De l’addiction aux phénomènes révolutionnaires, des orchestres de chambre Viennois, et de la traversée du désert qui s’en suit forcément


De l’addiction aux phénomènes révolutionnaires, des orchestres de chambre Viennois, et de la traversée du désert qui s’en suit forcément

 

Nous marchons dans le désert.

 

Maria dont le regard est si profond que je m’y perds tout le temps, l’autruche volante, flottante et trébuchante, la jeune fille au chemisier rouge et moi-même. Dans les poches de ma veste de type journaliste, Kerouac, aventurier de l’arche perdue, et autre, se trouve le fil électrique qui autrefois agrémentait les paroles et soubresauts de notre ami disparu le grille-pain existentialiste élève de Kierkegaard.

 

Nous y sommes pour permettre à l’autruche de récupérer un peu son équilibre mental et psychologique. Les évènements survenus depuis quelques semaines dans ce pays de misère et de poussière ont eu un impact certain sur ce dernier. Depuis le moment où nous avons traversé des villages désertés de leurs habitants et emplis de traces éparses de violences extrêmes, elle n’a cessé de se confronter à ce qu’elle haït le plus, la violence gratuite et l’incohérence.

 

Si vous n’avez jamais rencontré d’autruche volante, flottante et trébuchante, je me permets de vous signaler que ces animaux fort rares sont également fort craintifs et ne craignent rien de plus qu’une rupture de leur équilibre et de leur rituel quotidien. Rien n’est plus nécessaire pour elles que maintenir un calendrier d’activités quotidiennes parfaitement régentées et organisées. Il n’y a pas de place à l’improvisation. Tout est réglé comme un orchestre de chambre Viennois, pas de place à un souffle de poésie, d’impromptu ou d’inattendu. Même les envolées lyriques doivent être conformes à ce qui est écrit là, sur le papier, le rythme doit être serein et régulier, parfaite incarnation de ce qui a été décidé, rien de plus rien de moins.

 

Alors, imaginez dans un tel contexte ce que notre pauvre amie a enduré, un mort dans les bras de Maria, une arrestation sauvage, un séjour en prison accompagné de tortures et mauvais traitement multiples, une libération explosive, des manifestations nombreuses, la recherche vaine d’un ami disparu, puis sa mort, la dissolution de notre groupe d’amis concomitante à leur implication de plus en plus grande dans la révolution quotidienne, et enfin le départ des uns et des autres aux différents horizons de ce pays dont, par ailleurs, et entre parenthèses, nous ne connaissons toujours pas le nom et ignorons la langue, ce qui serait pour le moins paradoxal avouez-le si la chronique que je tiens n’était en elle-même parfaitement marginale et atypique.

 

Bref, les chocs ont été nombreux, consécutifs, si fréquents que notre autruche s’est habituée à ceux-ci, qu’elle a considéré que le changement devait être quotidien, que tout devait être bouleversé chaque jour, tel un maelstrom journalier au risque, s’il ne se produisait pas, de signifier une angoisse naissante, de provoquer une anxiété cruelle et envahissante.

 

De fait, l’autruche habituée qu’elle était à son petit rythme bien calme et solennel par un étrange retournement de son histoire et de la nôtre en est venue à considérer le chaos et les convulsions comme part entière de son environnement. Une journée sans chamboulement, perturbation ou branle-bas de combat, est devenue synonyme de stress profond, d’appréhension insupportable, de pressentiment douloureux.

 

Nous n’avons pas compris ceci immédiatement car, vous les savez bien, le langage autruchien de base n’est pas tel qu’on puisse le considérer comme aisément déchiffrable. Même les écritures étrusques ou mayas sont plus facilement compréhensibles que les sonnets de notre amie. C’est à vraie dire la jeune fille au pull rouge qui l’a noté en première constatant un matin que l’autruche volante, flottante et trébuchante était en train de manger une sandwich fait de pain complet, de culots d’ampoules en partie usagées, de beurre à 35% de matière grasse, de confiture de citrons doux et des vis de ma montre démontée pour l’occasion.

 

Le sandwich n’était pas surprenant en soi, nous en avions vu d’autre, mais le fait qu’elle changeait de chaînes de télévision à grande vitesse tout en regardant par la fenêtre, secouant la radio portable, et tapant sa tête contre la porte séparant le salon de la grand-rue avait amené notre jeune amie à conclure que l’absence de désordre ou fait révolutionnaire particulier depuis 33 heures – en fait 35 heures, 12 minutes, 5 secondes l’avait alors interrompue notre amie autruche volante, flottante et trébuchante – avait provoqué un phénomène de manque tout à fait symptomatique et avéré.

 

Maria et moi-même avons observé notre amie et sommes parvenus à la même conclusion.

 

Un séjour chez le médecin puis le pharmacien et le jardinier du quartier nous ont conduit à la constatation qu’il n’était pas évident de se désintoxiquer du phénomène révolutionnaire, de l’adrénaline des bouleversements convulsifs, de l’enthousiasme et l’apparence de bonheur apportée par le sentiment d’appartenir à un groupe, de vivre l’action, le moment, le présent, de participer à des flux historiques profonds, d’être moteur plutôt que sujets, tout cela ne pouvait être écarté par un revers d’un cou fort long.

 

Non, il fallait agir!

 

Pas de sédatif envisageable si ce n’était la tisane de feuilles de fraisiers et mûriers cueillies comme chacun le sait par nuit de pleine lune sur le lac de Hvolosur en Islande mais cela aurait été particulièrement onéreux, et nous ne sommes pas de généreux philanthropes comme vous l’aurez déjà amplement remarqué.

 

Ne restaient alors que deux options disponibles d’après la jeune fille au chemisier rouge, « soit entretenir un phénomène révolutionnaire de durée au moins équivalente à deux heures, cinq minutes et 7 secondes chaque après-midi, soit s’égarer dans le désert pendant quarante jours ». Le facteur révolutionnaire étant écarté pour le moment par essoufflement momentané restait la petite promenade de désert avec tente et chameau en prime, un délire de touriste moyen si nous n’avions oublié notre tente au départ et perdu le chameau après une demi-journée de marche.

