De notre comportement aveugle et de la désolation de notre situation


De notre comportement aveugle et de la désolation de notre situation

 

Errer dans un monde dont on ne connaît pas les règles n’est pas une chose aisée. Tous les voyageurs vous le diront.

 

Il est habituel en de pareilles circonstances de lire les récits et études que l’on peut se procurer sur le monde que l’on découvre, préférablement avant de s’y aventurer. Les rencontres et découvertes sur le terrain complètent le tableau que l’on a ébauché.

 

Nous ne nous trouvons pas dans cette situation.

 

D’abord, il est difficile de rechercher quoi que ce soit lorsque l’on ignore le nom même du lieu où l’on se trouve projeté. Depuis des mois maintenant nous déambulons dans un ou plutôt des mondes dont nous ignorons tout des contours et aboutissants. Nous avons conjecturé au départ sur ces lieux les appelants au choix Vienne, Copenhague, Mer d’ Autriche puis avons abandonné cet effort voué à l’échec. Les villes ou villages que nous découvrons, les meurtrissures dont nous témoignons, les situations chaotiques et les bouleversements qui taraudent tous ces environnements n’ont pas de noms pourtant ils représentent autant de facettes de ce monde dans lequel nous vivons toutes et tous. Il n’y a pas besoin de nommer ce qui est le commun de l’humanité, il s’agit de l’humanité, point final. Dont acte. Nous ignorons où nous nous trouvons à un moment donné ou pas, nous l’ignorerons longtemps.

 

Ensuite, il resterait en principe la possibilité de parler aux uns et aux autres et découvrir par la richesse des rencontres ce qui se cache sous l’épiderme de ces vies, ces humanités qui serpentent dans ces mondes qui délirent et dérivent dans des peines inimaginables. Nous avons fait de telles rencontres mais elles sont restées la plupart du temps qu’au niveau de l’effleurement des choses, des sujets et objets de ces lieux, nous sommes demeurés étrangers à ces lieux qui se contorsionnaient sous la douleur des faits et évènements. Nous n’avons fait que rapporter ce que nous voyions pour vous, pour nous, mais ceci n’a pas allégé le fardeau de celles et ceux qui subissaient et subissent toujours les vilénies de l’existence.

 

En de rares moments il nous est arrivé de nous insérer un peu plus profondément dans le cours des évènements, tels ces pays de poussière et sécheresse traversés par des révolutions homériques auxquels certains d’entre nous ont contribué, notamment Maria au regard si profond que je m’y suis toujours perdu, l’extincteur fort sage, le Yéti anarchiste ou la machine à gaz rondouillarde à tendances politiciennes. La jeune fille au foulard rouge qui nous accompagne, ou plutôt qui accompagne dorénavant Maria, est la fille de la veuve qui nous hébergeait dans un de ces lieux. Mais, nous n’avons fait que passer, par lassitude ou obéissance au destin qui est le nôtre, nous sommes partis et avons poursuivi notre quête. Nos récits sont restés superficiels, nous n’avons pas pu pénétrer au-delà de la première ou deuxième couche du derme géologique de ces pays en convulsions, nous n’avons pas pu percevoir toutes les nuances des mouvements telluriques qui ont fait ce qu’ils sont, nous n’avons pas pu trouver les dix ou vingt mots qui expliqueraient ce qu’ils sont exactement, les pourquoi, comment, quoi, quand, et où. Non, nous n’y sommes pas parvenus !

 

Et aucune de nos rencontres ne nous a permis d’aller bien plus en avant ou en profondeur car nous sommes des taupes égocentriques perçant leurs tunnels pour leur consommation et intérêt propre. Même s’il nous a été donné de partager la vie de quelques-uns des acteurs de ces situations, nous l’avons fait sur une ligne parallèle, nous n’avons jamais rejoint leur parcours, ce qui est le propre des parallèles, nous sommes restés étrangers pour eux et eux nous sont demeurés étrangers.

 

Il en est ainsi de tous les voyages que l’on entreprend, me semble-t-il.

