De ma cinquième leçon dans le désert
Les dunes sont un peu moins hautes, leur épiderme moins profond, leur sable moins chaud, leur chaleur moins accablante. Il est plus aisé pour moi de suivre le pas de Maria au regard si profond que je m’y suis perdu, de la jeune fille aux cheveux rouges, et de l’autruche volante, flottante et trébuchante.
Peut-être s’agit-il d’une simple impression, peut-être me suis-je habitué à la douleur et à l’accablement, on s’habitue à tout, surtout lorsque le choix n’existe pas, pour autant qu’il y ait réellement un choix dans ce que nous vivons et faisons.
Les paysages sont peut-être beaux, peut-être laids, cela n’a pas d’importance, lorsque chaque pas est une souffrance le beau et le laid n’existent plus, ne reste que le présent et éventuellement une parcelle du futur très proche.
Le passé ne laisse même plus d’ombre, rien, absolument rien, car il n’y a pas vraiment d’ombre dans un désert, comment pourrait-il y en avoir dans ce face à face impitoyable entre l’astre luisant tout là-haut et le reste, une étendue de sable, de cailloux, de branchages morts ou tout juste, des collines planes, des semblants de routes ou d’anciens oueds perdus dans une mort apparente.
Il n’y a pas d’ombre, il n’y a pas de mémoire, il n’y a pas de souvenir, tout n’est que dans l’instant, la survie, la nécessaire survie au-delà de la souffrance, c’est ainsi.
Je marche avec peine derrière mes deux amies tenant dans ma main droite le bout des plumes d’autruche de mon amie si fidèle qui prononce quelques mots tous les quart ou demi-heure, pour me remonter le moral, pour m’encourager, c’est ainsi que je le conçois car je ne sais toujours pas ce qu’elle veut dire, mais depuis hier cela n’a plus d’importance, valse, cloche, berger, manger, toucher, avancer, toujours, ainsi, demain, jamais, dès l’aube, cormoran, vole, toujours, marcher, ici, encore, toujours, pas d’abandon, pas de cris, pas de pleur, juste devant, jamais autrement, la danse, le chant, la musique, la peinture, les joies, les choses, la couleur verte, le rose aussi, le rouge peut-être, Saint-Pétersbourg, ici, toujours, devant, maintenant, Virgile.
Les deux jeunes femmes avancent et se parlent méthodiquement, patiemment, imperturbablement, se retournant de temps en temps pour surveiller mon train, me souriant avec candeur et ingénuité, me tendant parfois une gourde qui semble ne jamais se tarir, des visages resplendissants en dépit de la chaleur que je suis le seul à vraiment ressentir, des yeux tracés façon égyptienne, celle de l’antiquité, celle de tous les temps, de toutes les femmes, et je ne dis rien car ma bouche est sèche même après avoir bu, peut-être également parce que je n’ai rien à dire, car dans le désert tout se perd, tout s’oublie, tout se tarit, tout disparait dans une gangue de chaleur et d’épuisement, dans une zone de non-droit ,de non-vie, de non-être, il n’y a plus que des souvenirs perdus, des ombres anéanties, des disparitions finales et définitives, tout a été absorbé et rien ne sera retrouvé, tout est englouti, tout est avalé.
La mémoire se perd dans le désert et je ne saurais même pas dire s’il s’agit-là d’une cinquième leçon car j’ai oublié quelles étaient les autres, je ne sais plus ce que hier était, ce qu’avant était, qui ou quoi ou comment, rien.
Je me pose des questions très simples, mon nom, mon prénom, ma ville de naissance, les prénoms et noms de mes parents, mes adresses passés, les noms de mes amis, les lieux où j’ai vécus, mais tout s’est perdu dans un flou inépuisable, indécelable, une zone vierge difficile à cerner, je ne me rappelle de rien.
Maria a parlé ce matin de nos amis égarés mais je ne me suis même plus souvenu qui ils étaient, où ils sont partis, et pourquoi, et quand, et comment.
Tout s’est évaporé.
La jeune fille aux yeux rouges a mentionné des évènements et des sursauts, des révolutions et des contre-révolutions, des combats gagnés et d’autres perdus, mais je ne me souviens pas de quelle révolution il s’agit, j’ai perdu le sens de ce qui a été, ne reste que l’instant présent dans ce pays de misère, ce désert sans ombre, ce désert de lumière qui ne s’abrite derrière aucun artifice et prolonge le présent à perte de vue et de sensation.
Il n’y a rien d’autre.
Ne me demandez pas qui je suis car je ne le sais pas.
Je ne sais d’ailleurs même pas qui vous êtes, vous, à qui je m’adresse, des lecteurs inconnus, des yeux absents, des paroles qui s’effacent.
Le désert absorbe tout et ne rend rien.
Le désert est silence et lumière, il n’y a rien à voir, entendre ou dire, il n’y a pas d’ombre, pas de souvenir, pas de passé, pas de futur. Pas d’ombre, vous rendez-vous compte ?
Pas d’ombre.
Pas de mémoire.
Un rien qui résonne plus que le plus grand bruit.
