D’une minute de silence qui pourrait durer un siècle


D’une minute de silence qui pourrait durer un siècle

 

Récapitulons!

 

Nous nous trouvons dans une ville sans nom particulier qui a souffert un traumatisme assez grave il y a au moins six mois. Nous ne savons pas de quelle convulsion il s’agit. Nous ignorons les nombre de victimes.

 

La plupart de mes amis se sont déclarés responsables et coupables des crimes en question pour des raisons qui diffèrent de l’un à l’autre mais sont basées sur l’idée que dans notre société contemporaine le sentiment d’irresponsabilité partagé tant par les gouvernants que les gouvernés est en train d’éroder le tissus social et les bases de la démocratie. Leur position est supposée contrecarrer ces tendances lourdes.

 

Je me suis également déclaré responsable et coupable mais pour des raisons bien plus prosaïques, à savoir mon souhait de ne pas me confronter à Maria au regard si pénétrant et sensuel, après une peu reluisante aventure clandestine et ponctuelle avec une professeure de sport.

 

Le procès dans lequel nous sommes en fâcheuse posture a débuté il y a quelques jours mais le temps s’est mis à évoluer de bien curieuse manière avec des pauses de plus en plus longues qui frôlent pour l’heure un record de plusieurs jours.

 

La chose étrange est que ces pauses répétées du temps dans son lent déroulé n’affecte que les gens d’ici et pas nous, gens de là-bas, peu importe où se situe ledit là-bas.

 

J’ai revu Maria et me suis lancé dans des explications assez fumeuses et boiteuses sur mon comportement mais elle n’a pas semblé si affectée que cela me demandant simplement de m’excuser également auprès de ma compagne d’un moment.

 

J’ai passé des heures hier et aujourd’hui encore à rechercher cette jeune personne dont je dois admettre ne plus me remémorer ses traits. Je ne connais naturellement ni son nom ni son prénom et encore moins son adresse.

 

Tel est le niveau de mon inconséquence, de mon irresponsabilité, de mon infantilisme. Je présume qu’il s’agit-là d’un comportement très humain, surtout très masculin.

 

Je suspecte que mes aveux étaient également liés à un besoin inconscient d’assumer enfin un début de responsabilité. Mais ce sera pour une autre fois, le temps s’étant arrêté, il n’y aura jamais de procès, enfin me semble-t-il car rien n’est jamais définitif, ni la vie ni la mort – ceci étant, pour la mort je ne peux pas vraiment me prononcer, mais ceci vous vous en doutiez certainement.

 

Donc, ma journée s’est passée en une longue course à la recherche d’une personne étrangère non reconnaissable avec qui j’ai passé des moments très agréables mais depuis fort longtemps oubliés pour m’excuser de mon comportement tout en sachant que son présent à elle et le mien ne coïncident plus.

 

A titre de parenthèses, je voudrais préciser mes propos antérieurs. J’ai mentionné le mot journée et vous vous êtes probablement dits que je devenais encore plus incohérent qu’autrefois puisque si le temps s’est arrêté pour toutes et tous, hormis nous, il doit en être de même pour le soleil, la lune et la terre, sinon les pauvres contemporains de ce monde triste vivraient des journées de quelque minutes seulement. Vous avez raison. J’utilise ces mots de façon très conventionnelle. En réalité, mes journées sont de seize heures et mes phases de repos de 8 heures.

 

Je n’ai donc guère progressé mais mes amis pingouins amateurs de Piero della Francesca s’ennuyant fortement dans une salle de tribunal étouffante se sont mis en tête que leur présence à mes côtés changerait la nature de ma quête et surtout ses résultats.

 

Il n’en a rien été.

 

Ils se sont immobilisés devant chaque personnage de sexe féminin quel que soit son âge en m’interpellant de manière très crue :

 

C’était celle-ci ?

 

Tu ne t’en souviens vraiment pas ?

 

T’es vraiment si niais que cela, incapable de reconnaître ta maîtresse d’un moment ?

