D’un monde inhospitalier, d’une rencontre surprenante, et d’étranges métamorphoses


 

D’un monde inhospitalier, d’une rencontre surprenante, et d’étranges métamorphoses

 

Le temps des rizières, des tropiques, des déserts et des océans qui s’achèvent sur des ciels et des mers en furie est fini, l’auteur en a décidé ainsi.

 

Il dort tranquillement dans son coin, sous son Vermeer blanc et ses pingouins amateurs de Piero della Francesca, eux aussi endormis, qui ont probablement oublié à ce stade les raisons pour lesquelles ils se trouvaient ainsi installés sur ce banc de fortune probablement peu confortable mais allez donc savoir ce qu’il en est avec des animaux aussi irascibles qu’eux et, après tout, habitués à un environnement bien plus hostile et inhospitalier que celui-ci.

 

Je marche dans les rues de cette cité humide éclaboussée par une bruine froide, sous un ciel sombre et gris, sans lumière autre que celle d’un soleil triplement filtré par deux couches de nuages et une de pollution, avec ses cortèges incessants de vivants gris anthracite avançant à pas soutenus sous des parapluies gris ou noirs, dans leurs costumes de survivants de marque, vers une destinée grandiose et sublime.

 

Chacun bouscule l’autre, l’autre se secoue et avance de quelques pas et bouscule celui ou celle qui le précédait, ce dernier se déhanche et prononce quelques jurons ou insultes, ce qui est un insigne de choix dans cette réalité où les puissants doivent être vulgaires sinon ils ne sont pas, doivent singer la plèbe qu’ils ignorent mais dont ils épousent l’épiderme des rites et coutumes pour faire bien, pour faire ‘in’, ou dieu sait quoi, ou plutôt dieu ne sait plus trop quoi car honnêtement il s’en fout complètement.

 

J’ai passé la matinée à avancer dans une direction inconnue dans un monde rédhibitoire porté par une foule étrange d’endimanchés débraillés, et inversement, affligés de marques et logos tout jolis avec portables sophistiqués à l’oreille, en bandoulière, sur le dos ou le chapeau, peu importe, le paraître est essentiel, et me suis trouvé face à face avec le Yéti anarchiste que je n’avais plus vu depuis des lustres.

 

Je me suis précipité vers lui mais il m’a à peine reconnu, m’a murmuré quelques mots mimés signifiant qu’il était en grande conversation avec des grandes gens venant de grandes institutions puis il m’a signifié de la main une terrasse froide et humide sur laquelle les gens d’ici ont disposé des tables et parasols ainsi que chauffage adaptés pour permettre à chacun de profiter du bon air bien pollué et parler à voix haute, très haute, permettant ainsi aux voisins qui s’en fichent profondément de connaître les secrets les plus intimes des embellis de pacotille.

 

Je me suis installé aussi bien que je le pouvais, calfeutré sous mes pulls rouges arrachés au rêve de mon auteur préféré, mon alter ego endormi, ai commandé à une jolie serveuse blonde sur hauts talons de marque – avec tatouage discret sur le front, ‘fuck you’ en liseré vert de police calibri (body), taille 11 et en italiques, piercings élégant sur le sourcil droit, la narine gauche, les deux oreilles en trois points particuliers et je pense la langue – une boisson à codéine, adrénaline, alcool, vitamines B, C, D et Z, calcium et racines de palétuvier cueillies par jour de pleine lune à 4 heures 33 selon les rites papous, et ai attendu que mon cher et brave Yéti, habillé d’un complet Prada, d’une chemise blanche à l’indienne, d’une ceinture Lanvin, de chaussures Smith and Weston, de chaussettes Tom Smith, de boutons de manchettes Penhallinet figurant une tête de mort souriante, me rejoigne.

 

Plusieurs douzaines de minutes et sept ou huit conversations téléphoniques plus tard, mon ami m’a rejoint, a commandé à la serveuse qui le connaissait et l’a appelé Léo Charles une boisson au nom de ‘froissements de vipères charnelles’ que je n’avais pas vu sur la carte lisse et auréolée de fleurs de lys et signes cabalistiques dorés et a consulté ses messages électroniques tout en me faisant bénéficier d’un sourire charnel révélant des dents blanches, non plus carnassières comme autrefois mais standardisées façon acteur de cinéma.