 

Voici où nous en sommes… dans le désert, l’équivalent d’une cure de désintoxication pour autruche volante, flottante et trébuchante souffrant d’addiction au phénomène révolutionnaire.

 

Il fait chaud le jour, frais la nuit, et je me demande toujours ce que je fais ici, mais ceci vous l’aurez compris est une rengaine qui répond de la même problématique que celle rencontrée par notre autruche favorite.

 

Alors, cette thérapie du désert pourrait aussi bien avoir sur moi le même effet bénéfique que sur mon amie autruche. Pour l’heure je suis en période de transe mais heureusement le regard de Maria et ses caresses sur mon front fort las me font le plus grand bien.

 

Je vous laisse envisager les étoiles et galaxies qui pour l’heure se reflètent dans mes yeux.
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Chronique – 58


De la méthodologie pour aller d’un point A à un point B

Toute démarche humaine implique, me semble-t-il, de s’engager dans une réflexion sur trois interrogations particulières : d’où venons-nous, où allons-nous et comment irons-nous du premier au deuxième point.

Notre petit groupe est interloqué et en pleine confusion à cet égard.

Nous savons que nous devons partir de notre petite rizière proche de la belle et bonne île de Vienne. Nous savons comment le faire, du moins en théorie, c’est-à-dire en nous déguisant en membres de l’équipe fictive de curling de Papouasie Nouvelle-Guinée.

Nous avons donc rempli le troisième terme de l’équation d’autant qu’un chalutier au départ du port de Vienne est prêt à nous embarquer, son capitaine étant sportif de salon invétéré et amusé par la composition de notre équipe, un grille-pain, un réfrigérateur, un extincteur, trois pingouins, une autruche volante et deux humains, cela ne s’invente pas, nous a-t-il dit hilare avant que nous ne montions à bord. Par contre, les deux premiers termes restent parfaitement flous.

D’où venons-nous ?

De l’île de Vienne serez-vous tentés de répondre mais nous savons depuis peu que tel n’est peut-être pas le cas, que peut-être l’assertion selon laquelle les contours de la réalité sont flous, que celle-ci évolue au gré des circonstances, que coexistent au moins dix dimensions dont seules trois ou quatre sont palpables, que toutes les réalités imaginables cohabitent à chaque instant, n’est pas forcément fondée. Vienne n’est pas forcément une île et d’ailleurs que nous importe ? Et pourquoi serions-nous tant intéressés par notre point de départ. On se fiche éperdument de Vienne, qu’elle soit sur le Danube ou sous les tropiques, qu’est-ce- que cela peut nous faire ? a dit avec un aplomb assez surprenant le réfrigérateur pressé d’agir car l’action est inscrit dans ses gênes pneumatiques, électriques et chimiques.

Ceci pourrait être étendu à la deuxième interrogation, pourquoi insistons-nous tant pour aller à Bangkok ? Nous ne cessons de nous référer à cela mais avons perdu le fil de l’histoire et ne savons plus pourquoi nous devrions aller dans cette lointaine, ou pas si lointaine que cela, ville sous les tropiques.

Ce qui paraît à peu près clair est qu’il fut un temps nous étions en Suisse et vivions tranquillement dans un appartement dont le seul défaut est qu’il s’étendait lentement et tranquillement sans crier garde et que ses occupants augmentaient en nombre au gré des circonstances. Nous avons quitté un matin ce doux cocon parce que si ma mémoire est bonne on nous accusait d’être lié peu ou prou à Wikileaks et d’avoir diffusé des informations non fondées sur les baleines, les autruches et dieu sait quoi. Ceci est le passé, le reste ne suit pas les contours du temps. Vienne ? Bangkok ? Des inconnues au bataillon, des interrogations au titre de la causalité, des murs qui s’éloignent au fur et à mesure qu’on s’y approche.

Eh bien, a proposé le grille-pain existentialiste et passablement déprimé notamment depuis que je me suis rapproché de Maria, si tout ceci nous pose tant de problèmes, prenons les choses autrement. Disons que nous venons de Genève, ce qui n’est pas forcément faux, nous y étions il y a un temps certain mais éloigné dans le passé, et que nous nous dirigeons vers une ville autre que Bangkok. Si nous avons oublié pourquoi nous devions aller dans cette dernière ville nous pourrions tout aussi bien nous diriger ailleurs.

Le Yéti a saisi l’occasion qui lui était ainsi présentée et a suggéré que nous allions porter assistance aux peuples qui de par le monde souffraient sous une chape de béton totalitariste et n’aspiraient qu’au plaisir de se frayer un chemin sur le chemin des libertés et des possibles. Nous constituerions ainsi selon lui le bras de la révolution.

Les trois pingouins ont exprimé leur désaccord absolu réitérant leur souhait de se diriger vers Arezzo et déclarer l’indépendance de la chapelle de Piero Della Francesca, ce qui en soit constituait déjà une assertion révolutionnaire.

L’autruche volante, flottante et trébuchante a souhaité s’exprimer mais conscient que ses propos seraient inintelligibles, le Yéti l’a interrompu ce qui lui a attiré les foudres de Maria, arguant que chacun devait avoir le droit de s’exprimer et que nul n’avait le monopole de la parole et de la vérité.

Notre amie a alors déclaré qu’importent les feuilles sur les arbres et l’eau de la rivière, l’essentiel est dans le vent, les oiseaux volent, l’air est partout est impalpable mais nécessaire, ce qui se voit ne l’est pas forcément, donc visons l’invisible, disparaissons, retirons nous.

Nous n’avons rien compris, mais au moins nous l’avons écouté, ce qui était important et répondait au souhait impérieux de Maria.

Par suite, la discussion a continué en boucles, nul ne sachant où les pas devaient nous porter, ou, plus précisément, proposait une autre alternative.