 

Au-delà des rodomontades de toutes sortes, des déclarations à l’emporte-pièce, des élucubrations quasi-philosophiques, ethnologiques, ou écologiques, nous ne sommes que l’écume des choses, bien égocentriques en surface et égoïstes en profondeur.

 

Pour en revenir à ce monde ci, celui où nous nous trouvons, et pour appliquer aux chroniques que je vous ai fait parvenir, que puis-je dire si ce n’est confirmer les propos précédents. Je n’ai fait qu’effleurer des abimes insoupçonnés, je me suis lamenté, effondré et étonné, et alors ? Ai-je fait le moindre effort pour aller vers ces gens et les comprendre ? Honnêtement ? Non, absolument pas ! C’est triste mais c’est ainsi, il faut l’admettre, le reconnaître et le confesser. Pour une fois je ne mettrai même pas mes amis en avant car pour être francs ils se sont sentis encore moins concernés que moi, ils ont développé un fatalisme bordé de titane et recouvert d’acier, ou inversement, ils se fichent éperdument de toutes les explications que l’on pourrait chercher. Je ne les juge pas, je ne fais que constater.

 

Tout est ainsi et rien n’y changera rien. L’action ne servira plus à rien. La contemplation ne servira plus à rien.

 

Ni eux ni moi ne pourrons prétendre pour une seconde avoir essayé de franchir le seuil de la compréhension de ces lieux et gens et temps. Peut-être aurions-nous pu percevoir que quelque chose n’allait pas et que la bulle éclaterait bientôt, que nous trouverions tôt ou tard dans une situation délicate, compliquée, celle que je vous ai raconté hier, mais non, nous n’avons fait que marcher sans nous encombrer de telles questions.

 

La découverte par la lecture était ainsi impossible mais peut-être aurions-nous du nous approcher davantage de ces gens, essayer de comprendre ce qui les révulsait en nous, ce que nous représentions, ceci nous aurait permis de mieux répondre à la crise d’hier, à l’arrestation du grille-pain existentialiste et de l’extincteur. Mais nous n’avons pas fait cet effort et nos amis sont maintenant sous examen.

 

Le délai requis étant passé, nous avons pu nous entretenir avec celles et ceux qui les entourent. Le traitement qui leur est réservé est adéquat, ils n’ont pas été maltraités.

 

Nous n’avons pas pu leur parler directement mais l’agent de sécurité en charge de l’application des règles et directives en matière de limitation momentanée des libertés de mouvements et pensées au titre du livre IV d’un certain code dont je ne me souviens plus de l’intitulé exact nous a fait un compte-rendu à peu près détaillé de ce qui était arrivé dans la désolation et l’intimité de la cage d’interrogation et de confession, tel est le nom que l’on utilise ici, et a conclu que l’extincteur n’était vraisemblablement pour rien dans le déroulement des choses et évènements répréhensibles et calamiteux dont nous connaissons toutes et tous les manifestations récentes, mais que tel n’était pas le cas du grille-pain existentialiste qui lui avait admis de son propre chef et plus que spontanément sa responsabilité de niveau 2 et 4 au titre des règles inviolables et multigracieuses dont la lecture nous est coutumière et a détaillé spontanément tous les incidents dont il s’est estimé coupables. Au demeurant, a-t-il ajouté, nous avons pu prolonger notre connaissance de ces évènements puisque plusieurs épisodes rapportés par le présupposé coupable étaient totalement inconnus des services d’investigations, recherches et analyses et sont maintenant à l’étude. Il est clair que le contrevenant grille-pain est lié à des actes odieux et que sa défense dans le cadre du procès en devenir sera délicate. Il encourt la peine capitale qui sera dans son cas particulier imposée par réfrigération des grilles et congélation des étiquettes et livres contenus dans sa mémoire artificielle.

 

Nous n’avons pu en savoir plus. Le procès débutera incessamment. Vous comprendrez certainement mon désarroi initial. Que puis-je dire ? Pourquoi n’avons-nous pas fait plus pour comprendre ce qui se tramait ?