 

« Je suis très heureux de te retrouver, cela faisait si longtemps que nos chemins se sont séparés… » lui ai-je dit un peu naïvement j’en conviens.

Il m’a répondu d’une voix très ferme mais chaleureuse tout en lisant ses emails: « certes, les choses ont changé, il en est ainsi de toute chose. Je devrais te laisser dans une petite minute ou deux. Plusieurs entretiens au sujet de la mise sur le marché de mes nouveaux fonds pro-révolutionnaires pour la liberté et l’épanouissement des populations antérieurement soumises et maintenant libérées. Liberté 1 et 2, Anarchie 7 et surtout Explosion 3 qui fait un tabac. J’ai fait réaliser à ces cons des profits limités mais leur ai conféré un bien-être immédiat, la joie de participer à moindres frais aux bouleversements et convulsions du monde. Le combat continue même s’il a épousé de nouvelles formes et stratégies. La victoire est proche ».

 

Il a levé la main pour demander à ce que l’addition soit mise sur son compte puis s’est levé sans demander son reste.

 

J’ai à peine réussi à susurrer quelque chose demandant où je pourrais le joindre et s’il avait vu Maria au regard si profond que si souvent je m’y suis perdu corps et âme, mais à part un sourire perdu dans quelque lointains sommets oubliés il n’a pas voulu ou pu me proposer d’autre réponse.

 

J’ai soupiré, ai essayé de converser avec la serveuse, mais celle-ci ne me voyant pas ne pouvait me répondre, puis me suis levé et ai continué la longue errance qui est la mienne.

 

Je me suis un peu égaré, ai perdu le fil de mon cheminement ne sachant plus très bien où le musée se trouve mais j’imagine qu’il me sera facile de le retrouver. Les sentiments qui s’infiltrent dans mon cerveau las sont ambigus, d’un côté la déception, provenant du changement de nature de mon ancien ami, et d’un autre l’espoir, celui de revoir mes autres amis car si l’un a surgit du néant les autres doivent probablement être par-là eux aussi.

 

Mais … comment dire … il y a cette angoisse sourde qui m’opprime le plexus solaire, se répand sur la cage thoracique, empresse mes poumons, opprime mon estomac et calfeutre mon abdomen, celle de retrouver dans deux minutes, une heure ou deux jours une Maria au regard profond et beau mais une Maria différente qui ne me reconnaitrait pas, qui serait rivée à un téléphone portable et procéderait à des achats et ventes d’obligations, actions ou hedge funds, parlerait prime et bonus, et aurait oublié tout ce qui nous liait, enfin je veux dire tout ce qui constituait de mon point de vue un lien entre elle et moi.

 

Il pleut sur ma tête et l’eau dégouline sur mes cheveux, mon visage, mon cou, car je n’ai pas de parapluie, je regarde le ciel qui n’a pas de fin, la rue qui s’ouvre à l’infini, les humains qui marchent en se bousculant et en parlant aussi fort que leurs poumons le leur permet, les voitures qui se cognent les unes contre les autres en rythme lent et mélodieux, les bâtiments qui s’ajustent les uns aux autres avec agressivité et angles morts, et me demande s’il y a encore quelque chose en vie dans tout cela.

 

§544

Chronique – 44


De la relativité de toute chose, d’un banc de sable fort apprécié, de l’appétit des Yétis, de la mer des tracas, et de mon triste sort...

Notre situation a évolué. Dire qu’elle est meilleure ou pire dépend du point de vue où l’on se place, tout est relatif, je ne cesse de le répéter dans ces lignes, et ceci est confirmé pratiquement chaque jour, le soleil se lève à l’est mais ce pourrait être l’ouest, quelle importance et tout est à l’avenant, la terre du soleil levant est forcément celle du couchant pour celui ou celle qui est encore plus loin, là-bas, et ainsi de suite, jusqu’à épuisement du stock, quant à parler du stock, celui dont nous parlons si souvent dans ces lignes, à savoir un grille-pain anorexique et dépressif, un réfrigérateur colérique, un Yéti anarchiste, trois pingouins amateurs de Piero della Francesca, un extincteur fort sage, une autruche volante et flottante, dite marmotte gracieuse, Maria, la douce et belle Maria, dont le regard bouleverse les passions et les sentiments les plus extrêmes et que je ne peux soutenir sans risquer de me transformer en statue de sel, glace ou poivre, et enfin moi-même, révolté et dépassé, surtout dépassé, sachez donc que ledit stock perdu en Mer d’Autriche, sans embarcation depuis des lustres et des interrupteurs solaires, en phase de découplage en trois groupes, les volant, les flottant, et les pas flottant, vient in extremis de découvrir qu’il ne surnageait pas au-dessus de massifs Alpins recouverts pas les eaux de ladite Mer, mais bel et bien au-dessus d’une étendue de sable très large et douce, de plusieurs hectares, de superficie variant entre 50 centimètres et 1 mètre cinquante-six et trois dixième de profondeur, dixit le brave et charmant Yéti ayant pris son courage à deux mains et plongé sa tête dans l’eau fort chaude et douce.

