D’un baiser charmant sous un ciel de pluie et d’un triste romantisme…
Le monde dans lequel je déambule est étrange et peu intéressant. La pluie y est incessante. Le ciel s’ouvre en permanence pour dévoiler d’autres couches de nuages, puis encore d’autres, et ainsi de suite jusqu’à épuisement du ciel, des yeux et de l’eau, et tout cela libère encore plus d’eau sur les corps se mouvant d’une manière saccadée le long de trottoirs ruisselant d’infortune.
Les humains marchent et leurs corps sont droits. Il n’y a que des silhouettes démantibulées formées d’un tronc longiligne et d’une tête énorme en demi-cercle, des ombres d’humains portant haut et fier leurs parapluies tout en s’époumonant dans des réceptacles de mauvaise humeur, d’instructions précises ou diffuses, de mauvais procès ou bonnes ruptures, tous et toutes avancent dans un courant qui n’a ni début ni fin.
L’auteur, mon autre moi-même, n’a pas semblé vouloir donner à ces êtres d’autre but à leur pérégrination quotidienne qu’une marche agrémentée de discussions à n’en plus finir avec d’autres ombres.
Il est possible – tel est le constat du grille-pain existentialiste qui posé sur mon épaule droite ne cesse de commenter sur l’absence de finalité de cette réalité stricte et déplaisante – que ces ombres que nous voyons passer et repasser se parlent les uns aux autres par l’intermédiaire de ces instruments plats et brillants. Peut-être sans que nous nous en rendions compte marchent-ils les uns à côté des autres mais sans pouvoir disposer de l’indépendance, de la liberté ou du courage nécessaire pour reproduire des sons et se les adresser directement. Il leur faut peut-être un lien, un pont, un moyen leur permettant de combler ces lacunes. La brutalité de leurs propos pourrait en fait masquer une lâcheté particulière, va savoir.
Je ne sais pas.
Je n’ai pas répondu à mon grille-pain car je ne sais pas ce qu’il en est.
Je crois que l’auteur, mon alter ego, se promène sur des sentiers par lui seul connu et moi, le narrateur ou locuteur, le suis sans vraiment comprendre où, ni comment, ni quoi que ce soit. Je ne perçois pas le contenu de son message et pour dire vrai je ne saisis même pas le contenant. Il m’échappe totalement.
Mais, je suis habitué, j’en ai vu d’autres, comme diraient d’anciens combattants de guerres inutiles menées par eux mais pour d’autres.
Je ne vous ferai pas le catalogue de toutes les rencontres avortées de ce jour, ce serait lassant et inutile, le même spectacle triste voire sordide, les mêmes commentaires agrémentés d’insultes et jurons, la même solitude.
Il y a bien peut-être cette chose assez drôle qui s’est produite vers midi, 11 minutes et 10 secondes foi de grille-pain affamé, un couple jeune et sans téléphone portable, appareil électronique équivalent ou parapluie, sous un porche suintant l’humidité et s’embrassant avec un semblant de tendresse, pas trop quand même, juste deux paires de lèvres qui se touchaient vaguement et des mains qui entouraient le cou ou le dos et se permettaient de frôler la surface lisse et supérieure de l’épiderme de l’autre.
Je me suis arrêté, ai regardé avec un sourire aux lèvres – les miennes je veux dire puisque les leurs étaient occupées- le spectacle d’intimité qui s’offrait à moi, mais cela n’a duré qu’un temps, soit 5 secondes et 3 dixièmes, puis une voix surgie du néant a dit :
C’est bon, la torture est finie. On a assez d’images. Une super campagne en perspective. Si ces chiants d’ados n’ont pas compris, ils comprendront jamais…
Ce à quoi la partie féminine du couple éphémère a demandé le slogan c’est quoi déjà ?
Et la réponse de la voix surgie du néant a été : me rappelle plus vraiment mais je crois une connerie du style, Herpitude, la bonne attitude contre l’herpès. Ça se termine en gros plans sur vos lèvres puis un fondu enchaîné sur des tâches dégueulasses et enfin la boite de 20 ou 30 comprimés à 15 dollars pièce.
La partie masculine dudit couple, déjà loin d’ailleurs, s’est immobilisée et a demandé fort doctement: Cette connerie devrait rapporter, l’idée est nulle, tu fais un boulot de merde, mais le réalisateur est top, donc on pourrait acheter… Herpitude tu dis ? C’est Bagneuls qui fait cela non ? Ils ont baissé ces temps-ci avec l’épidémie qui a secoué Bangalore suite à de mauvaises manipulations. C’est tout bon pour nous. Tu sors quand cette connerie de campagne ?
La voix du néant a rétorqué avec platitude Va te faire foutre connard, dans deux mois je crois, mais compte pas sur moi pour te conseiller quoi que ce soit.
Conclusion du jeune homme fort charmant à l’attention de la très charmante jeune femme : Au fait, la prochaine fois tu pourrais mettre un gel un peu moins gras, je m’en suis mis plein les vêtements. En plus ça pue. Dégueu… Bah, toutes façons pas demain la veille qu’on se reverra. Font chier ces cons.
Et il a disparu derrière un parapluie et un portable doré. Les autres ont fini par faire de même et je me suis retrouvé seul, regardant le porche avec une certaine forme de nostalgie ou mélancolie, teintée, en marge, d’un sentiment de détresse assez fort accentué un peu plus tard par la vision d’un extincteur par la fenêtre d’un marchand de vin.
Lorsque je me suis approché de ladite vitrine pour décrypter l’intérieur de la boutique j’ai aperçu ce cylindre rouge aux lanières et tuyaux noirs profonds si caractéristiques de mon ami disparu, l’extincteur fort sage, mais lorsque j’ai tenté d’ouvrir la porte coulissante j’ai dû me rendre à l’évidence, l’ensemble n’était qu’un trompe l’œil assez bien réussi. Pas d’ami, pas de résurrection ou d’apparition, cette réalité-là m’embarrasse et étreint mon cœur d’une douce mélancolie, je ne sais plus qui disait cela mais c’était joli.
Je vais revenir à mon musée, mon auteur allongé, mes pingouins forts las, mon extincteur fataliste et moi-même.
Je contemplerai non pas l’or du soir mais les pull-overs rouges des touristes de passage et penserai à vous qui me lisez, songeant si d‘aventure vos pensées pourraient se joindre pour m’exiler dans une terre moins âpre et rugueuse, une terre de tendresse et de soleil ou, peut-être je pourrais retrouver Maria mon ange au regard si profond… le reste vous le savez par cœur. A demain.