 

Franchement nul ! Dégradant ! Piero n’aurait jamais fait quelque chose comme cela. Voici quelqu’un qui avait un minimum de dignité. Pas comme toi…

 

C’était elle? Hein ? Tu ne réponds pas parce que tu veux nous insulter tacitement ou parce que tu es trop vieux pour te souvenir de quoi que ce soit ?

 

Trop vieux ? C’est cela ? Oui, mais pas trop vieux pour t’amuser, hein ?

 

Celle-ci? Non ? Sur ? Quel âge elle avait ta belle ?

 

Il vaudrait mieux d’ailleurs que nous cherchions une femme plutôt âgée et moche, car honnêtement, sans vouloir trop t’embêter, question esthétique, c’est pas cela, je parle de toi pas d’elle, désolé mais c’est comme cela, plutôt moche la bête, la bête c’est toi, elle te méritait pas, honnêtement, bon si c’est pas elle, ce serait pas celle-ci, oui là-bas, au milieu de la fontaine ?

 

Et ceci s’est poursuivi de cette manière toute la journée.

 

J’ai dû leur faire remarquer à plusieurs reprises qu’ils s’adressaient à des statues ou des sculptures mais ceci ne les a pas découragés et ils ont continué de parler pendant des heures allant de l’une à l’autre en se moquant de moi.

 

Mon amie l’autruche volante, flottante et trébuchante s’est jointe à nous et a commenté à sa façon les développements de cette journée fort intense :

 

passée par ici, pas par-là, ailleurs ou nulle part, à Saint-Pétersbourg ou Mirabeau, sous la Seine ou les soupirs, sous les bancs et sur les tables, vers l’amont et de l’aval, soit ainsi et pas meilleur, près de tout et loin du reste, parce que la question n’est pas posée et les réponses y en a trop…

 

Je me suis finalement surpris à m’arrêter moi aussi et me figer dans la position de l’accablé, de tous les temps et tous les lieux, celui qui subit sans comprendre et ne réalise même pas qu’il n’y a rien à comprendre.

 

J’attends mon heure.

 

Je regarde les pingouins qui sont maintenant au loin en train d’invectiver des statues de sel tout en parlant dans la direction supposée de leur bouc-émissaire, votre serviteur, tandis que mon amie autruche regarde de ses yeux larmoyants un soleil couchant qui est ainsi depuis des heures envoyant sur le monde indisposé ses étranges lumières et chaudes lueurs.

 

Je vais attendre.

 

Finalement, rester immobile n’est pas si pénible, une méditation forcée et bénéfique, une intrusion dans un monde de silence et de gêne, de remords et de peine.

 

Je vous invite à me joindre pour une minute de silence qui pourrait durer un siècle.

 

 

§416

Des extincteurs, des broyeurs, des pingouins et des marsouins


Des extincteurs, des broyeurs, des pingouins et des marsouins

 

Vous conviendrez, j’en suis sûr, que les modes de fonctionnement de cette ville dans les sinuosités de laquelle j’erre depuis quelques temps sont difficilement déchiffrables ou interprétables.

 

Une blessure d’évidence considérable a marqué ses habitants au fer rouge. Impossible de savoir de quelle blessure il s’agit, ni quand elle s’est produite.

 

Un grille-pain existentialiste amateur de Kierkegaard, mon fidèle ami, a avoué en être le responsable principal et le seul coupable, pour des raisons qui sont les siennes, parce qu’il estime, pour schématiser sa pensée, que tout individu quel qu’il soit est en partie responsable de par ses actions ou omissions de l’ensemble des évènements qui se produisent dans le monde dans lequel il évolue.

 

Naturellement, ceci n’est pas un raisonnement particulièrement attractif ni compréhensible dans une société où nul n’est responsable de quoi que ce soit et où les coupables sont forcément, naturellement, évidemment, pourquoi en serait-il autrement, si vous avez un doute allez voir ailleurs, les autres, toutes et tous les autres à l’exclusion du cercle restreint des membres de sa caste.