J’ai proposé de recueillir les diverses propositions sur un bout de papier et ai noté : Tunis, Arezzo, Copenhague, Bangkok, Port Moresby, Genève, et naturellement Erewhon. Nous en étions là de nos discussions lorsque nous avons ressenti une forte vibration et avons réalisé que le navire venait de quitter le port de Vienne ou ailleurs.

C’est alors que l’extincteur s’est exprimé pour commencer, peut-être, serait-il utile de demander où ce navire va. Ce serait une première étape dans notre réflexion, non ?

Il n’a pas tort. Peut-être devrions-nous commencer par cela. J’irai donc demander au capitaine où nous nous dirigeons. Ensuite nous aviserons.

Les choses sont donc un peu plus claires : nous savons qu’il y a longtemps nous étions à Genève et que nous nous dirigeons vers un ailleurs encore inconnu mais pas pour longtemps et ce en bateau. C’est un début ! Le reste? nous verrons bien, il y a un temps pour tout.

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chronique

Chronique – 55


De Gorecki, du Pape, du Grand Yéti bleu, des aquariums et des pêcheurs

Nos âmes sont perdues quelque part mais nous ne savons pas où.

Nous cherchons un chemin qui peut-être ne conduit nulle part et ne savons même pas où son origine se trouve, et encore moins comment joindre notre destination. Nous sommes une masse grouillante d’individus perdus, des vivants parmi les vivants, sans boussole apparente, recherchant les raisons de notre condition.

Maria, notre guide, la seule parmi nous qui je crois a su garder la plus grande partie de sa raison nous a demandé hier de nous concentrer sur le présent, ici, sur la noble et belle île de Vienne, sous les tropiques, au milieu des rizières et au pied des monts fumants, et d’envisager le futur à partir de ce point.

Jusqu’alors nous fuyions les évènements, les représentants de l’ordre, de la liberté, des droits et du peuple, qui nous recherchaient et parfois nous trouvaient au titre de violations répétées de quelques dispositions particulières de lois, principes ou règlements dont nous ignorions jusqu’à l’existence.

Cependant, notre fuite ne nous a conduits nulle part, les convulsions du présent ont modifié l’environnement dans lequel nous évoluons. Nous ne sommes jamais parvenus à comprendre dans quelle ville nous évoluons et avons décidé qu’il s’agissait de Vienne, allez savoir pourquoi, peut-être s’agit-il en réalité de Reykjavik ou Port Moresby.

Nous souhaitions aller à Bangkok mais ignorions comment y parvenir. Nous avons traversé la Mer d’Autriche à la recherche d’Arezzo pour déclarer l’indépendance des fresques de Piero della Francesca mais ne les avons jamais trouvées. Dorénavant, nous essaierons d’accepter notre condition et de nous frayer un chemin parmi les vivants dans ce monde ci et pas ailleurs.

Au bord de cette rizière calme et paisible nous devisons et imaginons ce que chacun ou chacune pourrait faire dans cette réalité. Après le réfrigérateur, l’autruche et le grille-pain, c’est le Yéti qui nous a rappelé sans ironie ou humour apparent que son plus cher désir était de devenir Pape, leader de la chrétienté, tout en restant païen sans scrupule et espérant retrouver un Grand Yéti Bleu dont il ne se souvient plus s’il s’agissait du fruit de son imagination ou d’un personnage ayant existé ou existant encore quelque part au milieu des montagnes himalayennes dans un paradis perdu.

L’extincteur lui a fait remarquer que, dans la mesure où nous ne savions pas exactement où nous étions et encore moins où nous allions, il était difficile d’imaginer comment parvenir à cette fin particulière. Il a cependant admis que le droit au rêve existait, ainsi que celui au bonheur, tel que précisé dans la déclaration d’indépendance américaine, chose amusante si l’on veut bien y regarder d’un peu plus près, et qu’ainsi chacun devait avoir la possibilité d’exprimer ce qui était enfoui en lui, dixit le vieux copain Freud si contesté en ce moment car les ambulances sont toujours des cibles idéales. Maria a abondé dans son sens et, contrairement à hier, il n’y a pas eu de drame ou altercation.

L’extincteur, fort sage, a lui confessé que son désir d’être représentant des vivants lorsque les habitants d’exo planètes arriveront n’était pas forcément ce qui lui tenait le plus à cœur, au contraire, et que ce qui l’avait toujours attiré était la danse classique, afin de pouvoir un jour esquisser un pas qui ne soit pas ridicule sur la troisième Symphonie de Görecki. Nous n’avons rien dit, même pas le Yéti à côté duquel Maria s’est installé afin d’éviter toute manifestation intempestive et hautement contrariante.

Les pingouins ont fini par avouer qu’ils n’avaient pas seulement Piero della Francesca en tête et qu’ils aimeraient être surveillants d’aquariums de salon, passant d’un appartement, salle d’attente ou hall de gare à l’autre, pour apporter réconfort et calme aux dignes occupants de tels contenants.

Lorsque Maria a demandé, gravement, s’ils étaient sérieux compte tenu des difficultés rencontrées les jours précédents ayant conduit à l’incarcération de l’autruche volante, flottante et trébuchante, (NDLR : la publicité clandestine n’est pas admise au titre de la loi sur les propagations des vérités vraies en toute démagogie et sans implication commerciale ou autre adoptée le 31 avril 2002 dans la noble et belle république de toutlaland, on le sait, mais les auteurs de cette chronique ne le savent pas, que l’on veuille bien le rappeler aux auteurs de cette chronique perdus quelque part sur une autre planète, tant mieux pour nous), ils ont répondu par l’affirmative en disant qu’ils ne mangeaient pas les poissons tropicaux, question de principe, mais les regardaient, car la couleur de Piero se reflétaient dans leurs écailles, comme l’image d’un dieu des petites choses, et nous les avons cru, sans autre forme de procès, car après tout il n’est pas mauvais de le faire.

