, cette chère autruche volante, flottante et trébuchante qui pour l’heure se contentait de hoqueter « eh viva la révolucion, que Saint-Pétersbourg soit, et vivement qui verra que viennent les vieux », les trois pingouins innommables, et la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne et dorénavant dépressive.

Bien sûr manquaient le Yéti anarchiste et l’extincteur fort sage mais cela vous le savez déjà.

Quant au pauvre grille-pain existentialiste, je suis encore trop ému pour vous en parler mais tient dans ma poche arrière droite le fil gainé de plastique noir qui lui permettait de se ressourcer en jus de fruit électrique.

Donc tout était approximativement au point, les présents en cercle et les absents en carré d’absence.

Chacun tenait son ipad en main sur lequel nous avions écrit le mot sacré, Arezzo, et par l’intercession de googlemap et le bénéfice du doute nous étions censés entre 24 heures et zéro heure zéro minute et zéro seconde, nous propulser vers ladite cité toscane, tous ensemble, en cercle vertueux, la main dans la main. La jeune fille au foulard rouge nous regardait avec un brin de mélancolie douce dans l’œil droit et de nostalgie dans le gauche.

Tout était au point mais ces braves et bons pingouins n’ont pas réussi à se tenir calme et coi comme l’accord en sept exemplaires signés avec l’auteur le stipulait.

Ils se sont émus de la possibilité que nous ayons épelé la ville d’Arezzo de manière inappropriée et sont précipités sur nos écrans luisants et polis pour policer la police de nos ipad à l’ultime moment ce qui a créé confusion et chaos nous propulsant quelques secondes plus tard chacun dans un endroit différent.

Me voici donc, chers amis lecteurs sur l’île d’Arezo dans la province azerbaidjanaise orientale sis en Iran, grâce m’en soit rendu, avec pour compagnon remarquable un des trois pingouins tandis que mes amis sont, je l’imagine, près du lac d’Arreso au Danemark ou dans la ville d’Areso au pays basque espagnol.

Quant à imaginer que l’une ou l’autre soit arrivée à Arezzo en Toscane j’ose à peine l’imaginer et, si tel devait être le cas, je pense que ce pourrait être la jeune fille au foulard rouge qui n’en avait pas demandé autant.

J’ai toujours affirmé que la vie était une succession de hasards, en voici une nouvelle démonstration et si vous le voulez bien permettez-moi de célébrer mon cher compagnon pingouin en lui volant les plumes pour vous envoyer cette missive ma plaquette étant tombé en panne de batterie, ce qui finalement ne m’étonne pas, plus rien ne m’étonne, l’étonnement ne saurait être autre chose qu’un cousin germain de ma solitude. Je vous souhaite une bonne nuit où que vous puissiez être, ne jouez pas trop avec votre ipad, on ne sait jamais…

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D’un discours sur la méthode et du peu d’influence que cela peut avoir sur notre comportement


D’un discours sur la méthode et du peu d’influence que cela peut avoir sur notre comportement Notre séjour dans cette terre de misère et poussière touche à sa fin. Nous l’avons annoncé à la jeune fille au pull rouge et à sa mère. Nous avons fait ce que nous pouvions faire, c’est-à-dire pas grand-chose, mais […]

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D’un discours sur la méthode et du peu d’influence que cela peut avoir sur notre comportement


D’un discours sur la méthode et du peu d’influence que cela peut avoir sur notre comportement

Notre séjour dans cette terre de misère et poussière touche à sa fin. Nous l’avons annoncé à la jeune fille au pull rouge et à sa mère. Nous avons fait ce que nous pouvions faire, c’est-à-dire pas grand-chose, mais au moins aurons-nous essayé, certains de manière décisive et constructive, telle Maria au regard si profond que je m’y perd si fréquemment ou l’extincteur fort sage qui a proposé des références historiques à toute une jeunesse laissée à elle-même, d’autres avec une dose de décalage avec les besoins, la réalité et les circonstances, c’est-à-dire l’autruche volante, flottante et trébuchante, les trois pingouins aux lunettes roses amateurs de Piero della Francesca et votre serviteur, perdus dans des recherches infructueuses, des contemplations inutiles et des observations stériles, et enfin, d’autres encore, à contre-courant ou de manière parfaitement intrusive et paternaliste, néocolonialiste pourrait-on dire, tentant d’imposer à des peuples qui ne le leur avait pas demandé leur avis, opinion ou marche à suivre stéréotypée, je veux dire la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne et le Yéti anarchiste.