Bref, nous sommes sur un banc de sable, pas de thons, et nous ne risquons plus vraiment de couler, donc de disparaître. Dommage que nous ne nous en soyons pas rendu compte auparavant, ceci nous aurait évité bien des tracas.

Mais la question qui s’impose et qui paraît aujourd’hui bouleversante et ahurissante, en ce jour premier après une interruption forcée et involontaire de nos émissions, s’il y a un banc de sable sous la Mer d’Autriche où sont passées lesdites montagnes ? Où est Arezzo dont nous cherchons à atteindre les contreforts pour prendre possession de la chapelle de Piero et lui conférer son indépendance ? Quid de la route pour Bangkok dont nous pensions qu’elle débutait tel le chemin de Compostelle en un lieu bien précis et trois fois distinct ? Nous sommes debout sur ce banc recouvert d’eau turquoise, le paradis virtuel de touristes potentiels, semblons seuls pour l’éternité et nous demandons ce que l’avenir nous réserve d’autant que des grognements semblant issus de la trilogie du Seigneur des Anneaux résonnent de plus en plus fréquemment depuis les tréfonds non pas de l’âme mais de l’estomac du Yéti baroudeur et anarchique.

Les trois pingouins ont fait observer que si d’aventure la chose poilue se mettait à nous regarder bizarrement nous nous tirerions à tire d’aile et observerions le choc des titans depuis une distance respectable.

Le grille-pain existentialiste a noté que l’esprit seul devait être nourri et que le reste, ce boulet de chair et de viscères pour les organiques, ou de métal et plastique pour les minéraux, et ne méritait rien tant qu’une bonne cure de sommeil et d’oubli, tel Marc Aurèle sur son champ de batailles, rien ne doit remplacer le plaisir de la connaissance et le rappel constant et permanent de son éphémérité. Rappelle-toi, vivant, de ta condition misérable, et ce plat que tu envisages n’est rien d’autre qu’une viande chaude ou froide, une chair de poisson, un morceau de racine, de feuille ou de racine. Rien ne vaut la réflexion. Allons, grosse et bonne boule de poil Yétinesque, cesse de songer à ton estomac et contemples ton âme, nourris ton esprit.

L’autruche volante et flottante et dorénavant marchante aussi, multifonctionnelle selon les règles EU en vigueur dans cette partie d’hémisphère, souhaitait commenter la situation mais pour une fois elle ne l’a pas fait sous forme de poème incompréhensible mais en prose : Pour moi, pas de problème non plus, je pense donc je suis, je suis volante donc je vole, je peux ainsi me placer hors d’atteinte rapidement. A priori, le grille-pain, le réfrigérateur et l’extincteur devraient connaître un sort assez aimable, dans la mesure où imaginer un Yéti manger du métal, du fil, du tuyau ou des connections diverses me semble relativement peu crédible. Maria, qui voudrait du mal à Maria, qui pourrait seulement envisager de s’approcher d’elle sans sombrer dans une douce mort ? Reste lui, le narrateur sans nom. Mon cher, je crois que ta peau, tes jours, tes nuits et ton délire sont comptés. Foi de marmotte gracieuse, il ne te reste pas grand-chose à espérer.

Le réfrigérateur s’est alors enquis de mes dernières volontés en me suggérant de lui léguer l’appartement, la voiture, les meubles et immeubles en ma possession ou non, ceux des autres aussi, les vêtements, objets d’art, livres et matériels divers également, et le reste, à lui aussi.