Enfin, les regards se sont tournés vers Maria et moi-même mais c’est à ce moment précis qu’un pêcheur est passé avec son matériel et a interrompu la retransmission des programmes qui reprendront demain à l’heure où ne blanchit pas la campagne pour autant que l’albatros n’atterrisse pas trop près des navires.
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Chronique – 54


De notre avenir sur l’île de Vienne, de Penderecki, Du Bellay, Rabelais et d’autres, du trombone à coulisse et des haïkus ainsi que du fou-rire du Yéti

Le propre du vivant est le dynamisme, la transformation de l’énergie en activité et ce de manière parfois irrationnelle, incohérente, déconnectée d’une analyse en profondeur. L’action ne suit pas forcément toujours la réflexion, souvent elle la précède.

S’agissant de l’errance ou de la quête – de quoi je ne sais pas trop – de vos chroniqueurs favoris, il me semble que ceci a souvent été le cas durant les semaines folles que nous avons vécues depuis le début de notre tentative de fuite de Vienne pour Arezzo, Bangkok ou ailleurs, qui quoi que nous fassions ne semble pas aboutir.

Aujourd’hui, pour une fois, la première depuis fort longtemps, nous n’avons pas été pressé par le temps, les circonstances, la vie, les impondérables ou dieu sait quoi, et n’avons pas eu à fuir, agir, bondir ou réagir sans possibilité de prendre un peu de recul. De fait nous avons passé la journée à prendre du recul, tranquillement assis au bord d’une rizière Viennoise, les yeux fixés dans les reflets du ciel sur l’eau trouble et les esquisses du vent s’insinuant délicatement dans les feuilles et hors du quadrilatère tracé il y a bien longtemps par d’ardents paysans.

Maria a insisté pour que nous prenions tous le temps nécessaire pour réfléchir sur notre situation et cessions d’agir de manière inconsidérée et que nous concevions dorénavant notre avenir ici sur la belle et bonne île de Vienne et pas ailleurs puisque nous ne semblons pas en mesure de la quitter. Nous sommes restés songeurs plusieurs heures de temps puis l’un après l’autre avons essayé d’esquisser quelle pourrait être notre implication dans la vie de la société locale.

Le réfrigérateur colérique et intempestif a été le premier a révélé un aspect caché de sa personnalité. Il nous a avoué sa passion pour la musique et, en particulier, la clarinette depuis sa plus tendre enfance après avoir entendu un solo écrit par Penderecki et a partagé son désir de s’inscrire à l’académie de musique pour apprendre à jouer de cet instrument ou, si cela ne devait pas être possible, du trombone à coulisse, du saxophone ou de la viole. Naturellement, vous l’imaginez bien, le Yéti anarchiste, a été pris d’un fou rire à l’évocation de cette possibilité mais un simple regard de Maria l’a contraint à se taire et terrer son regard dans une sinuosité du sol.

Elle a rappelé que nous étions toutes et tous partie d’un corps commun du vivant et qu’il n’y avait pas de raison particulière de tracer des frontières entre les uns ou les autres. Que l’humain ou ses cousins puissent jouer de la clarinette ou du hautbois par l’intermédiaire d’un appendice couramment dénommé bouche était une chose fort louable mais n’empêchait pas que d’autres vivants, tels le réfrigérateur colérique, puisse y jouer en utilisant quelque autre appendice ou artifice, pneumatique ou autre, peu importe où il se trouve et comment il serait activé. Elle a ajouté que si d’aventure un jour des populations d’exoplanètes devaient visiter notre terre, il ne devait pas être pris pour argent comptant qu’elles s’adressent aux humains ce à quoi l’extincteur a rappelé qu’il était conscient de faire partie des représentants désignés pour ce faire en cas d’une rencontre de ce type, troisième ou autre. Le Yéti s’est excusé platement, la tête sous l’eau, et la discussion a continué.

Le grille-pain a avoué son intense désir d’épouser la carrière académique et proposé d’écrire une thèse sur l’évocation des grille-pains dans la littérature occidentale du IXème au XIXème siècle et là encore les fous-rires impromptus du Yéti ont été considérés avec beaucoup de sévérité par Maria. Le grille-pain a noté avec un aplomb certain que certes les fils électriques n’étaient pas nécessairement connus des populations européennes du haut Moyen-âge mais à tout le moins le principe de griller du pain ou d’autres aliments à base de céréales l’était depuis fort longtemps, traçant ainsi la longue ligne de ce qui allait devenir le grille-pain moderne. Il a mentionné Rabelais, Du Bellay et Pontus de Tyard, une évocation qui a immédiatement atterré les trois pingouins et provoqué leur ire tenant à la non évocation de Piero della Francesca dans un tel contexte ce à quoi le grille-pain, perdant un peu son assurance, a répondu qu’il s’agissait de situations tout à fait différentes mais qu’il était prêt à considérer tout élément rentrant dans le cadre probable de son étude. Les quatre se sont alors isolés dans une cabane de l’autre côté de la rizière pour affiner la thématique à étudier en préparant la thèse dont il s’agissait.

Le Yéti ayant à ce moment-là la tête littéralement enfouie dans le plumage de l’autruche volante, flottante, et trébuchante, secoué par un fou-rire tonitruant et proprement démentiel, celle-ci, soumise durant les jours précédents à une forte tension, s’est mise à pleurer puis a indiqué avec force hoquêtement que son rêve le plus cher était dorénavant de se consacrer à l’étude des haïkus mais n’a pas pu aller plus avant dans son explication.

Nous avons interrompu notre discussion et sommes restés de longues minutes à la consoler puis avons disserté sur la riziculture autrichienne pour changer de sujet de conversation.

La question de notre avenir sur la bonne et belle île de Vienne sera j’en suis sur discutée demain ou après-demain et je vous tiendrai informé, soyez-en certain.

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Chronique – 51


D’une nouvelle pérégrination, d’un huissier hostile, d’un avocat plaisant et du destin d’une autruche volante, flottante et trébuchante incarcérée sur l’île de Vienne

Je me demande souvent pour quelles raisons le propre du vivant est d’avancer, inlassablement, se relevant de ses cendres pour y retomber, sans dessein particulier sinon d’avancer, rejoignant ainsi des cohortes d’autres vivants participant à la même insondable, inclassable et implacable marche en avant, vers le gouffre ou le précipice, vers l’horizon fumeux ou l’éphémère plaisir.