 

Il en était ainsi dans ma ville d’origine, à Copenhague et Vienne, en Mer d’Autriche, dans l’île de Vienne, dans toutes les autres cités où nous avons divagués sans savoir où ni comment, à la recherche de la désormais quasi mythique Arezzo, la ville de Piero della Francesca… Il doit en être de même ici. Pas besoin de discuter, cela doit être humain, que voulez-vous que je vous dise, je ne vais pas sauter sur place en dansant la danse de saint-guy ou de tous les autres, franchement je me fiche de saint-guy comme d’une guigne, un raisonnement doit s’appuyer à un moment ou un autre sur un ou plusieurs postulats, ceci en est un, excusez-moi.

 

Suite aux aveux du grille-pain, l’autruche volante, flottante et trébuchante s’est rendue aux autorités du bien public, de l’amour constant et de l’appétit des âmes fières, se déclarant elle aussi responsable et coupable exclusive, bientôt suivie par l’extincteur fort sage, et ce quasiment en direct sur radio-ragot, rumeur et commérage (RRRC 103.765433) laissant les foules hurlantes, grouillantes et maugréantes diriger leur haine sans limite vers un autre récipiendaire, puis un autre, puis encore un autre, sans se lasser du jeu de marée dont elle était ainsi à l’origine. Le socle sur lequel la justice de cet endroit est bâtie vacille mais pour l’heure ne rompt pas.

 

Pourtant, un nouvel assaut des forces du destin est à l’œuvre, je veux dire une manifestation spontanée dirigée par les trois pingouins aux lunettes roses amateurs de Piero della Francesca qui marchent en ce moment vers le palais de la justice suprême, belle et bonne, dans une atmosphère de grande impartialité et grosse indépendance, en portant une immense banderole représentant le rêve de ce cher et brave Constantin et criant des slogans qui, je crois, disent à peu près ceci :

 

Les autruches au crachoir, les pingouins au pouvoir / les grille-pains au baston, les pingouins au bastion / L’extincteur au broyeur, les pingouins aux marsouins.

 

Sous mes yeux rougis par la tension, l’incompréhension, la désillusion et le rhume des foins, je vois mes amis manifester contre mes autres amis devant une foule noire de colère et d’ivresse, non pas celle du pouvoir car celle-ci est rentrée, passive, contagieuse, vertigineuse, et fricqueuse, non je veux dire la vraie ivresse, celle de l’alcool, de la déprime et de l’ennui au sens philosophique du terme.

 

Je les vois se battre entre eux en criant à peu près :

 

Pingouin 1/Mais cela ne veut rien dire tes slogans, les pingouins aux marsouins ? Mais t’es complètement con ou quoi ? Ces crétins de marsouins y nous bouffent alors pourquoi tu voudrais que nous soyons à eux ?

Pingouin 2 / Parce que ça rime

Pingouin 1/ Parce que ça rime on doit se faire bouffer ?

Pingouin 3 / Fermez-là crétins absolus, les cons d’ici ne connaissent pas les cons de là-bas, c’est universel, marsouin ou pas y s’en foutent mais y nous suivent, alors on reprend les banderoles et on manifeste dignement, on gueule contre les malades qui se sont précipités les bras ouverts vers la gloire et on prend leur place !

Pingouin 2 / Pourquoi voudrais-tu qu’on prenne leur place, la seule chose qu’on voulait c’était gueuler contre les imbéciles et obtenir l’indépendance d’Arezzo, c’est pas cela ?

Pingouin 3 / Non, ce n’est pas cela ! Pourquoi voudrais-tu que ces crétins qui nous suivent nous soutiennent pour obtenir l’indépendance d’une ville qu’ils ne connaissent même pas ?

Pingouin 1 / Gueulez pas comme cela, ces crétins comme vous dites, crétins ou pas vont finir par comprendre qu’on parle d’eux!

Pingouin 3 / Ils ne vont rien comprendre du tout parce que pour le moment ils gueulent des slogans qui ne veulent rien dire qu’un con a inventé parce que cela rime, alors pourquoi voudrais-tu qu’ils se mettent à réaliser que les crétins dont on parle c’est eux ?

Pingouin 2 / Le crétin qui a inventé les rimes, c’est moi, et tu sais ce qu’il te dit ce crétin-ci ?