Nous allons donc quitter les lieux, en tout cas certains d’entre nous, Maria, l’autruche, les pingouins, la machine rondouillarde dorénavant fortement aigrie et marquée dans son ego révulsé et rejeté, et l’auteur de ces lignes.

Nous irons à Arezzo.

Notre destination est claire et notre détermination intacte. Nous y irons car c’est une promesse que nous avons faite aux pingouins et peu importe le caractère ridicule, niais ou absurde de cette quête nous nous devons d’y aller.

Mais cette fois-ci nous procéderons autrement qu’il y a quelques semaines. Finies les hésitations et le laisser-faire, nous ne nous laisserons pas entraîner sur les sinuosités du destin par quelque navire humanitaire ou des baignoires trouées. Depuis ce matin nous réfléchissons au meilleur moyen d’entreprendre cette traversée.

Nous avons réuni cartes et ordinateurs, avons repéré Arezzo sur des plans de différentes tailles et format, avons compilé matériels, logiciels et données et échangé toutes sortes d’idées.

Le premier constat que j’ai formulé est qu’il serait bon de déterminer le nom du pays dans lequel nous avons échoué voici des semaines déjà, ainsi que la ville où nous nous cachons actuellement. « Ce serait un bon point de départ » ai-je fanfaronné à l’adresse de Maria montrant que mon séjour dans le désert avait eu quelque effet salutaire « et de là nous pourrions dresser des lignes, tracés et itinéraires. Adieu les approximations du temps où nous pensions être partis de la bonne et belle île de Vienne et naviguions sur la Mer d’Autriche, fini tout cela. Nous devons être précis, procéder par extrapolation, déduction, et recoupement des faits et analyses. Le sérieux de notre méthode ne doit plus être sujet à caution ».

Tout le monde a opiné du chef et nous nous sommes penchés sur toutes les cartes disponibles jusqu’à ce que les pingouins ne proposent plus prosaïquement de nous rendre à l’aéroport le plus proche et prendre des billets car après tout, ce serait la démarche la plus légitime et naturelle, un aéroport, deux aérogares, trois avions, quatre passagers et cinq pilotes, et vogue la galère, direction Arezzo, et qu’on nous serve purée de marrons et quiche aux poissons avec un bon verre de Merlot Tessinois. Voici la façon la plus simple de procéder.

Nous avons alors ouvert d’autres livres, manuels, ordinateurs et médiums de toutes sortes, jusqu’à ce que Maria ne déclare très simplement que « la gente humaine étant ce qu’elle est, c’est-à-dire peu tolérante de nature et dans les circonstances assez suspicieuses je ne suis pas sure que l’arrivée d’un groupe d’amis composé de deux humains, une machine, trois pingouins et une autruche volante se fasse dans la discrétion et conduise à une action décisive, circonstanciée et adéquate du personnel au sol de quelque compagnie aérienne que ce soit ».

Nous avons arrêté notre frénétique recherche et avons contemplé le plafond fort beau de la pension de famille de la mère de la jeune fille au tee-shirt rouge, songeurs, atterrés, perplexes, jusqu’à ce que l’autruche dans sa faconde habituelle ne déclare « cigognes dans le ciel, paquets dans le bec, moi je vole, vous dans paquets, et pan dans le ciel, et sourires partout, le bonheur est là, l’arc-en-ciel se crée et nous avançons, les choux sont gras, les bambins pleurent, on les comprend, mais on avance ».

Nous avons alors envisagé la proposition étonnante de notre volatile préféré analysant notre poids total brut, bagages non comptés, déterminé la surface de tissus nécessaire, calculé la résistance de ce dernier suivant la formule bien connue xgt x T2 = m(e/7.89)/14×3, envisagé la force de portance des ailes de l’autruche, déterminer ses battements d’aile à la minute, extrapoler sur une heure et finalement conclu de par le bec des pingouins qu’il faudrait trois cent kilos par heure de pâte d’arachide, merlan, fils électriques et beurre d’anchois pour nourrir l’autruche ainsi que trois cent deux litres d’eau par période de trois heures et sept minutes, ce qui paraît parfaitement inadapté et impossible à concevoir de la manière méthodiste, méthodique et kantienne suggérée par Maria la douce. Adieu le transport par voie autruchienne, ce qui n’est pas si regrettable par ailleurs puisque nous n’avions pas obtenu la certitude de pouvoir voyager en classe affaire.