Je me le demande encore plus aujourd’hui.

Après avoir quitté le confort douillet de notre appartement pour fuir des représentants implacables de divers ordres qui nous recherchaient sur la base de la diffusion alléguée d’informations extrêmement confidentielles sur la toile, sillonné les rues de Copenhague puis Vienne, puis la Mer d’Autriche à bord de baignoires mal colmatées à la recherche d’Arezzo pour y déclarer l’indépendance des fresques de Piero della Francesca, puis un banc de sable mal répertorié puis à nouveau Vienne mais une nouvelle Vienne tropicale, nous voici en train de rechercher inlassablement notre amie, l’autruche volante et flottante, dite marmotte gracieuse ayant trébuché hors de nos vies hier matin suite à un dévouement et une abnégation hors du commun.

L’extincteur, Maria et moi effectuons cette quête accompagnés du grille-pain existentialiste qui a juré sur la foi de Kierkegaard dont il conserve un exemplaire de sa pensée en son sein qu’on ne lui verrait aucune larme couler sur son bel inox et qu’on n’entendrait aucune plainte, lamentation ou élucubration provenant des grilles d’acier ayant brûlé plus de pains et toasts que les inquisiteurs n’avaient brûlé de cathares au XIIIème siècle. Dont acte.

Nous avons débuté notre course contre la montre à 17 heures 17 minutes et 17 secondes en référence aux propos tenus par James Balach Mlush dans son épopée fameuse dont le seul exemplaire disponible dans les caves du Vatican a disparu récemment.

Après avoir localisé le bureau des personnes disparues dans le cadre de l’application des dispositions 765 à 89 de la lettre z du code de procédure pacifique et atlantique, aussi, situé sur la rive occidentale de l’île de Vienne, nous avons pris rendez-vous avec l’huissier du 5ème district en charge des individus dont la prétention à être pris en compte au titre de ladite loi n’est pas dépourvue d’un faisceau immédiat et conjoncturellement cohérent et passablement concordant.

Il s’agissait d’une jeune femme habillée en vert et accompagnée d’un interprète en smoking lui aussi vert mais portant des palmes bleues qui nous a immédiatement interpellés en nous demandant de préciser en deux mots les motifs de notre saisine ce que nous avons fait de la manière suivante : Nous recherchons une autruche arrêtée hier matin en lieu et place de pingouins aux lunettes roses. Nous souhaiterions contester cette arrestation et en outre connaître les raisons pour lesquelles des pingouins ne sauraient consommer des poissons, une nourriture essentielle pour leur développement durant la phase de transition vers le végétarisme intégral de niveau 3.

L’aimable huissier a rétorqué en tenant une machine à boulier et antennes sombres que nous venions de proférer 54 mots en 315 caractères représentant un excédent de 2700 pour cent et nous qualifiant ainsi pour une amende de désordre de 315 x 2700 euros.

Nous avons essayé de répliquer à cette surprenante admonestation mais la voyant secouer la machine sombre nous avons préféré obtempéré et faire un chèque du montant considéré tout en nous demandant sur quel compte celui-ci serait concrétisé dans la mesure où le grille-pain, le signataire, ne semblait pas posséder de valeurs marchandes ou trébuchantes.

Qu’importe, nous avons quitté ce lieu sans avoir obtenu des précisions utiles ou même inutiles sur les questions qui nous importaient. Dans les couloirs d’un tribunal voisin, il me semble qu’il s’agissait de la troisième chambre de la cour inférieure droite du maxillaire supérieur de l’île de Vienne, face nord, dans lesquels nous marchions sans savoir que faire nous avons rencontré un avocat en tenue verte accompagnée d’une interprète habillée en smoking et palmes, une récurrence étonnante je dois le confesser, et lui avons exposé notre situation.

Il a immédiatement et pour notre plus grand bonheur accepté de prendre fait, droit, gauche et cause pour nous, moyennement contribution à son fond de doléance, martyrologie et sublimation des bonnes et justes causes démagogiques ou non à hauteur de cinq fois la somme perçue par l’injuste huissière, chèque immédiatement signé par le grille-pain qui a admis plus tard aimer par-dessus tout se rendre utile et contribuer à quelque cause que ce soit pour contribution à un dessein ou une fin vraisemblable, juste et bonne.

L’avocat a froissé le chèque, examiné sa transparence sous une lumière prévue à cet effet à l’entrée du tribunal, léché le papier et humé l’encre, puis a dit de manière solennelle – une attitude apparemment requise au titre d’une réglementation en vigueur jusqu’au vendredi suivant le jour de son édiction pour consommation possible jusqu’à trois jours ouvrés plus tard – Bon pour acquis et faire de droit, valoir et aplomb puis nous a serré la main et nous a murmuré : songeons mes amis à votre autruche et de ce songe viendra une étincelle qui telle la lumière au sortir d’un tunnel nous dictera la voie à suivre.

Il s’est assis par terre avec l’interprète à sa gauche et nous à sa droite, ou l’inverse suivant où l’on se place, et s’est mis à siffler un air incongru mais plaisant.

Nous en sommes là. D’après l’interprète qui s’est laissé aller à un commentaire complice, nous devrions dans quelques heures réussir une combinaison d’aliénations et de conjectures favorables et ainsi rentrer en contact auratique avec notre amie et déterminer avec une précision relative l’endroit où elle a été incarcérée en attendant son jugement par une cour haute et neutre, objective et permanente, frisée ou non, pour rupture de confiance, abus de personnalité, pressante abnégation et rejet de la supériorité avérée des tenants et aboutissants sur l’île de Vienne nord au titre de la doctrine de Preznel.

Nous attendons et songeons avec tristesse au sort de notre amie, l’autruche volante, flottante et trébuchante dite marmotte gracieuse.

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Chronique – 47


D’une déambulation viennoise, des fantômes du passé, de Malher, Zweig, Freud et quelques autres

Le destin est souvent cruel.