 

Bien sûr, le grille-pain s’est accusé de tout, c’est ainsi qu’il agit, il est fataliste, son existentialisme kierkegaardien imprime ses grilles de lecture. Je suis si las, mais je peux vous l’affirmer dans ces lignes et propos, nous nous battrons jusqu’au bout. Pour l’heure je vais extorquer des renseignements sur ce qui se trame dans cet endroit, je vais parler aux gens, ce que j’aurais dû faire avant, mais je ne laisserai aucune pierre immobile, toutes seront retournées, toutes seront analysées.

 

Il nous faut savoir… Nous devons savoir… Le savoir doit nous imprégner… Et ce, même si Maria me regarde avec un brin de condescendance. A demain.

 

 

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De mes aveux sincères et émouvants, de mes crimes, de mes erreurs, de mon bienfaiteur policier, de mon bienheureux juge, et d’une addition un peu salée


De mes aveux sincères et émouvants, de mes crimes, de mes erreurs, de mon bienfaiteur policier, de mon bienheureux juge, et d’une addition un peu salée

 

 

 

Je dois l’admettre, c’est une chose qui m’étonne moi-même, mais c’est écrit, noir sur blanc, feuillet après feuillet, je suis un criminel notoire recherché par plusieurs polices du monde entier, je ne l’aurais pas cru si je ne l’avais pas lu mais tel est bien le cas, je suis un infâme criminel, c’est un représentant de la police bienfaisante de l’ordre, la sécurité, du bien-être et des droits fondamentaux de la personne qui me l’a assuré avec beaucoup de sérieux et de commisération dans la voix, je suis un affreux criminel, noir sur blanc, je vous l’ai dit et je le répète, et c’est signé en bas à droite du dernier feuillet et paraphé sur tous les autres, j’ai reconnu la signature, pas d’erreur possible, mon prénom puis mon nom, un peu hésitant car je n’étais pas en très bon état lorsque j’ai apposé ladite signature, tout cela est écrit de manière intelligible et les aveux fournis de mon plein droit, plein gré, et pleine attention, avec force louange, sérénité et doléance transparente et fidèle, sont recevables j’en attesterai plus tard lorsque je rencontrerai mon juge, bon et loyal, un homme bien sous tous rapports, sympathique et avenant, c’est ce que m’a dit qui m’a expliqué le commissaire Jorgensen, qui est si propret, honnête et méthodique qu’un avocat n’est même plus nécessaire, car il aime bien les aveux, surtout ceux extraits par confession honnête et louable, gentiment présentés, avec signature reconnaissable et conforme à celle du passeport, démontrant et attestant avec célérité et sérénité que l’étranger que je suis s’est introduit sur le territoire de l’Etat dont il s’agit et

 

(1) a provoqué des troubles durables et conséquents à l’ordre public, a plongé une partie du territoire dans un chaos absolu,

 

(2) s’est livré à un trafic de biens de consommation et mobiliers rares, tels par exemple des machines à gaz rondouillardes et des extincteurs rares,

 

(3) a tenté de soudoyer des magistrats aimables, bons et honnêtes afin de permettre la sortie à des fins bassement mercantiles d’animaux protégés par la Convention de Berne, de Lourdes et de Papouasie Nouvelle-Guinée et Basse Bretagne, telle l’autruche volante de Birmanie orientale,

 

(4) a soutenu des thèses néocoloniales et xénophobes en affirmant la suprématie de Yétis anarchistes sur le commun des mortels non poilus et non roux,

 

(5) s’est refusé à livrer à la saine vindicte populaire des contrebandiers d’œuvres de la renaissance, en particulier des pingouins ascétiques grotesques amateurs de Piero della Francesca,

 

(6) a privé une partie de la population de cet Etat tropical des bienfaits de la chaleur par infraction, effusion et fibrillation des fameux radiateurs jaunes à stries multiformes,

 

et (7) a détourné des fonds, des biens, des hommes et même des représentants féminins à la juridiction humaine précitée, notamment une étrangère au regard effronté et donc forcément répréhensible et de basse extraction, mais quand même une humaine.