L’extincteur, outil fort sage, s’est déclaré neutre en qualité de sauveur des vivants et en conséquence dans l’impossibilité de faire un choix entre deux victimes potentielles, à savoir le Yéti succombant à son appétence, ou l’humain sans nom avalé par le Yéti. Il a par suite suggéré que l’édit de succession enregistrable auprès des caisses des grandes surfaces ou des notariats investis des pouvoirs multiples, divins ou républicains, en vertu des lois dont il s’agit, ou pas, c’est selon, lui soit confié et qu’il en ferait grand cas, grande vertu et grand respect.

C’est ainsi, chers lecteurs et chères lectrices, que ma situation évolue au fil des heures du moins bon vers le pire et du pire vers le délire le plus absolu. J’étais naufragé, je suis dorénavant la proie virtuelle d’un cousin cannibale et délirant me regardant avec un sourire charnel.

Si demain cette chronique ne vous parvenait pas sachez que de là où je serais alors je penserais à vous avec beaucoup de tristesse et nostalgie, une vie passée à regarder le monde m’éviter et maintenant un avenir à subir les flux gastriques d’un monstre des montagnes, pas très réjouissant que tout cela.

Reste le soupir de soulagement qui pourrait être prononcé si nous devions voir la lumière à la fin du tunnel, espérons que nous verrons rapidement ce satané tunnel car sans tunnel pas de lumière et ainsi de suite. Mais, allez donc trouver un tunnel en pleine mer! La chose n’est jamais fort aisée, vous les savez bien.

Il me reste les yeux de Maria que je dévore avec un plaisir d’autant plus gourmands que d’autres yeux sont posés sur moi avec gourmandise eux aussi. Soyons généreux et laissons l’avenir dicter son diktat. Pour l’heure, laissez-moi je vous prie me noyer dans les yeux de Maria.

§3

Chronique – 23


De l’esprit philanthrope qui est le nôtre depuis que nous sommes arrivés au Danemark 

Nous avons été accueillis au Danemark en véritables héros ou stars de télévision. À peine descendus du camion nous avons été entourés par une armada de journalistes qui nous a photographiés sous tous les anges, surtout le réfrigérateur, nous interpellant par nos prénoms, criant pour attirer l’attention de l’un et de l’autre. Le crépitement aveuglant des flashs, le claquement chaleureux des photos, le brouhaha des paparazzis, les objectifs lourds et gros se heurtant les uns et les autres, tout cela a constitué une étrange et surprenante ambiance.

Maria était un peu gênée et s’est inquiétée de cette intrusion dans sa vie privée. Son regard trahissait un sentiment d’incompréhension et de doute. Un reflet particulier de ses yeux émeraude m’a laissé penser qu’elle ne me considérait pas totalement innocent dans cette histoire. Il est vrai que les photographes s’ingéniaient à la photographier sous toutes les coutures et à l’appeler pour qu’elles se tournent vers eux de manière bien plus régulière que par exemple le grille-pain ou moi-même. Je lui ai murmuré que je n’avais pas la moindre idée des circonstances ayant provoqué cette avalanche médiatique.

Le Yéti qui se pavanait avec une forme d’aisance assez remarquable et un sourire jubilatoire a levé ses mains vers le ciel et crié dans le patois papou, portugais et alémanique qui est le sien des mots que j’ai traduits sans me tromper totalement je pense comme «évolution, révolution, victoire sans condition, pas de quartier, tous à genoux, la société et les autorités, victoire, chapeau melon et pastèque». Il est vrai que sa stature particulière, sa taille impressionnante et son poids considérables tranchaient avec les photographes aux vestes colorées.

Finalement, nous sommes parvenus à franchir la haie de journalistes et pénétrer dans un local qui s’est avéré être le hall d’entrée d’un motel de banlieue où des voyageurs fatigués alternaient avec des employés surpris par l’agitation et deux ou trois journalistes avec microphones un brin plus réservés que ceux de l’extérieur. Ces derniers se sont rapprochés de nous et nous ont assaillis de questions. Spontanément je me suis transformé en porte-parole de notre groupe de fuyards :

Quelle est votre réaction au sujet des paroles du ministre de l’intérieur et du bien-être social ?

 

Où irez-vous maintenant? Comment réagissez-vous à la décision danoise de vous refouler ?