Partis de Copenhague puis de Vienne pour Bangkok via Arezzo à bord d’embarcations de fortune, nous avons dérivé des jours durant pour finalement échapper de peu à la noyade et nous échouer sur un banc de sable perdu au fin fond de la Mer d’Autriche.

Il ne nous aura fallu que quelques heures de zodiac pour revenir à notre point de départ, à savoir Vienne la douce à l’embouchure du Danube, au milieu de ses rizières, temples d’or, et marchés aux fleurs exotiques.

Nous avons retrouvé cette belle ville dont l’histoire se perd aux racines de l’Europe médiévale, mais avec un bémol : sillonnant les rues de cette capitale d’antan, nous n’y avons que très peu retrouvé l’atmosphère qui devait prévaloir sous Zweig, Mahler, Freud ou Schnitzler. Ceux-ci auraient bien du mal à s’y retrouver avec les tours immenses et majestueuses, le fleuve déambulant entre des habitations tumultueuses, des temples d’or, une population bigarrée à forte connotation asiatique, des contrastes époustouflants entre une vieille Europe confinée dans des musées, des bus à impériale, des maisons coloniales se confrontant à une cité multipolaire, exotique, parfumée et bouillonnante de vie et d’initiatives. Des temples hindous ou bouddhiques au pied de tours finement dessinées selon des principes que l’on pourrait croire hérités du Feng Shu si nous ne trouvions au centre de la civilisation européenne.

Nous avons recherché le château de Schönbrunn que nous n’avions pas trouvé lors de récente visite mais sommes restés bredouilles. Idem s’agissant de la cathédrale, du Hofburg, des maisons peintes par Hundertwasser ou de l’Opéra.

Qui plus est, ce sentiment de croissance exponentielle et exubérante s’est renforcé en constatant qu’en quelques jours à peine, le paysage s’est quelque peu déformé et éloigné de celui que nous avions entraperçu lorsque nous nous cachions dans une petite maison éloignée du centre.

La ville est cette fois-ci carrément calée sur la mer d’Autriche et le port est extrêmement actif. Une partie de la mégapole est maintenant fermement installée sur une île que nous n’avions pas notée alors et celle-ci s’est éloignée de l’autre rive. Le monde est mouvant, la réalité est fluctuante, les repères difformes et voilés.

Mozart se sentirait totalement perdu dans ce monde étrange. Pour ma part, je déambule dans ces rues que je ne reconnais pas, qui ont changé pour la plupart dans un environnement méconnaissable. Un peu comme si revenant dans mon appartement je le trouvais éclaté, les pièces ayant bougé et changé de perspectives, les meubles s’étant transformés et implosés en nouveaux objets semblables sur certains points mais différents sur d’autres, le couloir allongé, les chambres multipliées ou divisées, mais une certitude seule demeurant, voici mon chez moi, qui n’est plus le même.

Semblable au vivant qui évolue rapidement, cette belle ville de Vienne a explosé en quelques jours à peine. Tout aussi surprenant est le climat qui de continental et froid est passé à tropical.

Je ne cherche pas à comprendre plus que de mesure et marche dans ces rues délicieuses et parfumées, tonitruantes, universelles, la main dans celle de Maria qui depuis notre épopée marine s’est rapprochée de moi et souvent pose sa tête ravissante contre mon épaule ce qui me plonge dans un rêve mélodieux. Je porte dans un sac en paille de riz le grille-pain existentialiste et déprimé qui regarde du coin de sa grille les hauts des rues et n’est pas sans exprimer une certaine jalousie en nous voyant ainsi déambuler main dans la main.

Le Yéti, aimable depuis peu, lui a expliqué que l’ironie de sa situation devait lui plaire plus que le chagriner et tester ses introspections. Peut-être lui a-t-il dit trouveras tu enfin une quiétude propre à te rapprocher de la pensée de ton mentor, ce cher Kierkegaard, de ses angoisses, ses doutes, son ironie. Laisse ces deux humains patauger dans leur marasme et concentre-toi sur la plénitude de cette pensée. Retrouve tes racines et celles du vivant dans cette ville qui semble avoir perdu les siennes. Quant à moi laisse-moi chercher d’éventuels Yétis bleus qui pourraient s’y être perdu aussi.

C’est ainsi que le monde déroule ses avenues à l’issue incertaine devant nous.

Ailleurs dans la ville nos amis recherchent des indices qui pourraient les mener à la chapelle d’Arezzo où Piero della Francesca a peint ses plus belles fresques. Ainsi va la vie, dans un dédale parfois méconnaissable.

Et pour poursuivre la diffusion de publicités clandestines de degré 4 sur l’échelle de Plazmer-Dunant telle qu’envisagée par le décret 78 du 7 fructidor an 223 relatif à la liberté, aux droits et devoirs de l’individu heureux et dispos et tout le reste, et vous faire goûter aux joies des mondes oniriques et parallèles je vous rappelle que les chroniques des auteurs sont disponibles en libre chargement sur http://www.pelleteuse.la.rondeuse.cimenterie.et.co.com

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Chronique – 38


D’une certaine forme de lassitude, de la fin de la révolte des grille-pains, de l’exaltation des pingouins, et d’un voyage à Arezzo en baignoires

Dire qu’il y a quelque temps encore je vivais tranquillement dans mon appartement Genevois et me contentais de temps en temps de regarder par la fenêtre mélancoliquement à la recherche d’une raison d’être à ma vie ploutocrate et mal aboutie.

Plusieurs semaines se sont écoulées et entourés d’amis pour le moins particuliers, si l’on doit se baser sur l’éternelle notion de normalité ou d’anormalité, je suis à la recherche de la voie la plus discrète pour relier Vienne où nous pensons être et sommes vaguement camouflés et Bangkok, ce afin de ne pas éveiller les soupçons de représentants de puissances obscures et sournoises.