 

Ledit juge, d’après mon bon et honnête policier qui me regarde avec un sourire joli et affable, est de nature pacifique et sympathique et aime les aveux extirpés par confession gratuite, fortuite et libre, selon les propres dispositions légales et paramédicales de la loi du 3 Ventôse de l’an 215, ce qui pourrait le conduire à déduire de la peine légitime librement décidée par le juge et acceptée avec sourire et remerciements chaleureux 125 années de plein droit et 7 de côté, une situation que j’ai considérée parfaitement appropriée et pas tout à fait négligeable.

 

J’ai cependant demandé à toutes fins utiles et mêmes inutiles, on ne sait jamais, quel était le total de la peine exigible et il a fait le total suivant avec un crayon qui m’a fait sursauter – car allez savoir pourquoi depuis mon interrogatoire je n’aime plus ce type d’outils pernicieux surtout lorsqu’on l’approche de l’oreille ou des yeux : 53 + 34 + 21 + 19 + 18 + 0,00000001 = 155 ans et des poussières.

 

Faisant jouer les déductions au titre de la TVA, de la bière moussue jaune à tâches vertes, et des bénéfices indirects pour le préfet, le commissaire, le femme de celui-ci, le juge, le greffier, le policier et les autres, ceci devrait m’amener à 126 ans, donc 126 – 125 = 1 an, un bon compte selon l’honnête homme.

 

J’ai secoué la tête comme un brave et bon imbécile et ai souri.

 

Il m’a serré la main, m’a serré dans mes bras, m’a serré ailleurs où je n’ai pas tellement aimé mais je n’ai pas très bien su comment le lui dire sans l’effaroucher, et m’a laissé dans les mains d’un autre individu, le juge je pense, qui lui aussi m’a souri et m’a amené vers un bureau où j’ai à nouveau tout signé, de mon plein gré et mon demi gros, avant de me retrouver dans une pièce sombre et sans lumière mais avec odeur.

 

C’est de là que je vous écris.

 

Je regrette de vous avoir induit en erreur. Je ne suis pas un chroniqueur accompagné de ses amis extincteur fort sage, Yéti anarchiste, autruche volante, flottante et trébuchante, pingouins amateurs de Piero, machine à gaz rondouillarde, grille-pain existentialiste réincarné en radiateur jaune artiste multiforme, et Maria la toute belle, non pas du tout, je suis un horrible criminel, je vous présente mes excuses les plus plates, désolé pour la confusion, ne m’en veuillez pas, je me suis berné moi-même, c’est la vie.

 

On verra tout cela dans un an.

 

Je vous laisse car mon cher ami policier souhaite me raconter une histoire pour m’endormir.

 

Bien à vous.

yyyaya

Chronique – 53


D’un résumé de l’épisode du lendemain, de la pagaille au tribunal et des frémissements d’une nouvelle errance

Pour rompre la tradition fort désagréable prévalant en matière de séries écrites ou visuelles tendant à introduire au début de chaque chronique, épisode, chapitre ou film un résumé des épisodes précédents suivi de commentaires anodins ou rires en emballage plastique, les auteurs de cette chronique ont décidé de procéder différemment, de batailler contre les principes trop bien établis, s’insurger contre les rires en cartons pates, et proposer dorénavant un compte-rendu détaillé des épisodes du lendemain plutôt que de la veille.

Ceci naturellement risque d’accentuer le caractère un brin confus de la chronique dont vous êtes le digne récipiendaire, mais apportera un supplément d’âme à l’errance des personnages dont nous suivons la trace au jour le jour, pas à pas, et mot à mot.

Donc, pour l’épisode d’aujourd’hui reportez-vous à la chronique d’hier qui malheureusement n’en parle pas mais vous comprendrez bien que Rome ne s’étant pas faite en un jour, ni en un mois d’ailleurs, il n’est pas possible pour les arpenteurs de cette série de s’infiltrer dans les sinuosités du temps et remédier ou pallier aux imperfections du moment. Tant pis, vous n’aurez pas l’épisode d’aujourd’hui qui aurait dû être résumé hier mais n’a pas pu l’être puisque hier était un autre jour et précédait le moment où la décision a été prise de procéder différemment.