Nous avons repris la discussion à son point d’origine et étudié la possibilité de prendre le train, mais ceci nous a entraîné dans des circonvolutions fort regrettables sur les points précédemment évoqués notamment le point de départ, « où sommes-nous bon dieu ! » a résumé l’un des pingouins, une expression regrettable qui a provoqué une discussion de nature théologique avec la machine à gaz rondouillarde qui a retrouvé un peu de sa fraîcheur et verdeur pour indiquer « je vous ai compris, et si tel est le cas, croyez bien que le tout puissant vous a compris. Vous n’imaginez tout de même pas qu’un assemblage de métal puisse déterminer quelque chose que le très haut et très puissant n’aurait pas imaginé un quart de seconde avant lui. Si moi je comprends, alors Lui, ou Elle, perçoit tout avant que nous ayons envisagé de concevoir ladite pensée ».

Deux heures de discussion échevelée s’en sont suivies. Finalement, Maria nous a interrompu et a dit très simplement la chose suivante « Soyez prêts demain matin à neuf heures. Nous partirons. Je vous indiquerai comment. Pour l’heure, que chacun s’apaise et que nous profitions de ces dernières heures pour prendre congé dignement de celles et ceux qui nous ont accueillis dans cette pension ».

Nous en sommes là, réunis autour d’une table, dégustant des plats et mets plus raffinés les uns que les autres, entendant des chansons tendres et douces psalmodiées par trois jeunes vieillards du voisinage, et profitant une dernière fois de la douce et chaude atmosphère de ce pays convulsé mais si humain.

Je ressens une douleur étrange du côté gauche de ma poitrine, j’ai l’impression que l’on appelle cela un pincement au cœur mais dans la mesure où je suis assis à côté de Maria, ma main dans la sienne, ceci ne saurait être le cas.

Alors, que l’or du soir tombe, mes yeux sont las, et mon âme colorée est prête à toute éventualité.

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D’un sentiment d’intense désolation et d’impuissance


D’un sentiment d’intense désolation et d’impuissance 

La solitude pèse même ou surtout lorsqu’elle s’exprime collectivement.

Auparavant, j’étais seul et souffrais en silence dans ma cellule triste, isolée du restant du monde, dans ce pays de désolation, de violence et frayeur, à la merci du gentil et sympathique policier qui s’occupait avec soin de ma petite personne bien anodine et oubliée, mais au moins j’avais le sentiment ou l’espoir que mes amis se trouvaient en meilleure situation, qu’étant considéré comme le leader de cette étrange communauté c’est à moi que l’on réservait le traitement le plus approprié et adéquat, ou plus parler plus directement que les sévices les plus marqués m’étaient réservés.

Depuis lors, sont venus me rejoindre dans un cagibi plus petit que le précédent, la machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes qui est prostrée dans un coin et ne manifeste même plus son assurance par de tonitruants « je vous ai compris », le Yéti anarchiste qui passe par des phases d’extrême violence durant lesquelles il essaie mais sans grand succès de détruire le mur ou la porte de notre petit monde avant de se prostrer dans un coin ne semblant même plus pouvoir respirer, et l’autruche volante, flottante et trébuchante qui parle sans arrêt mais dont les propos n’ont plus aucun sens intelligible, que des mots sans lien les uns avec les autres, même plus de changement de sonorité, des sortes de vocalises sans référence possible, loin des sonnets d’autrefois qui étaient extravagants, surréalistes, comiques ou ridicules mais avaient le mérite de laisser entrevoir le début d’une signification, d’un sens, il s’agit de choses, appelons-les ainsi, ressemblant à « mais… deux… champs… désert… lui… attr… demain… ahahaha…oui bien sur … toi ? …certes …plus … »

Mes amis souffrent d’évidence plus que moi et leur boussole intérieure est encore en plus mauvais état que la mienne.

Nous n’avons plus de visite de l’aimable policier qui doit avoir trouvé une autre proie, tant mieux pour moi, simplement une porte qui s’ouvre, des aliments que l’on jette comme à des chiens, puis une porte qui se ferme, la lumière s’extirpe de l’ampoule et chemine brutalement mais de manière insuffisante sur notre petit monde sous-dimensionné, jour et nuit, sans différence aucune, nous ne pouvons la discerner car il n’y a d’évidence pas de lumière du jour filtrant par un soupirail, un interstice de la porte ou autrement, nous sommes en isolement complet, on nous a gratifié d’une radio juste devant la porte qui crépite des sons aigus mélangés à des mots prononcés dans une langue incompréhensible, 24 heures sur 24.