Les dunes sont un peu moins hautes, leur épiderme moins profond, leur sable moins chaud, leur chaleur moins accablante. Il est plus aisé pour moi de suivre le pas de Maria au regard si profond que je m’y suis perdu, de la jeune fille aux cheveux rouges, et de l’autruche volante, flottante et trébuchante.
Peut-être s’agit-il d’une simple impression, peut-être me suis-je habitué à la douleur et à l’accablement, on s’habitue à tout, surtout lorsque le choix n’existe pas, pour autant qu’il y ait réellement un choix dans ce que nous vivons et faisons.
Les paysages sont peut-être beaux, peut-être laids, cela n’a pas d’importance, lorsque chaque pas est une souffrance le beau et le laid n’existent plus, ne reste que le présent et éventuellement une parcelle du futur très proche.
Le passé ne laisse même plus d’ombre, rien, absolument rien, car il n’y a pas vraiment d’ombre dans un désert, comment pourrait-il y en avoir dans ce face à face impitoyable entre l’astre luisant tout là-haut et le reste, une étendue de sable, de cailloux, de branchages morts ou tout juste, des collines planes, des semblants de routes ou d’anciens oueds perdus dans une mort apparente.
Il n’y a pas d’ombre, il n’y a pas de mémoire, il n’y a pas de souvenir, tout n’est que dans l’instant, la survie, la nécessaire survie au-delà de la souffrance, c’est ainsi.
Je marche avec peine derrière mes deux amies tenant dans ma main droite le bout des plumes d’autruche de mon amie si fidèle qui prononce quelques mots tous les quart ou demi-heure, pour me remonter le moral, pour m’encourager, c’est ainsi que je le conçois car je ne sais toujours pas ce qu’elle veut dire, mais depuis hier cela n’a plus d’importance, valse, cloche, berger, manger, toucher, avancer, toujours, ainsi, demain, jamais, dès l’aube, cormoran, vole, toujours, marcher, ici, encore, toujours, pas d’abandon, pas de cris, pas de pleur, juste devant, jamais autrement, la danse, le chant, la musique, la peinture, les joies, les choses, la couleur verte, le rose aussi, le rouge peut-être, Saint-Pétersbourg, ici, toujours, devant, maintenant, Virgile.
Les deux jeunes femmes avancent et se parlent méthodiquement, patiemment, imperturbablement, se retournant de temps en temps pour surveiller mon train, me souriant avec candeur et ingénuité, me tendant parfois une gourde qui semble ne jamais se tarir, des visages resplendissants en dépit de la chaleur que je suis le seul à vraiment ressentir, des yeux tracés façon égyptienne, celle de l’antiquité, celle de tous les temps, de toutes les femmes, et je ne dis rien car ma bouche est sèche même après avoir bu, peut-être également parce que je n’ai rien à dire, car dans le désert tout se perd, tout s’oublie, tout se tarit, tout disparait dans une gangue de chaleur et d’épuisement, dans une zone de non-droit ,de non-vie, de non-être, il n’y a plus que des souvenirs perdus, des ombres anéanties, des disparitions finales et définitives, tout a été absorbé et rien ne sera retrouvé, tout est englouti, tout est avalé.
La mémoire se perd dans le désert et je ne saurais même pas dire s’il s’agit-là d’une cinquième leçon car j’ai oublié quelles étaient les autres, je ne sais plus ce que hier était, ce qu’avant était, qui ou quoi ou comment, rien.
Je me pose des questions très simples, mon nom, mon prénom, ma ville de naissance, les prénoms et noms de mes parents, mes adresses passés, les noms de mes amis, les lieux où j’ai vécus, mais tout s’est perdu dans un flou inépuisable, indécelable, une zone vierge difficile à cerner, je ne me rappelle de rien.
Maria a parlé ce matin de nos amis égarés mais je ne me suis même plus souvenu qui ils étaient, où ils sont partis, et pourquoi, et quand, et comment.
Tout s’est évaporé.
La jeune fille aux yeux rouges a mentionné des évènements et des sursauts, des révolutions et des contre-révolutions, des combats gagnés et d’autres perdus, mais je ne me souviens pas de quelle révolution il s’agit, j’ai perdu le sens de ce qui a été, ne reste que l’instant présent dans ce pays de misère, ce désert sans ombre, ce désert de lumière qui ne s’abrite derrière aucun artifice et prolonge le présent à perte de vue et de sensation.
Il n’y a rien d’autre.
Ne me demandez pas qui je suis car je ne le sais pas.
Je ne sais d’ailleurs même pas qui vous êtes, vous, à qui je m’adresse, des lecteurs inconnus, des yeux absents, des paroles qui s’effacent.
Le désert absorbe tout et ne rend rien.
Le désert est silence et lumière, il n’y a rien à voir, entendre ou dire, il n’y a pas d’ombre, pas de souvenir, pas de passé, pas de futur. Pas d’ombre, vous rendez-vous compte ?
Pas d’ombre.
Pas de mémoire.
Un rien qui résonne plus que le plus grand bruit.