D’un discours sur la méthode et du peu d’influence que cela peut avoir sur notre comportement


D’un discours sur la méthode et du peu d’influence que cela peut avoir sur notre comportement Notre séjour dans cette terre de misère et poussière touche à sa fin. Nous l’avons annoncé à la jeune fille au pull rouge et à sa mère. Nous avons fait ce que nous pouvions faire, c’est-à-dire pas grand-chose, mais […]

https://erictistounet.org/2015/08/13/dun-discours-sur-la-methode-et-du-peu-dinfluence-que-cela-peut-avoir-sur-notre-comportemen/

D’un discours sur la méthode et du peu d’influence que cela peut avoir sur notre comportement


D’un discours sur la méthode et du peu d’influence que cela peut avoir sur notre comportement

Notre séjour dans cette terre de misère et poussière touche à sa fin. Nous l’avons annoncé à la jeune fille au pull rouge et à sa mère. Nous avons fait ce que nous pouvions faire, c’est-à-dire pas grand-chose, mais au moins aurons-nous essayé, certains de manière décisive et constructive, telle Maria au regard si profond que je m’y perd si fréquemment ou l’extincteur fort sage qui a proposé des références historiques à toute une jeunesse laissée à elle-même, d’autres avec une dose de décalage avec les besoins, la réalité et les circonstances, c’est-à-dire l’autruche volante, flottante et trébuchante, les trois pingouins aux lunettes roses amateurs de Piero della Francesca et votre serviteur, perdus dans des recherches infructueuses, des contemplations inutiles et des observations stériles, et enfin, d’autres encore, à contre-courant ou de manière parfaitement intrusive et paternaliste, néocolonialiste pourrait-on dire, tentant d’imposer à des peuples qui ne le leur avait pas demandé leur avis, opinion ou marche à suivre stéréotypée, je veux dire la machine à gaz rondouillarde à tendance politicienne et le Yéti anarchiste.

Nous allons donc quitter les lieux, en tout cas certains d’entre nous, Maria, l’autruche, les pingouins, la machine rondouillarde dorénavant fortement aigrie et marquée dans son ego révulsé et rejeté, et l’auteur de ces lignes.

Nous irons à Arezzo.

Notre destination est claire et notre détermination intacte. Nous y irons car c’est une promesse que nous avons faite aux pingouins et peu importe le caractère ridicule, niais ou absurde de cette quête nous nous devons d’y aller.

Mais cette fois-ci nous procéderons autrement qu’il y a quelques semaines. Finies les hésitations et le laisser-faire, nous ne nous laisserons pas entraîner sur les sinuosités du destin par quelque navire humanitaire ou des baignoires trouées. Depuis ce matin nous réfléchissons au meilleur moyen d’entreprendre cette traversée.

Nous avons réuni cartes et ordinateurs, avons repéré Arezzo sur des plans de différentes tailles et format, avons compilé matériels, logiciels et données et échangé toutes sortes d’idées.

Le premier constat que j’ai formulé est qu’il serait bon de déterminer le nom du pays dans lequel nous avons échoué voici des semaines déjà, ainsi que la ville où nous nous cachons actuellement. « Ce serait un bon point de départ » ai-je fanfaronné à l’adresse de Maria montrant que mon séjour dans le désert avait eu quelque effet salutaire « et de là nous pourrions dresser des lignes, tracés et itinéraires. Adieu les approximations du temps où nous pensions être partis de la bonne et belle île de Vienne et naviguions sur la Mer d’Autriche, fini tout cela. Nous devons être précis, procéder par extrapolation, déduction, et recoupement des faits et analyses. Le sérieux de notre méthode ne doit plus être sujet à caution ».

Tout le monde a opiné du chef et nous nous sommes penchés sur toutes les cartes disponibles jusqu’à ce que les pingouins ne proposent plus prosaïquement de nous rendre à l’aéroport le plus proche et prendre des billets car après tout, ce serait la démarche la plus légitime et naturelle, un aéroport, deux aérogares, trois avions, quatre passagers et cinq pilotes, et vogue la galère, direction Arezzo, et qu’on nous serve purée de marrons et quiche aux poissons avec un bon verre de Merlot Tessinois. Voici la façon la plus simple de procéder.

Nous avons alors ouvert d’autres livres, manuels, ordinateurs et médiums de toutes sortes, jusqu’à ce que Maria ne déclare très simplement que « la gente humaine étant ce qu’elle est, c’est-à-dire peu tolérante de nature et dans les circonstances assez suspicieuses je ne suis pas sure que l’arrivée d’un groupe d’amis composé de deux humains, une machine, trois pingouins et une autruche volante se fasse dans la discrétion et conduise à une action décisive, circonstanciée et adéquate du personnel au sol de quelque compagnie aérienne que ce soit ».