Pour autant que vous nous suiviez encore, ce qui pourrait ne pas être le cas, ce serait bien triste, entendez-le bien, mais hautement compréhensible, voici l’épisode de demain :

Chaque procès recèle son lot de drames et de passion, celui de l’autruche volante, flottante et trébuchante, la bien nommée marmotte gracieuse n’a pas manqué à la tradition. Notre amie, chargée pour des crimes qu’elle n’avait pas commis, notamment pour assassinat de poissons, disparition des thons rouges, fuites sur Wikileaks, et j’en passe, en lieu et place des trois pingouins à lunettes roses, s’est trouvée en position fort difficile après le procès expéditif dont le juge de paix, de bonté et de sagesse l’avait accablée.

Au moment de sortir de la salle VIII, nous avons été témoin d’un coup d’éclat, de théâtre et d’arabesque.

Les trois pingouins, déguisés pour des raisons incompréhensibles en ours blanc, se sont livrés aux fines autorités en déclarant ceci : ô grand juge, représentant du peuple, de la démocratie, de la république et de la joie suprême, vous cherchiez des pingouins, les voici ! Nous nous livrons à la clémence des belles et bonnes autorités et nous constituons prisonniers pour ne pas accabler la brave autruche volante, flottante et trébuchante injustement punie pour des crimes dont elle n’avait même pas connaissance au moment des faits, ni après d’ailleurs.

Le juge a immédiatement demandé à l’huissier de service et d’ailleurs de prendre note de la déposition des trois pingouins déguisés en ours et de procéder à une vérification d’identité en allant rechercher les trois pingouins précédents, déguisés en autruche, et de faire comparaître tout ce beau monde dans son beau tribunal instamment, incessamment et sous peu.

Ledit huissier à pattes de velours, a usé de son cor de chasse pour rappeler notre amie qui est revenue en prononçant ces mots fameux : qui dort dine, qui dine pense, qui pense rêve, et qui rêve pleure. Je suis triste mais rassurée. La vie est rose et les lunettes parfois aussi. Que le jour soit.

La confusion étant alors totale dans la salle du tribunal, le juge a fini par hausser les épaules et dire la chose suivante qui n’est pas sans poser un certain nombre d’interrogations sur la justice en général, et la justice en particulier aussi, à savoir : foutez-moi tout ce beau monde dehors, de toutes les façons les poissons je m’en contrefous à un point. Dehors !

Nous nous sommes précipités hors de la salle, hors le tribunal et hors la ville de Vienne bâtie depuis peu sur une île tropicale et lorsque le souffle nous est revenu, assez violemment d’ailleurs me précipitant moi et l’extincteur par terre, nous nous sommes assis au bord d’une rivière et après nous être félicités de la tournure des évènements, nous avons complimenté l’autruche pour son comportement remarquablement digne.

Celle-ci n’a pas eu l’air de tout à fait comprendre les raisons desdites félicitations mais une larme a humidifié sa joue ce qui nous a tous ému, et vous aussi j’espère.

Par suite, nous avons débuté un long conciliabule pour déterminer quelle devait être la marche à suivre et la suite à donner au présent épisode, autant d’éléments dont nous vous réserverons la primeur demain ou plutôt après-demain, c’est-à-dire demain quand même.

Des perles de joie sont revenues en nos cœurs et les ont inondés de bonheur.

Nous sommes satisfaits.

Que la joie demeure.

§660

Chronique – 52


De sinistres retrouvailles, des attendus peu explicites, de la condamnation d’une autruche volante, flottante et trébuchante et de l’attente d’un miracle  

Il y a dans la vie un certain nombre de situations qui sont inextricables et d’autres qui sont inexpliquées. Ces derniers jours notre parcours relève de ces deux catégories à la fois.