Nous ne savons même plus depuis combien de temps nous sommes là.

Nous sommes ensemble mais ne nous parlons plus car chacun n’a qu’une pensée en tête, le sort réservé à nos amis absent, à savoir l’extincteur fort sage, les trois pingouins aux lunettes roses, amateurs de ce bon et brave Piero della Francesca qui parait plus enfoui dans le passé qu’il ne l’a jamais été, notre quête de la chapelle d’Arezzo pour déclarer son indépendance paraissant si lointaine et si dérisoire, et bien sûr Maria, la belle et superbe Maria, au regard si profond, au visage si radieux, à l’intelligence si fine, au courage si grand, qu’est-il advenu d’elle ?

Mon cerveau n’ose avouer ce qui pourtant doit être l’implacable vérité. Il n’y avait pas de possibilité pour elle comme pour nos autres amis de s’enfuir ou se cacher après avoir tenté de nous rejoindre, non c’était impossible, rien de tel, nous sommes allés dans une autre direction, nous aurions pu être ensemble pour le pire ou le pire, mais ensemble, nous avons raté cette occasion et maintenant la regrettons amèrement, ils ont donc tenté de repartir mais nous savons, je sais, qu’autour de cette prison dans un désert pire que celui des tartares il n’y a rien et que donc, nécessairement, implacablement, inexorablement, ils ont été rattrapés, et compte tenu de ce que l’on m’a fait subir, ce que l’on nous a fait subir, il n’y a rien à espérer, tout est perdu même l’honneur, nous ne les reverrons plus…

Le pire est l’ignorance, le silence, cette incertitude permanente, ce désespoir qui s’est insinué dans nos veines et les glace, ce désarroi, ce sentiment que rien ne peut changer mais sans en être absolument sûr, cet effroyable sensation de savoir sans savoir, ce glissement impitoyable qui laisse le vivant s’efforcer de croire qu’il y a un espoir, un sur dix mille, millions, ou milliards ou que sais-je, mais un espoir quand même, qui tétanise et fige tout le reste, mon esprit, nos esprits sont paralysé par ce sentiment de mort et deuil impossible, il n’y a rien à espérer mais nous nous raccrochons à cette triste pitance que notre état de vivant nous laisse, c’est-à-dire cet odieux sentiment que peut-être au-delà de l’évidence il y a un misérable espoir…

Je ne peux plus supporter cela.

Je ne veux plus espérer.

Je veux qu’on nous la dise, quelle que puisse être la réalité, qu’on nous la présente, nous la jette, qu’on nous crache dessus ou qu’on nous l’aboie, peu importe, qu’on se moque de nous et nous insulte, je le répète, peu importe, mais qu’on brise cette coque de silence et qu’on fasse notre deuil.

Je crois que je deviens fou et que bientôt mon état va être similaire à celui de mes amis.

Si cette chronique s’achève aujourd’hui, je pense que vous aurez compris pourquoi.

Bonsoir mes amis, mes chers amis. Oubliez-nous. Il n’y a rien à voir, rien à dire. Circulez, cela vaut mieux pour vous et pour nous. Laissez-nous dans notre cellule quelque part entre le néant et le néant, entre désert et terres arides, poussière et silence, ombres et désolation.

Je suis désolé.

Merci d’avance.

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D’un étrange pays, d’un profond accablement, de Bosch, de Bruegel et des traces dérisoires de vies évanouies


Chronique – 56

D’un étrange pays, d’un profond accablement, de Bosch, de Bruegel et des traces dérisoires de vies évanouies 

Je dois avouer que le pays que nous traversons est bien étrange. S’agit-il d’un pays d’ailleurs ?