Nous avons arrêté notre frénétique recherche et avons contemplé le plafond fort beau de la pension de famille de la mère de la jeune fille au tee-shirt rouge, songeurs, atterrés, perplexes, jusqu’à ce que l’autruche dans sa faconde habituelle ne déclare « cigognes dans le ciel, paquets dans le bec, moi je vole, vous dans paquets, et pan dans le ciel, et sourires partout, le bonheur est là, l’arc-en-ciel se crée et nous avançons, les choux sont gras, les bambins pleurent, on les comprend, mais on avance ».

Nous avons alors envisagé la proposition étonnante de notre volatile préféré analysant notre poids total brut, bagages non comptés, déterminé la surface de tissus nécessaire, calculé la résistance de ce dernier suivant la formule bien connue xgt x T2 = m(e/7.89)/14×3, envisagé la force de portance des ailes de l’autruche, déterminer ses battements d’aile à la minute, extrapoler sur une heure et finalement conclu de par le bec des pingouins qu’il faudrait trois cent kilos par heure de pâte d’arachide, merlan, fils électriques et beurre d’anchois pour nourrir l’autruche ainsi que trois cent deux litres d’eau par période de trois heures et sept minutes, ce qui paraît parfaitement inadapté et impossible à concevoir de la manière méthodiste, méthodique et kantienne suggérée par Maria la douce. Adieu le transport par voie autruchienne, ce qui n’est pas si regrettable par ailleurs puisque nous n’avions pas obtenu la certitude de pouvoir voyager en classe affaire.

Nous avons repris la discussion à son point d’origine et étudié la possibilité de prendre le train, mais ceci nous a entraîné dans des circonvolutions fort regrettables sur les points précédemment évoqués notamment le point de départ, « où sommes-nous bon dieu ! » a résumé l’un des pingouins, une expression regrettable qui a provoqué une discussion de nature théologique avec la machine à gaz rondouillarde qui a retrouvé un peu de sa fraîcheur et verdeur pour indiquer « je vous ai compris, et si tel est le cas, croyez bien que le tout puissant vous a compris. Vous n’imaginez tout de même pas qu’un assemblage de métal puisse déterminer quelque chose que le très haut et très puissant n’aurait pas imaginé un quart de seconde avant lui. Si moi je comprends, alors Lui, ou Elle, perçoit tout avant que nous ayons envisagé de concevoir ladite pensée ».

Deux heures de discussion échevelée s’en sont suivies. Finalement, Maria nous a interrompu et a dit très simplement la chose suivante « Soyez prêts demain matin à neuf heures. Nous partirons. Je vous indiquerai comment. Pour l’heure, que chacun s’apaise et que nous profitions de ces dernières heures pour prendre congé dignement de celles et ceux qui nous ont accueillis dans cette pension ».

Nous en sommes là, réunis autour d’une table, dégustant des plats et mets plus raffinés les uns que les autres, entendant des chansons tendres et douces psalmodiées par trois jeunes vieillards du voisinage, et profitant une dernière fois de la douce et chaude atmosphère de ce pays convulsé mais si humain.

Je ressens une douleur étrange du côté gauche de ma poitrine, j’ai l’impression que l’on appelle cela un pincement au cœur mais dans la mesure où je suis assis à côté de Maria, ma main dans la sienne, ceci ne saurait être le cas.

Alors, que l’or du soir tombe, mes yeux sont las, et mon âme colorée est prête à toute éventualité.

wall20

Demain 48


48.

Nous sommes quelques rescapés et marchons sur une longue plaine serpentant entre les collines et le fleuve. Un grand axe de communication, noir comme la plume du corbeau, troue le paysage au-delà de l’eau suivi de multiples zébrures traces inertes et oubliées, déjà, d’un temps où les trains magnétiques, les transports de masse et les déplacements de marchandise et produits de base se superposaient sur plusieurs niveaux et formaient un brouillard permanent. L’air est doux. Le ciel est pigmenté de blanc entre des couches de bleus et des scintillements argentés. Le soleil est plutôt bas sur l’horizon. Les clameurs du vent se sont étouffées sous l’usure de l’oubli, de la routine et de l’habitude. Nous marchons, groggys, perdus, enterrés dans nos crânes qui ne dispensent plus de couleurs depuis un temps assez long. Nous sommes enfermés dans nos souvenirs récents, la mort de nos amis, enterrés à la va-vite, à côté de cadavres de répugnants de fanatiques religieux que nous avons laissé pourrir à même le sol, qu’ils crèvent deux fois, pour autant que cela soit possible, maintenant et dans l’inexistence d’un au-delà qu’ils recherchaient, que leur chair décomposée prévienne d’autres naïfs que le monde n’est plus composé que d’erres sans morale ou compassion, réduits au statut d’animal affamé.

Nous sommes alignés par deux ou trois et avançons lentement. Nous sommes un peu plus d’une dizaine. Le blessés de la veille sont morts cette nuit ou se sont remis, plus ou moins, et marchent à nos côtés en claudicant, sans se plaindre, soulagés de s’être remis, épargnés par les éléments, pour l’heure.