Notre amie, l’autruche volante, flottante et trébuchante, autrement nommée marmotte gracieuse, a comme vous le savez été arrêtée en lieu et place des trois pingouins à lunettes roses pour assassinat et torture de poissons et ce dans la bonne île de Vienne. C’est elle-même, dévouée et martyrisée, qui s’est livrée aux autorités pour protéger nos amis les pingouins aux lunettes roses dont le comportement intempestif risquait de les conduire à une exécution immédiate.

Depuis lors, Maria, au regard profond et liseré d’étoiles, l’extincteur, toujours fort sage mais un brin timoré dans cette affaire – probablement tiraillé entre sa vocation de sauveteur d’autrui, un Saint-Bernard mécanique, et son respect inné, génétique et inconditionnel des autorités – le grille-pain, existentialiste et déprimé et moi-même, perdu dans quelque monde parallèle, sommes à la recherche de l’endroit où les braves, courageux, dignes et nobles représentants des autorités et donc du peuple pourraient avoir placé notre amie en détention préventive, non abusive et palliative.

Hier, nous avons trouvé un avocat digne de ce nom, du sien et des autres, nous sommes assis à terre plutôt qu’au plafond et avons sifflé un refrain pour retrouver la disparue, allez donc savoir pourquoi… Cette méthode un brin particulière a pourtant porté ses fruits, voire même ses poireaux et fenouil du marché, et l’autruche a enfin donné signe de vie.

En fait, le sifflement s’échappant de nos gorges et bouches, passablement sèches après plusieurs heures consacrées à une telle activité, a sillonné les couloirs du tribunal où nous nous trouvions, obliquement et par revers droit et pas courbe, pour finalement aboutir dans la chambre VIII dudit tribunal.

Un vrai fait du hasard mais également selon le grille-pain un défi à notre tentative de trouver un caractère rationnel au cours des évènements dont nous sommes tributaires, victimes et contribuables – ce dernier point est avéré et corroboré par le texte 7, 9 et b, du paragraphe 27, de la section trois, du chapitre 8, du livre z de la loi de Shtrouzk-Réaumur et pas Sébastopol. L’autruche était accompagnée par cinq représentants des autorités clairvoyantes et dignes vers ladite salle pour comparution immédiate.

Entendant le sifflement, elle s’est immédiatement lancée dans une reprise enflammée ce qui n’a pas manqué d’énerver le juge en charge du dossier. Nous nous sommes précipités et avons rejoint la salle d’audience où se trouvaient, dans le désordre, le juge, l’autruche notre amie, la cohorte des membres du jury, le public représenté par un canari jaune, et l’avocat de la défense, une chaise vide commise d’office. Nous nous sommes installés au premier rang du public non partisan et avons assisté, muets, à la procédure dont voici le compte-rendu fidèle, approprié et adéquat :

Le juge : Faites asseoir les trois pingouins aux lunettes roses coupables des faits qui leurs sont reprochés.

L’huissier : Faites entrer les trois pingouins.

Cinq agents de sécurité, d’ordre, de bienfait et bonheur incarnés (entourant l’autruche volante): Voici les trois pingouins coupables.

L’autruche volante, flottante et trébuchante dite marmotte gracieuse : Que le vent souffle sur les terres brûlées et l’eau coule sous les ponts et par-delà le bon vieux port d’Honfleur et si vous m’y autorisez que les choses soient.

Le juge : Pingouins, vous êtes coupables des faits qui vous sont reprochez, à savoir la disparition des thons de l’océan et par extrapolation de la mort de milliers d’oiseaux ayant heurtés le sol lors des tirs de feu d’artifice, de la diffusion d’informations erronées par Wikileaks, de la non découverte d’exo planètes ce mois-ci et de la non distribution de mon quotidien préféré ce matin. Comment plaidez-vous, pingouins ? Et répondez l’un après l’autre je vous prie.

L’avocat de la défense, en troisième ligne : Nous demandons le report du repère sacré de la murène.