En parallèle, je ne cesse de me laisser dépasser par des évènements dont la plupart du temps je n’ai pas le moins du monde pressenti le déclanchement et parvient avec la plus grande des peine à contribuer à leur maîtrise. Mes compagnons sont dénués de tout point d’ancrage dans le temps et se situant exclusivement dans le présent évoluent librement et sans attache. Je les envie. Ils évoquent en permanence et au premier degré leurs désenchantement, tristesse, joie, colère, bouleversement ou passion. Je les suis avec peine mais contentement car tout plutôt que revenir derrière ma fenêtre mais d’une certaine manière je les envie.

Tenez par exemple cette révolte des grille-pains, bien entendu vous avez compris qu’elle terminerait en eau de boudin dans une rizière mal épanchée et qu’il nous faudrait de longues heures pour extraire de la vase les acteurs de cette révolution surréaliste, les grille-pains, gaufriers, cafetières et autres dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne sont pas équipés pour des routes aussi chaotiques surtout après avoir accompli un striptease d’anthologie.

Vous l’aviez vu venir, je le sais bien, mais moi pas du tout. Je me suis laissé totalement surprendre.

Bien entendu, mon état d’esprit est plutôt délétère ces temps-ci perdu dans une sombre folie amoureuse, sombre parce que je ne suis pas sûr qu’elle puisse terminer autrement que dans la vase, folie car comment pourrais-je prétendre pouvoir attirer autre chose qu’une sympathie de façade de la part d’une aussi parfaite femme que Maria et amour parce que c’est ainsi, cela s’appelle comme cela, je n’ai pas d’autre mot pour décrire ce que je ressens et tant pis si vous pensez que cela habille très mal cette chronique et encore plus tant pis si vous croyez que cela va finir avec un beau mot fin sur un couple niaisement enlacé au bord d’une cheminée kitsch.

Si vous avez lu mes livres (NDLR : On dit plus rien sur la publicité clandestine, ça sert à rien, y comprend pas, et ça nous lasse, mais ça nous lasse, vous pouvez pas imaginez, alors vous avez qu’à vous farcir le reste, on vous aura prévenu, nous, c’est bof !) vous devriez savoir qu’ils se terminent rarement bien, nada, niet, jamais, c’est comme cela.

Donc, je sais que tout cela terminera mal mais j’espère quand même que peut-être le présent me réservera un jour un fugace instant de bonheur…

Revenons à nos moutons, ou plutôt n’y revenons pas car notre quête a été interrompue avant la révolte des grille-pains et je doute qu’elle reprenne rapidement. Cela m’a surpris, je vous l’ai dit, tout me surprend.

Le coup des pingouins, pas des lapins, pingouins, suivez un peu ce que je vous dis, je ne l’ai pas vu venir non plus.

Ils étaient comme nous en train d’essuyer les centaines de grille pains exsangues et totalement déprimés, surtout le nôtre, sortis de leur coque de boue lorsque soudain ils se sont dressés et se sont exprimés l’un après l’autre de façon parfaitement solennelle:

Qu’importe la défaite / le désespoir / il faut oser / vous avez osé / c’est géant / félicitations à vous les grille-pains / à notre Che à nous / et nous allons tous faire de même / pour aller à Bangkok nous passerons par Arezzo / et comme Vienne est dorénavant au bord de la mer / il n’y a pas de raison pour que Arezzo n’y soit pas non plus / et puisque nous n’avons pas trouvé de téléphérique souterrain / ou de moutons humains / nous irons de Vienne à Arezzo / traverserons les Alpes par la mer / et célébreront en grandes pompes les 519 années de sa mort / et prendrons de force la chapelle / et déclarerons son indépendance / et sous la céleste bonté de sa célèbre résurrection / nous placerons le grille-pain et il renaîtra lui aussi sous la forme de la Madonne de Senigalli.

Je me suis détourné de cet amoncellement de bêtises sans nom mais lorsqu’ils ont évoqué une réincarnation d’un grille-pain en Madonne je n’en ai pas cru mes oreilles et leur ai demandé de se taire. Comme si nous n’avions pas déjà assez de problèmes avec toutes les ligues et autorités que l’on peut imaginer!

L’extincteur leur a suggéré de demeurer coi et le réfrigérateur leur a proposé de passer quelques heures dans son sein pour refroidir leur esprit particulièrement échaudé par l’eau froide. Seule l’autruche volante, dite marmotte gracieuse, s’est sentie à même de répondre à leurs propos en posant une question qui je dois l’admettre n’était pas forcément ridicule, à savoir comment ferions-nous pour traverser les alpes par la mer ?

C’est à ce moment-là que les pingouins m’ont étonné, dressés sur leurs courtes pattes, les branches de leurs lunettes roses, dans leur bec jaune, ils ont dit pas compliqué les gringos il nous faut 7 baignoires que nous attacherons par des cordes, on jette le tout à l’eau et on laisse dériver comme les banques et tôt ou tard on arrivera en Italie, on dit bien qu’après la Grèce, l’Irlande et le Portugal c’est là que cela finira non ? Donc en bateau et que ça saute, et on sauvera la chapelle, et on évitera qu’elle soit détruite comme à Pompéi et on déclarera notre indépendance et on réincarnera le grille-pain. Logique, non ?

Je ne suis pas sûr qu’il y ait une véritable logique dans tout cela mais soyons honnête, il faut suivre l’actualité, c’est le propre d’une chronique réaliste, donc nous irons de Vienne la cité balnéaire à Arezzo, autre cité balnéaire et tropicale, par la mer et nous y irons par baignoires interposées.

Maria a demandé pourquoi 7 baignoires ?

Ils ont répondu pour deux raisons ma chère Maria, Uno parce que nous sommes 7 et deuxio parce qu’il y a bien 7 nains non dans l’histoire non? Tercio parce que nous approchons de l’été et qu’en été il vaut mieux disposer de baignoires ! Cuatro pourquoi pas !