Autour de nous, les éoliennes sont plus nombreuses que les arbres et alternent avec les cubes blancs immaculés et les dômes dont la fréquence est faible mais cohérente avec le reste du paysage. Plusieurs milliers d’éoliennes pour des centaines de cubes et quelques unités de dômes. Il doit y avoir entre les uns et les autres un rapport tripe de 1 pour dix, un pour cent et un pour mille, les distances entre eux semblent obéir à des relations proportionnelles algébriques simples. Mais, quelles qu’aient pu être les motifs ayant conduit à la construction de ces engins ou objets, ils sont maintenant à la fois oubliés et inutiles, illusoires. Tout est mort en dessous ou en passe de l’être. Nous n’avons pu apercevoir ce qui se cachait sous les hublots de ces mondes endormis mais aucune lueur ne laisse deviner une ou des vies camouflées, rien de tel. Nous avons parcouru des dizaines de kilomètres, peut-être une centaine, toujours le même paysage artificiel, toujours ces éoliennes, cubes et dômes, mais aucun signe ne décelant la moindre parcelle de vie. La conclusion la plus simple est que ce monde enterré pour survivre n’a pas permis de satisfaire ce but premier, les enfermés se sont simplement trouvés enserrés dans une coque de verre, acier et plastiques et sont morts asphyxiés… tristes fins pour des humains qui se croyaient au-dessus des autres et se trouvent maintenant, au mieux agonisants et oubliés, au pire morts et putréfiés, en-dessous d’eux.

Nous avons été rejoints sur quelques kilomètres par des non-droits qui nous ont inspectés de leur habituel sourire narquois et regard tranchant, mais concluant probablement qu’il n’y avait rien à tirer ils sont partis peu après. Ils n’ont dit que des choses parfaitement banales, sans apporter quoi que ce soit à la compréhension de la situation actuelle, ni sur les silhouettes blanches, ni sur l’état des systèmes électroniques, électriques, magnétiques ou autres, ni sur les damnés jaunes, ni sur la disponibilité de vivres, médicaments ou habits à proximité. De notre côté, nous avons été bien plus loquaces, évoquant l’attaque des fanatiques, nos tentatives infructueuses de contacts avec celles ou ceux d’en-dessous, nos errances sur des restes de serres, la faim qui tenaille nos entrailles, nos blessés et nos morts, notre désespérance.  Une jeune femme qui faisait partie de leur groupe s’est contentée d’hausser les épaules et de commenter sèchement sur la difficulté qui devait être la nôtre de passer du statut d’hyper-protégé à celui d’hyper-dépourvu, puis elle a ri d’un gloussement très aigu, a embrassé une autre femme puis un vieillard et s’est éloignée en courant telle une gamine de douze ans tout en dévorant une sorte de pain sans éprouver la moindre gêne face au regard désemparé de Ted, le jeune garçon qui tient constamment dans sa main gauche un morceau de mon vieil imperméable gris qui me sert de manteau, tente, nappe, couverture, serviette et armoire à linge.

Nous marchons au milieu de ce paysage que je trouve désolé mais qui en définitive n’est pas dépourvu d’une étrange esthétique, fascinante en temps normal, angoissante actuellement. Nous avançons avec une certaine détermination puisque l’arrêt est comme nous l’avons expérimenté à nos dépens synonyme d’agression éventuelle et vulnérabilité maximale. D’après les cours de sciences naturelles de mon enfance, dispensés sur réseaux internes assez binaires et lents les troupeaux ou meutes d’herbivores, fragiles par définition, se comportaient de la même manière, errant sur les grandes steppes ou savanes, toujours en mouvement, suivant des lignes de mouvement assez erratiques et sinueuses mais conduisant toutes au but recherché, l’immobilisme représentant la mort, le mouvement la vie. Nous procédons de même. Nous marchons et parlons parfois, la plupart du temps pour évoquer des contraintes de base, la nourriture qui est réduite à sa plus simple expression, l’eau qui manque, les vêtements qui s’usent à grande vitesse, la maladie, le froid, les blessures qui se résorbent trop lentement et d’autres sujets similaires. Nous n’évoquons pas la destination finale de notre épopée, nous ne mentionnons pas les dangers potentiels à venir, nous ne disons rien sur celles et ceux qui nous ont quitté de gré ou de force, nous rions parfois aux moments les plus inattendus, lorsque, par exemple, McLeod a trébuché sur une branche ou mon chapeau s’est trouvé pris dans les branches d’un arbre auquel j’ai emprunté quelques fruits peu ragouteux ou savoureux mais comestibles, nous nous plaignons quelques fois, mais la plupart du temps nous restons silencieux. Un grand silence qui s’accorde à merveille avec la rugosité du sol, l’aridité des paysages et l’absurdité de notre situation.