L’huissier : Pingouins, comment plaidez-vous ? a demandé le juge chargé du dossier. Vous êtes sensés répondre l’un après l’autre l’une des trois formules suivantes (i) coupables, (ii) pas innocents, (iii) entre les deux mon cœur de pingouin balance. Alors ?

L’autruche volante, etcetera : Sur l’étendard du désespoir flotte la bannière étoilée de la misère et nous sommes ainsi dans une drôle de soupe, courge ou poireau je ne sais pas, mais franchement je vais y voler mon latin.

Le juge : Qu’il en soit donc ainsi dit et consommé. Les trois pingouins seront exécutés aujourd’hui, interrogés demain et rencontreront leurs avocats le jour d’après. Ils pourront ensuite quitter la prison pour rejoindre le commissariat du peuple, des gens, de la mesure et des bons et loyaux sujets de sa majesté républicaine. Par suite, si les faits sont commis, ils seront encouragés à vérifier ceux-ci et que le meilleur gagne. Procès suivants. Faites avancer le coupable et en attendant dégager les trois pingouins selon l’ordre qu’ils voudront.

Nous n’avons pas forcément compris l’ensemble des propos qui ont été articulés car l’interprète habillée en smoking vert et palmé de la tête aux pieds avait un étrange accent sino-portugais que seul peut-être le Yéti anarchiste aurait compris s’il avait été présent. Cependant, la teneur de la procédure et les envolées du juge ne nous ont pas laissé totalement insensibles.

Il est clair que notre amie est dans de beaux draps, de la damasserie à tout le moins et que nos pleurs et cris étouffés de sanglots, de larmes et de froissements de mouchoirs en papier sur fond de crécelles ne serviront pas à grand-chose.

Il nous faut un miracle.

C’est cela, un miracle.

Un miracle.

§895

Chronique – 51


D’une nouvelle pérégrination, d’un huissier hostile, d’un avocat plaisant et du destin d’une autruche volante, flottante et trébuchante incarcérée sur l’île de Vienne

Je me demande souvent pour quelles raisons le propre du vivant est d’avancer, inlassablement, se relevant de ses cendres pour y retomber, sans dessein particulier sinon d’avancer, rejoignant ainsi des cohortes d’autres vivants participant à la même insondable, inclassable et implacable marche en avant, vers le gouffre ou le précipice, vers l’horizon fumeux ou l’éphémère plaisir.

Je me le demande encore plus aujourd’hui.

Après avoir quitté le confort douillet de notre appartement pour fuir des représentants implacables de divers ordres qui nous recherchaient sur la base de la diffusion alléguée d’informations extrêmement confidentielles sur la toile, sillonné les rues de Copenhague puis Vienne, puis la Mer d’Autriche à bord de baignoires mal colmatées à la recherche d’Arezzo pour y déclarer l’indépendance des fresques de Piero della Francesca, puis un banc de sable mal répertorié puis à nouveau Vienne mais une nouvelle Vienne tropicale, nous voici en train de rechercher inlassablement notre amie, l’autruche volante et flottante, dite marmotte gracieuse ayant trébuché hors de nos vies hier matin suite à un dévouement et une abnégation hors du commun.

L’extincteur, Maria et moi effectuons cette quête accompagnés du grille-pain existentialiste qui a juré sur la foi de Kierkegaard dont il conserve un exemplaire de sa pensée en son sein qu’on ne lui verrait aucune larme couler sur son bel inox et qu’on n’entendrait aucune plainte, lamentation ou élucubration provenant des grilles d’acier ayant brûlé plus de pains et toasts que les inquisiteurs n’avaient brûlé de cathares au XIIIème siècle. Dont acte.

Nous avons débuté notre course contre la montre à 17 heures 17 minutes et 17 secondes en référence aux propos tenus par James Balach Mlush dans son épopée fameuse dont le seul exemplaire disponible dans les caves du Vatican a disparu récemment.

Après avoir localisé le bureau des personnes disparues dans le cadre de l’application des dispositions 765 à 89 de la lettre z du code de procédure pacifique et atlantique, aussi, situé sur la rive occidentale de l’île de Vienne, nous avons pris rendez-vous avec l’huissier du 5ème district en charge des individus dont la prétention à être pris en compte au titre de ladite loi n’est pas dépourvue d’un faisceau immédiat et conjoncturellement cohérent et passablement concordant.