Je n’ai pas compris l’à propos de ces deux remarques mais comme je vous l’ai dit je ne comprends pas grand-chose ces temps-ci, alors allons-y, cherchons des baignoires et voyons ce que nous pourrons en faire, plutôt cela qu’autre chose… d’ailleurs, auriez-vous mieux à proposer que traverser les alpes dans des baignoires ?

Pas l’avion, certainement pas, de toutes les manières ces temps-ci cela marche pas fort. Pas le reste non plus parce que ça glisse… Alors, pas vraiment mieux à proposer, les baignoires c’est exotique et économe, écologique et ne coûte rien en taxe carbone, pas de fumée, pas de fuite et surtout pas de risque de marée noire, non, rien que du bonheur, du plaisir, je vous le dis, je ne comprends rien à tout cela mais au moins nous avançons, et en plus l’idée de voir Maria dans une baignoire, cela serait tellement grisant s’il n’y avait la contrepartie, l’idée qu’elle m’y voit aussi… je vous l’ai souvent dit, tout est relatif.

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Chronique – 33


De la poésie des autruches, de Copenhague et Vienne, de la fin des téléphériques souterrains et de l’avènement du saute-mouton comme principe de déplacement euphorique et efficace  

Chaque jour est un autre jour, et chaque autre jour se rajoute au précédent pour former un tout uniforme et blanc, voire gris-vert suivant les saisons. Tel est en substance ce que l’autruche volante nous a indiqué ce matin. Nous la découvrons poète ce qui est une belle chose.

Elle s’est mise à papoter et chantonner divers airs humés en altitude là où, dit-elle, on voit le monde plus beau qu’il n’est et surtout plus mélancolique. Elle a évoqué les vents mauvais et les bons aussi, ceux qui portent et ceux qui froissent les esprits chagrins, les vents d’est et les vents d’ailleurs, les vents tristes et les vents gais. Je ne savais pas qu’il y en a autant.

Surtout, elle s’est grattée la tête et en nous jetant une sorte de sort nous a mis la puce à l’oreille, à savoir que peut-être nous pourrions ne pas être à Copenhague, une chose qui ne m’a particulièrement surpris n’ayant pas trouvé de sandwichs ouverts succulents répondant au joli nom de smorrebrod sur les étals. Les plats au curry, le fleuve, la température chaude, la gentillesse et douceur des passants, le curry dans les plats, les mangoustans, mangues, papayes et litchi, les temples et pagodes, les bouddhas assis ou couchés, bref tout cela faisait un peu désordre au Danemark.

J’ai donc été rassuré de l’affirmation autruchienne selon laquelle nous n’étions pas à Copenhague du tout, pas le moins du monde, même pas en dessous du moins, encore plus bas que la norme pascalienne en vigueur, plus petitement que les doigts de fées des mers du nord ou les pieds assis de Corinthe, non nous ne sommes pas au Danemark, n’en déplaise à Hamlet et son copain Shakespeare, on est loin du compte, de l’assiette et du Jutland.

Le grille-pain qui se remet de ses émotions ne s’est pas affolé et sous médication intense consistant en un regard de Maria par demi-heure il a simplement hoché la tête langoureusement et s’est prostré sur les genoux de son divin médecin. S’il n’était aussi dépressif j’en serais presque jaloux. Cette perspective au demeurant m’est un peu désagréable car comment pourrais-je avouer à quelque médecin, psychiatre, psychanalyste, psychodramaturge que ce soit que je suis jaloux d’un grille-pain ?

Autant leur annoncer que le monde tourne dorénavant du nord au sud, que les caïmans montent aux arbres et que les humains s’aiment. Bizarre que ce monde où nous vivons.

En tout cas, pour en revenir à cela, nous ne sommes pas à Copenhague mais bel et bien en Autriche, foi d’autruche et marmotte gracile et cieuse. C’est un fait et nul ne le contestera, le pays des téléphériques, des montagnes et de la valse, de la tarte Sacher, autant de choses que nous n’avons pas encore vu mais qui dans ce monde où l’évidence est toujours cachée et l’hypocrisie, le cynisme et le machiavélisme règnent sans partage, c’est une preuve de plus de la justesse de l’autruche volante.

Le Yéti anarchiste s’est bien avancé à faire remarquer qu’après tout nous n’avions aucune preuve tangible d’être à Copenhague et que donc, suivant ce raisonnement autruchien fort habile, nous pourrions aussi bien nous trouver dans cette ville-là. Cependant, tout le monde en ayant plus qu’assez de trouver un téléphérique reliant Copenhague à Bangkok les arguments Yétiesques ont été balayés d’un revers de la main, du câble électrique, du tuyau, des lunettes roses et de la porte, respectivement.

Nous sommes donc à Vienne.

Reste à quitter ce lieu pour nous rendre à Bangkok et de trouver un chemin aisé, non surveillé et rapide pour la cité de nos rêves, là où nous ne serons plus poursuivis par des quémandeurs de toute catégorie nous enjoignant ce qui de droit, de fait ou d’ailleurs, ne nous regarde pas, ne nous concerne pas et ne nous intéresse pas.

L’autruche volante nous a ensuite soumis une idée à toutes fins ou débuts utiles, à savoir que rejoindre Bangkok pourrait se faire en sautant de montagne en montagne par l’intermédiaire de moutons coopératifs. Il est évident qu’aucun magistrat digne de ce nom ne pourrait simplement envisager que des fuyards quittent un pays en saute-mouton et c’est la raison pour laquelle cette idée nous a beaucoup plu. Elle est par ailleurs d’exécution assez simple : Il suffit de trouver des moutons coopératifs de les conduire au sommet des montagnes autrichiennes et de sauter au-dessus des uns puis des autres.

Tout cela fait sens, n’est-ce pas ? En tout cas, nous progressons à grands pas vers une solution pragmatique, réaliste et pratique. L’air autrichien nous convient bien et les sourires autruchiens volants nous conviennent bien.

Je vous livre son dernier aphorisme : il n’est pas pire autruche que celle qui soigne les dents des gens pour de l’argent.

Je ne suis pas sûr d’avoir saisi la subtilité de la chose, mais vous souhaite une belle et bonne soirée.

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