Depuis hier nous avançons sur un territoire qui semble avoir été abandonné par ses habitants, vidé de ses vivants, tout entier recouvert de poussière et des relents d’odeur fétide et nauséabonde que nous préférons ne pas essayer d’identifier, des débris partout, des restes de quelque combat ou agression ou manifestation ou fuite désorganisée, les murs sont écroulés, des objets dérisoires renversés ou abandonnés, allez savoir, jonchent le sol dans des positions que dans d’autres circonstances on pourrait trouver amusante ou ridicules mais qui en l’état sont pathétiques et sinistres, laissant plus sous-entendre que bien des tableaux de Bosch ou Bruegel, il y a un sentiment de désastre non évité, de chute ou d’accident, d’un mauvais tour de destin, à l’encontre d’une population infortunée, d’un groupement d’humains, de vivants, de joyeux représentants de notre espèce à nous, Maria et moi, qui ont été pris à un moment ou un autre dans des tourments qu’ils n’ont visiblement pas eu le temps d’analyser ou même de fuir.

Il n’y pas de trace de leur présence, ils sont absents, ils ont quitté les lieux, mais ceci ne ressemble pas à une fuite organisée ou un déplacement pacifique, il y a ces mémoires étranges qui parsèment le sol, les arbustes que l’on trouve dans les pays arides, les rochers et les bords de la route que nous longeons, il y a ce morceau de chiffon qui a peut-être été foulard, mouchoir ou essuie-main, qu’un humain utilisait pour nettoyer son visage, embellir son cou ou essuyer une écuelle, et qui n’est plus qu’un tissus sans vie, d’un mélange de fibres et des nœuds, de terre, de sueur, de larmes et de sang, il y a ce peigne qui a probablement lissé les cheveux d’une petite fille ou d’un garçonnet au sourire enjoué et parfumé de joie et d’optimisme mais qui maintenant n’est plus qu’un morceau de corne à moitié détruit et laissé au milieu d’un fatras comprenant un bout de chaise, une règle d’écolier, une manche de chemisier à carreau rouge et probablement ocre, une casquette jaune et blanche sur laquelle les lettres S et T sont encore visibles les autres ayant disparues, et une fourchette dont une dent seulement demeure, il y a cette chose presque ronde et généralement informe qui a peut-être été un ballon créé à partir de couches de tissus enroulée à la hâte ou une éponge asséchée laissée sur une gazière séparée de ses tuyaux et socle couchée sur le côté tel un gladiateur que l’on aurait assommé dans une arène depuis longtemps abandonnée, et tant d’autres choses, qui rappellent le vivant, l’humain, son rire, sa banalité, son ordinaire, ses cris, ses larmes, ses joies, ses efforts dérisoires et ses jeux.

Nous sommes silencieux, nous arpentons une terre oubliée, vidée de ses habitants, délaissée de son contenu, une coquille vide et désabusée, poussiéreuse, n’abritant même pas de voraces charognards, des hyènes traîtres, des rats résilients, des insectes fouineurs, non, c’était avant, il y a longtemps, nous traversons des ruines, mais des ruines sans saveur, sans élégance, sans attrait, des restes de vie qui nous effraient et nous acculent, nous bouleversent et nous laissent sans voix, sans réaction, sans émotion, sans sentiment clairement déterminés.

Le Yéti anarchiste qui d’habitude rit de tout marche le dos voûté et grommelle sans cesse des mots qui s’achèvent dans sa bouche à mi-parcours, des phrases avec sujets et verbes mais sans complément, ou des verbes sans rien d’autre, ou des interjections ou rien. Il est hébété la plupart du temps, sans éclair rieur dans les yeux, une ombre d’accablement sur une silhouette léthargique et épuisée.

L’extincteur fort sage qui est par essence et définition l’image de l’assistance et du secours, le Saint-Bernard des objets de notre quotidien, a cessé de commenter quoi que ce soit, ne se précipite pas avec son tuyau qui lui sert de propulseur pour éteindre quelque feu que ce soit car nous sommes arrivés bien trop tard, les vivants sont absents, même les sac à puces, ces braves bêtes rieuses et sales qui suivent tous les promeneurs du monde dans leur voyage ne sont pas là pour manifester leur présence.

La machine à gaz politicienne sur les bords n’essaie plus de convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit, elle ne commence plus ses phrases lassantes par un fracassant « je vous ai compris » car d’évidence elle ne comprend rien.

Les trois pingouins amateurs de Piero Della Francesca qui d’habitude se précipitent sur tout objet qui les intéresse pour se l’approprier et s’en attitrer la jouissance exclusive au titre de je ne sais quel droit ou pratique ancienne, ne font qu’errer avec une attitude vaguement nonchalante en laissant traîner des bâtons démantibulés trouvés aux abords du chemin.