Il s’agissait d’une jeune femme habillée en vert et accompagnée d’un interprète en smoking lui aussi vert mais portant des palmes bleues qui nous a immédiatement interpellés en nous demandant de préciser en deux mots les motifs de notre saisine ce que nous avons fait de la manière suivante : Nous recherchons une autruche arrêtée hier matin en lieu et place de pingouins aux lunettes roses. Nous souhaiterions contester cette arrestation et en outre connaître les raisons pour lesquelles des pingouins ne sauraient consommer des poissons, une nourriture essentielle pour leur développement durant la phase de transition vers le végétarisme intégral de niveau 3.

L’aimable huissier a rétorqué en tenant une machine à boulier et antennes sombres que nous venions de proférer 54 mots en 315 caractères représentant un excédent de 2700 pour cent et nous qualifiant ainsi pour une amende de désordre de 315 x 2700 euros.

Nous avons essayé de répliquer à cette surprenante admonestation mais la voyant secouer la machine sombre nous avons préféré obtempéré et faire un chèque du montant considéré tout en nous demandant sur quel compte celui-ci serait concrétisé dans la mesure où le grille-pain, le signataire, ne semblait pas posséder de valeurs marchandes ou trébuchantes.

Qu’importe, nous avons quitté ce lieu sans avoir obtenu des précisions utiles ou même inutiles sur les questions qui nous importaient. Dans les couloirs d’un tribunal voisin, il me semble qu’il s’agissait de la troisième chambre de la cour inférieure droite du maxillaire supérieur de l’île de Vienne, face nord, dans lesquels nous marchions sans savoir que faire nous avons rencontré un avocat en tenue verte accompagnée d’une interprète habillée en smoking et palmes, une récurrence étonnante je dois le confesser, et lui avons exposé notre situation.

Il a immédiatement et pour notre plus grand bonheur accepté de prendre fait, droit, gauche et cause pour nous, moyennement contribution à son fond de doléance, martyrologie et sublimation des bonnes et justes causes démagogiques ou non à hauteur de cinq fois la somme perçue par l’injuste huissière, chèque immédiatement signé par le grille-pain qui a admis plus tard aimer par-dessus tout se rendre utile et contribuer à quelque cause que ce soit pour contribution à un dessein ou une fin vraisemblable, juste et bonne.

L’avocat a froissé le chèque, examiné sa transparence sous une lumière prévue à cet effet à l’entrée du tribunal, léché le papier et humé l’encre, puis a dit de manière solennelle – une attitude apparemment requise au titre d’une réglementation en vigueur jusqu’au vendredi suivant le jour de son édiction pour consommation possible jusqu’à trois jours ouvrés plus tard – Bon pour acquis et faire de droit, valoir et aplomb puis nous a serré la main et nous a murmuré : songeons mes amis à votre autruche et de ce songe viendra une étincelle qui telle la lumière au sortir d’un tunnel nous dictera la voie à suivre.

Il s’est assis par terre avec l’interprète à sa gauche et nous à sa droite, ou l’inverse suivant où l’on se place, et s’est mis à siffler un air incongru mais plaisant.

Nous en sommes là. D’après l’interprète qui s’est laissé aller à un commentaire complice, nous devrions dans quelques heures réussir une combinaison d’aliénations et de conjectures favorables et ainsi rentrer en contact auratique avec notre amie et déterminer avec une précision relative l’endroit où elle a été incarcérée en attendant son jugement par une cour haute et neutre, objective et permanente, frisée ou non, pour rupture de confiance, abus de personnalité, pressante abnégation et rejet de la supériorité avérée des tenants et aboutissants sur l’île de Vienne nord au titre de la doctrine de Preznel.

Nous attendons et songeons avec tristesse au sort de notre amie, l’autruche volante, flottante et trébuchante dite marmotte gracieuse.

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