Pingouin 3 / M’en fous !

Pingouin 2 / Quoi ?

Pingouin 1 / La fermes les deux, si vous continuez à gueuler comme cela, notre soulèvement va échouer !

Pingouin 2 / Toi le malin de nous trois, pourrais-tu nous indiquer quel est le lien même infiniment ténu existant entre les aveux des trois malades qui nous servent de copains et l’indépendance d’Arezzo ?

Pingouin 3 /Il n’y en pas, c’est cela qui est magique, machiavélique, tout est dans la durée, tout est insidieux, c’est ça qui est fascinant !

 

Les trois pingouins marchent ainsi très lentement passant beaucoup de temps à hurler des slogans, se battre un peu, crier à nouveau, se battre un peu plus, vociférer des jurons et ainsi de suite.

 

Ils sont suivis par, à vue de nez approximation dominicale comprise, à peu près deux-cent-quatre-vingt-huit ou trois mille-sept-cent-une personnes, quelque part entre les deux. Je me demande si la raison va un jour finir par triompher mais j’ai des doutes.

 

J’ai demandé à une passante qui criait l’extincteur au broyeur, les pingouins aux marsouins qui était l’extincteur dont elle parlait, si elle avait déjà vu des marsouins et quel était le lien entre extincteur, broyeur, pingouins et broyeur. Elle m’a regardé avec beaucoup de hauteur et un peu de largeur, m’a repoussé de ses paupières révulsées, puis a repris ses vocalises avec beaucoup d’énergie et de passion.

 

Il en est ainsi de toutes choses, elles passent mais pas moi. Moi, je reste et ne comprend pas. J’en reste sur ces mots pour aujourd’hui et vais essayer de glaner un peu de sagesse et d’information auprès de ma Maria au regard si profond que je m’y perds si souvent.

 

§575

Chronique – 52


De sinistres retrouvailles, des attendus peu explicites, de la condamnation d’une autruche volante, flottante et trébuchante et de l’attente d’un miracle  

Il y a dans la vie un certain nombre de situations qui sont inextricables et d’autres qui sont inexpliquées. Ces derniers jours notre parcours relève de ces deux catégories à la fois.

Notre amie, l’autruche volante, flottante et trébuchante, autrement nommée marmotte gracieuse, a comme vous le savez été arrêtée en lieu et place des trois pingouins à lunettes roses pour assassinat et torture de poissons et ce dans la bonne île de Vienne. C’est elle-même, dévouée et martyrisée, qui s’est livrée aux autorités pour protéger nos amis les pingouins aux lunettes roses dont le comportement intempestif risquait de les conduire à une exécution immédiate.

Depuis lors, Maria, au regard profond et liseré d’étoiles, l’extincteur, toujours fort sage mais un brin timoré dans cette affaire – probablement tiraillé entre sa vocation de sauveteur d’autrui, un Saint-Bernard mécanique, et son respect inné, génétique et inconditionnel des autorités – le grille-pain, existentialiste et déprimé et moi-même, perdu dans quelque monde parallèle, sommes à la recherche de l’endroit où les braves, courageux, dignes et nobles représentants des autorités et donc du peuple pourraient avoir placé notre amie en détention préventive, non abusive et palliative.

Hier, nous avons trouvé un avocat digne de ce nom, du sien et des autres, nous sommes assis à terre plutôt qu’au plafond et avons sifflé un refrain pour retrouver la disparue, allez donc savoir pourquoi… Cette méthode un brin particulière a pourtant porté ses fruits, voire même ses poireaux et fenouil du marché, et l’autruche a enfin donné signe de vie.

En fait, le sifflement s’échappant de nos gorges et bouches, passablement sèches après plusieurs heures consacrées à une telle activité, a sillonné les couloirs du tribunal où nous nous trouvions, obliquement et par revers droit et pas courbe, pour finalement aboutir dans la chambre VIII dudit tribunal.