L’autruche volante, flottante et trébuchante ne chante plus, ne parle plus, ne scande plus, et se contente simplement de répéter en murmures quasiment inaudibles le mot « pourquoi » par intervalles réguliers de 4 ou 5 minutes avant de se murer dans une attitude de contemplation face à chaque esquisse de jouet d’enfant qu’elle croise.

Le radiateur jaune artiste multiforme ne prend plus de photos, ne dessine plus rien, ne trace aucun signe sur le sol, n’écrit aucun texte, se contentant d’avancer en traînant le fil électrique qui lui sert de radar derrière lui avec une sorte de résignation débilitante en plissant ses rainures avec des soupirs semblant des essoufflements de marathoniens.

J’ai coupé les cheveux de Maria hier soir, l’ai badigeonnée d’une sorte de teinture sombre et brune, lui ai passée mon pull-over large avec slogan totalement indicible appelant à la paix et à l’amour, pour lui donner un air si ce n’est masculin à tout le moins asexué car le danger est autour de nous. Elle marche à mes côtés en me donnant la main et ne dit mot, observant chaque objet, examinant chacune de ses coutures pour y déterminer en songe qu’elle ne souhaite pas partager quelle histoire se cache dans ses coutures et laisse parfois échapper un soupir, sans savoir s’il est de souffrance, de tristesse, de dépit ou de colère, un soupir qui provient du tréfonds de son corps et de son âme, un accablement définitif et un regret que je partage d’avoir été un jour humain ou peut-être de ne pas avoir réagi quand il fallait, quand on pouvait, quand c’était possible, non pas pour ces absents-ci mais pour ces absents-là, ceux-là et celles-ci qui nous côtoyaient de près ou de loin et que nous avons vu souffrir et partir sans réaction.

Notre étrange équipage avance hagard et sans voix, son attirail surréel ayant fait place à une tristesse de tous les temps.

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Des inconvénients de la réincarnation et des travers d’un radiateur jaune artiste multiforme et d’une machine à gaz rondouillarde et politicienne


Chronique 54

Des inconvénients de la réincarnation et des travers d’un radiateur jaune artiste multiforme et d’une machine à gaz rondouillarde et politicienne  

Notre longue marche a débuté mais sous des auspices qui ne sont pas forcément les meilleures.

Certes, nous avons enfin réussi à surmonter cette déficience tant de l’origine que du but, nous ne nous mettons plus martel en tête quant à savoir si nous étions sur l’île de Vienne, la Mer d’Autriche, celle de Copenhague, ou les hauts-fonds d’Arezzo, nous ne souhaitons plus forcément atteindre les rivages de Bangkok, et ne croyons même plus que des forces inconnues ou malicieuses nous poursuivent pour nous accuser de tous les maux que la terre recèle. Tout cela est du passé. Nous savons que nous irons tout droit le long de cette route bitumée, noire sur le sable blanchâtre, bordée de lignes plus ou moins ininterrompues jaune, avec l’océan sinistre sur la gauche, et le désert affolant sur la droite.

Mais, nous marchons fort lentement et je ne vois pas comment nous pourrions dans un avenir proche accélérer le pas.

Nous n’avons pas forcément gagné au change comme l’a avoué en catimini ce brave et sage extincteur ce matin.

Nous étions quelque peu habitués au diatribes incessantes et déprimées du grille-pain existentialiste qui sortait de ses grilles les feuillets de Kierkegaard qu’il exhibait au tout venant de la même manière qu’ailleurs et en d’autres temps on le faisait du livre rouge, vert ou noir, des livres soi-disant saints. Nous supportions cela avec désinvolture d’autant que ses crises existentialistes terminaient forcément en larmes et soupirs que Maria parvenait en déposant les éclairs de son regard sur le corps démantibulé du grille-pain à confronter puis assouvir sans trop de problème. Il en était plus ou moins de même des coups de colère de ce bon vieux réfrigérateur que le Yéti anarchiste gérait lui aussi avec une certaine dose de réussite.

Les choses ont changé. Les amis d’autrefois sont devenus les amis d’aujourd’hui mais dans un des habits neufs.

En lieu et place d’un grille-pain existentialiste et d’un réfrigérateur colérique nous avons à faire à un radiateur jaune artiste polymorphe et une machine à gaz politicienne autoproclamée présidente d’un groupement politique intitulé COUAC. Ceci ne me dérangerait pas outre mesure – car chacun a le droit de s’exprimer comme il l’entend – si la posture de l’un et l’expression de l’autre ne posait des problèmes de logistique majeurs : nous progressons à vitesse d’escargot si je puis utiliser cette expression parfaitement impropre, mes excuses les plus plates aux escargots et limaces de toute race, nature, sexe et parure, il n’y avait dans mes propos aucune intention péjorative ni discriminatoire.