Un vrai fait du hasard mais également selon le grille-pain un défi à notre tentative de trouver un caractère rationnel au cours des évènements dont nous sommes tributaires, victimes et contribuables – ce dernier point est avéré et corroboré par le texte 7, 9 et b, du paragraphe 27, de la section trois, du chapitre 8, du livre z de la loi de Shtrouzk-Réaumur et pas Sébastopol. L’autruche était accompagnée par cinq représentants des autorités clairvoyantes et dignes vers ladite salle pour comparution immédiate.

Entendant le sifflement, elle s’est immédiatement lancée dans une reprise enflammée ce qui n’a pas manqué d’énerver le juge en charge du dossier. Nous nous sommes précipités et avons rejoint la salle d’audience où se trouvaient, dans le désordre, le juge, l’autruche notre amie, la cohorte des membres du jury, le public représenté par un canari jaune, et l’avocat de la défense, une chaise vide commise d’office. Nous nous sommes installés au premier rang du public non partisan et avons assisté, muets, à la procédure dont voici le compte-rendu fidèle, approprié et adéquat :

Le juge : Faites asseoir les trois pingouins aux lunettes roses coupables des faits qui leurs sont reprochés.

L’huissier : Faites entrer les trois pingouins.

Cinq agents de sécurité, d’ordre, de bienfait et bonheur incarnés (entourant l’autruche volante): Voici les trois pingouins coupables.

L’autruche volante, flottante et trébuchante dite marmotte gracieuse : Que le vent souffle sur les terres brûlées et l’eau coule sous les ponts et par-delà le bon vieux port d’Honfleur et si vous m’y autorisez que les choses soient.

Le juge : Pingouins, vous êtes coupables des faits qui vous sont reprochez, à savoir la disparition des thons de l’océan et par extrapolation de la mort de milliers d’oiseaux ayant heurtés le sol lors des tirs de feu d’artifice, de la diffusion d’informations erronées par Wikileaks, de la non découverte d’exo planètes ce mois-ci et de la non distribution de mon quotidien préféré ce matin. Comment plaidez-vous, pingouins ? Et répondez l’un après l’autre je vous prie.

L’avocat de la défense, en troisième ligne : Nous demandons le report du repère sacré de la murène.

L’huissier : Pingouins, comment plaidez-vous ? a demandé le juge chargé du dossier. Vous êtes sensés répondre l’un après l’autre l’une des trois formules suivantes (i) coupables, (ii) pas innocents, (iii) entre les deux mon cœur de pingouin balance. Alors ?

L’autruche volante, etcetera : Sur l’étendard du désespoir flotte la bannière étoilée de la misère et nous sommes ainsi dans une drôle de soupe, courge ou poireau je ne sais pas, mais franchement je vais y voler mon latin.

Le juge : Qu’il en soit donc ainsi dit et consommé. Les trois pingouins seront exécutés aujourd’hui, interrogés demain et rencontreront leurs avocats le jour d’après. Ils pourront ensuite quitter la prison pour rejoindre le commissariat du peuple, des gens, de la mesure et des bons et loyaux sujets de sa majesté républicaine. Par suite, si les faits sont commis, ils seront encouragés à vérifier ceux-ci et que le meilleur gagne. Procès suivants. Faites avancer le coupable et en attendant dégager les trois pingouins selon l’ordre qu’ils voudront.

Nous n’avons pas forcément compris l’ensemble des propos qui ont été articulés car l’interprète habillée en smoking vert et palmé de la tête aux pieds avait un étrange accent sino-portugais que seul peut-être le Yéti anarchiste aurait compris s’il avait été présent. Cependant, la teneur de la procédure et les envolées du juge ne nous ont pas laissé totalement insensibles.

Il est clair que notre amie est dans de beaux draps, de la damasserie à tout le moins et que nos pleurs et cris étouffés de sanglots, de larmes et de froissements de mouchoirs en papier sur fond de crécelles ne serviront pas à grand-chose.

Il nous faut un miracle.

C’est cela, un miracle.

Un miracle.

§895

Chronique – 17


De wikileaks, des pingouins et des grille-pains en terres occidentales

Je vous prie de m’excuser pour ce léger retard mais les heures qui précèdent ont été particulièrement stressantes. Je ne sais d’ailleurs pas par où commencer mon cerveau étant en un tel état d’ébullition que le réfrigérateur m’évite avec un dédain à peine caché.

De fait tout à commencé avec mon ami le Yéti anarchiste qui ayant appris la disponibilité sur la toile de millions de pages de documents ultra secrets mais en libre disposition s’est mis en tête de chercher les causes réelle ayant amené le Grand Yéti Bleu à imposer le changement des us et coutumes de nos lointains cousins et ainsi provoquer involontairement la dissémination dans le monde d’en haut d’une tribu perdue dont un individu est réfugié dans mon appartement. J’ai parlé de ces évènements dans une chronique précédente (NDLR : publicité intempestive et irrégulière faite en contradiction des termes de la législation sur la liberté d’expression, d’association et de sécurité du 9 décembre 2010-3).

J’ai donc trouvé mon ami assis dans la position du lotus, sa position favorite un brin problématique pour moi puisqu’il considère que celle-ci nécessite une exposition Nord-Est 30 degrés 3’ et que celle-ci, selon lui, l’impose de s’asseoir en cet endroit, c’est-à-dire sur la table du salon. Il pianotait sur l’ordinateur portable avec célérité, fougue et une virulence particulière qui m’a quelque peu inquiété dans la mesure où les verres du placard tombaient les uns après les autres.

Je lui ai fait une remarque discrète à ce sujet pour ne pas le déranger dans ses travaux, le travail étant sacré et moi athée ce qui m’empêche de fournir des réflexions ou conclusions quelconques sur ce sujet. Il ne m’a pas répondu mais a continué son pianotage consistant à taper sur la touche ‘exécution’ plusieurs, milliers de fois par secondes pour chercher un résultat à une recherche du Grand Yéti Bleu sur Wikileaks. Or, et vous pouvez le vérifier, il n’y a rien de rien à trouver sur Wikileaks sur ce sujet d’importance.

Voyant que mon ami, le Yéti anarchiste, tapait avec frénésie sur le clavier je lui ai dit gentiment et avec un soupçon de miel dans ma voix, j’adore les abeilles, je vous l’ai déjà dit dans une chronique précédente ainsi que dans certains de mes romans (NDLR : publicité intempestive et irrégulière faite en contradiction des termes de la législation sur la liberté d’expression, d’association et de sécurité du 9 décembre 2010-3 et constituant une infraction aggravée de type C-12 en cas de récidive ce qui est le cas ici, maintenant et ailleurs, fais gaffe coco!) :

« Tu sais, Wikileaks n’a pas encore posté tous les documents dont ils disposent sur le web et probablement ceux que tu cherches sont tellement sensibles qu’ils feront preuve d’un extrême prudence… »

Sa réponse a été un grognement.

Je n’ai pas insisté outre mesure et suis allé me préoccuper de l’arrivée intempestive de trois pingouins à lunettes rose et un grille-pain vert dans ma salle de pain de par une ouverture dans le plafond que je n’avais par remarquée jusqu’alors. Ils m’ont expliqué qu’ils avaient été invités par l’extincteur et le réfrigérateur qui considéraient que la vie en Suisse était passablement lassante et qu’il serait bon de l’agrémenter d’un brin de distraction et de culture.

Les pingouins se sont présentés comme des spécialistes de Piero della francesca et le second de l’éclairage nocturne de Reykjavik en période estivale.

Accablé par le caractère peu ordinaire de la situation je les ai salué en leur offrant un savon à la lavande et me suis retiré dans ma chambre avant de m’en aller visiter une exposition sur les chaises en marge du centenaire d’un Musée d’art contemporain inconnu.

Quelques heures plus tard, de retour dans mon appartement, j’ai noté que la porte avait été défoncée et ai trouvé à l’intérieur des individus en veston noir couchés sur le sol et pleurant à chaudes larmes, les pingouins nouvellement réfugiés chez moi recueillant avec soin leurs larmes pour les mélanger avec des épinards ce qui, selon eux, constituait un excellent diurétique.

Le Yéti était accablé et trépignait dans la cuisine.