Le radiateur, artiste aux dimensions multiples, s’arrête très exactement toutes les 4 secondes et 33 dixièmes pour soit prendre en photo un morceau de caillou, une branche, un reflet du soleil, un bouton abandonné, une demi bouteille de plastique, une boite d’allumettes et, à chaque fois, la contemple sous tous ses aspects en dissertant sur sa beauté intrinsèque : « vous rendez-vous compte ce que le monde recèle de beauté en lui, chaque atome qui le compose est en soi une image de la perfection, qu’elle soit divine ou non cela n’a que peu d’importance. L’image que l’on néglige par trop souvent car l’œil n’y prête plus attention est pourtant truffée de beauté, à en déborder, à composer un océan de merveilles et de chef-d’œuvres. Nous devons chercher au fond de notre âme les échos de cette beauté passée et les laisser s’exprimer sans anicroche, sans filtre, sans recomposition. Regardez cette branche, le galbe de sa forme extérieure, la couleur des reflets du soleil sur ce bourgeon brûlé, regardez là-bas ces brins d’herbes qui sont encore dans leur gangue de rosée matinale et brillent de mille feux. Il s’agit de la réflexion de la beauté du monde dans chaque brique ou composant essentiel qui la compose de manière forcément discrète et invisible. »

Le discours m’importe peu, je vous l’avoue, même s’il est nauséeux, niaiseux et un brin sectaire, mais le fait de s’arrêter un nombre incalculable de fois me pèse d’autant que les rares moments de marche possibles sont à leur tour interrompus par la machine à gaz rondouillarde et politicienne qui s’exprime haut et fort à l’adresse de quelques cactus, fennecs, lézards, ou pierres ponces en tenant un langage mièvre et nauséabond : « Je vous ai compris, nous vous avons compris, nous ressentons au plus profond de nos êtres ces sentiments de frustration et souffrance, de peur et incompréhension, de gêne et dégoût, d’abandon et résignation. Nous les comprenons et les endossons. Nous avons créé cette confédération opportuniste et utopiste des anarchises contemplatifs pour vous porter sans autre ambition que celle de vous tendre une épaule fidèle sur laquelle vous pourrez pleurer tout votre soul. Nous ne sommes pas comme tant d’autres qui font les marchés une fois toutes les quatre ans et disent des âneries à droite et des âneries à gauche au gré des sondages juste pour vous hypnotiser, vous flatter, vous cajoler et recueillir vos votes. Nous cherchons autre chose, votre cœur et votre raison et voulons que ceux-ci choisissent sans autre forme de procès, jugement, analyse, ou étude. Nous voulons que de vous-même viennent ces appels à l’aide que plus personne n’entend et nul ne prononce car il y a trop de différences entre vous, la perle des vivants et eux qui ont répondu à l’appel de l’argent. Avec nous tout sera différent. L’avenir sera rose. Nous mettrons des pavés sur cette plage qui vous brûle les pieds, nous créerons des centres d’attraction sur les squelettes de baleine, nous abaisserons la température du soleil le jour et rehausserons celle de la lune la nuit, nous humidifierons ce sable qui vous brûle la peau et adoucirons vos nuits. Nous le ferons sans démagogie aucune… »

Maria nous a conseillé de ne rien dire pour le moment car nul ne sait quelles sont les conséquences d’une réincarnation mal finalisée. Elle nous a rappelés que s’il fallait agir avec subtilité lorsqu’un somnambule se promenait il pouvait en être de même avec nos amis. Nous devons être respectueux.

Ensuite, elle a noué des fils rouges autour des becs des trois pingouins amateurs de Piero Della Francesca et un fil orange sur l’autruche volante, flottante et trébuchante. Quant au Yéti anarchiste elle lui a demandé de porter l’extincteur sur son dos et de lui faire la conversation.

Elle ne m’a rien dit mais j’ai senti son regard se poser sur moi et les galaxies entières y compris la plus ancienne que l’on vient de discerner récemment se sont mises à danser sur l’écran bleu de mes paupières. Je n’en dirai pas plus pour profiter de ce feu d’artifice.

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