Le réfrigérateur m’évitait toujours mais l’extincteur en grande conversation avec le grille-pain m’a expliqué que lesdits individus avaient été envoyés par quelque organisme d’Internet pour nous demander d’arrêter de piéger le site de Wikileaks avec l’avalanche de requêtes provenant de notre adresse.

Apparemment, des milliards de demandes étaient parvenues en avalanche sur leur site en provenance de mon appartement et avaient provoqué l’arrêt total du site.

Le Yéti n’avait pas supporté leur irruption, leur avait secoué la tête en leur disant dans son patois germanico-papou pourquoi ils n’avaient pas donné suite à sa demande et pour quelles raisons le grand Yéti Bleu avait provoqué la fin de la grande civilisation des montagnes mais les deux demeurés étaient restés ainsi, demeurés, et s’étaient retrouvés propulsés à terre puis accablés de coups par les pingouins.

Le reste je le laisse à votre imagination, ce ne saurait être aussi violent que ce qui s’est réellement passé mais comme des enfants lisent cette chronique je ne voudrais pas les choquer.

La suite est assez confuse mais pourrait être résumée ainsi :

  1. Le Yéti pris d’une colère frénétique s’est précipité en transe vers le salon tout en hurlant ‘Sainte Bernadette aidez-moi’ ou ‘Par les foudres de l’antenne’ (les interprétations diffèrent à ce sujet) puis s’est jeté sur l’ordinateur et l’a dévoré.
  1. L’extincteur notant des étincelles provenant du clavier électronique broyé par son ami et souhaitant le protéger a propulsé un jet de mousse blanche sur sa mâchoire ce qui a provoqué des hurlements supplémentaires des inspecteurs et des cris hystériques du réfrigérateur.
  1. Les voisins d’ordinaire assez discrets se sont présentés à la porte de l’appartement et ayant noté le caractère aléatoire de la situation ont prévenu les autorités qui ont elles-mêmes contacté les services de Wikileaks pour les informer de la situation et leur conseiller de s’installer en Suisse aussi près que possible de l’origine de l’incident ayant provoqué la fermeture de leurs sites.
  1. Des manifestations spontanées de citoyens indignés ont été organisées en ville et dans les campagnes environnantes demandant à ce que les étrangers en situation irrégulière quittent immédiatement la ville, surtout les Yétis, et avec eux les organismes intempestifs qui risquent d’attirer sur le pays réprobation et honte confédérale et ont déclenché un feu nourri de courriels malintentionnés qui ont à leur tour engorgé mon système et entraîné une panne globale de la toile. La panne s’est propagée tel un jeu de dominos et l’ensemble des systèmes informatiques de Suisse, d’Europe occidentale, méridionale, septentrionale et médiévale avec.Je ne sais pas où, ni quand ni comment les choses se sont arrangées mais durant de longues heures le réseau a été inaccessible m’empêchant alors d’écrire ma chronique (NDLR : ceci est un mensonge éhonté en parfaite contradiction avec les termes des décrets sur la liberté de pensée et bien-être intellectuel et moral des habitants de ce noble hémisphère, chapitre 5, section 3, paragraphe 2, lettre 1)
  1. J’ai exigé de mes co-locataires, passés, présents et futurs, de cesser immédiatement toute activité informatique et de bien vouloir dorénavant pianoter sur le piano et de s’en tenir à cela. J’ai exigé des pingouins qu’ils libèrent les préposés aux hautes œuvres et les reconduisent à la frontière de l’appartement, j’ai présenté humblement mes excuses aux manifestants spontanés dont les organisateurs ont immédiatement exigé une obole en échange mais n’ayant pas de bols à proposer ils se sont contentés d’une aube de communiante, celle de ma sœur cadette, et ont dissous la manifestation spontanée pour se joindre aux courses organisées ce weekend.

La situation est donc sous contrôle, tout semble rentré dans l’ordre, ma chronique est rédigée. Il me reste à poser le bac à glaçons que m’a prêté le réfrigérateur – avec qui je suis de nouveau ami – en guise de clavier et débrancher le grille-pain qui s’est gentiment proposé comme écran, et le tour sera joué, comme le disait les romains.

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