 

Que répondez-vous à Philip Esther-Dent dans le Courrier de Poitou-Charentes et Basse-œuvres qui considère votre fuite comme préfigurant la décadence européenne et la réaction du corps social face à un état de plus en plus intrusif ?

 

Ressentez-vous une forme d’intrusion inacceptable dans votre vie suite à la publication sur Internet de l’ensemble de vos échanges dans le camion ?

Je ne savais pas vraiment comment répondre à toutes ces questions, j’ignorais quelles raisons avaient provoqué ce regroupement particulier et cet intérêt visiblement vif des journalistes à notre égard, je ne cessais de me demander comment les autorités avaient pu nous suivre avec une telle précision et comment ces journalistes avaient fait pour nous suivre à la trace avec une telle justesse. Par-delà les journalistes j’ai discerné trois individus au costume sombre, regard gris et lunettes de soleil assis en cercle près de la réception qui d’évidence n’étaient pas des journalistes.

J’ai répondu au petit bonheur la chance :

Merci pour votre intérêt. Nous n’avons pas de commentaires particuliers. Nous ne fuyons personne mais voyageons autour du monde. La prochaine étape est Bangkok et ensuite nous improviserons. Nous respectons le choix, les décisions, la justesse, le caractère particulièrement adéquat et la finesse des autorités dont il s’agit qui se préoccupent de notre situation avec un paternalisme qui  nous émeut. Su ce, si vous n’y voyez pas d’inconvénient nous souhaitons nous rafraîchir. Merci.

Ceci aurait peut-être pu marcher en d’autres circonstances, notamment si l’extincteur n’avait profité de cette occasion pour demander la parole et la prendre sans souhaiter me la rendre :

Je voudrais faire une déclaration. Nous nions tout ce qui a pu être dit sur nous. L’espionnage qui a été le fait de certains est inacceptable. Par contre, il est vrai de dire que nous allons joindre le groupe des multimilliardaires qui ont décidé de faire don de la moitié de leur fortune à des causes humanitaires. Nous cédons 55% de nos biens sur le champ, ici et maintenant. Nous fournirons des détails à cet égard aussitôt que possible.

Ceci a comme vous pouvez l’imaginer provoqué un tollé général. Tout le monde a été surpris et les questions ont fusé. Je n’étais pas le moins étonné du groupe. Cependant, j’ai réussi à regrouper mon petit monde et à le diriger en ordre plus ou moins compact, plutôt moins que plus d’ailleurs, vers la cuisine où j’ai demandé à chacun et chacune de se tenir coi en attendant plus ample information. J’ai fermé les verrous, fenêtres et trappes et ai exigé de chacun le silence le plus complet.

Procédons par ordre ai-je dit. Savez-vous comment les trois officiels de service ont fait pour nous suivre à la trace ?

Les pingouins aux lunettes roses ont incliné leur tête vers le sol en disant pardonnationez-nous, peut-être éventuellement n’était-il pas souhaitable de jouer avec i-pod pour chercher nouvelles des ventes de jolis tableaux Piero sur toile pas d’araignée…

 

D’accord, d’accord ! C’est compris. Ne pleurez pas mais dorénavant c’est silence radio. Deuxième question, comment les journalistes ont-ils eux aussi pu nous suivre aussi facilement ?

 

A leur tour, le grille-pain et le réfrigérateur ont baissé ce qui leur sert d’appendice supérieur pour dire Après tout quel est le problème, ils ont le droit de savoir non ?

 

Bien, on progresse. En tout cas on ne peut pas dire qu’il n’y ait pas de discrétion dans notre petit groupe. Et enfin, pourrait-on avoir une idée pourquoi cette idée de donner la moitié d’une fortune que nous n’avons pas à dieu sait quelle cause ?

Et là, l’extincteur m’a regardé droit dans les yeux pour me signifier : Et pourquoi pas, nous faisons comme tout le monde, nous donnons ce qui potentiellement pourrait être à nous mais qui en réalité est à tout le monde. En plus, nous sommes très généreux, nous donnons une fortune dont nous n’avons même pas commencé à profiter puisque nous ne l’avons pas. Si cela n’est pas de la générosité, qu’est-ce que c’est alors ?

Le Yéti a abondé dans son sens en glapissant Justesse et victoire, révolution et barricades, tous pourris, à bas la dictature des hyper puissants, vive nous !

J’ai alors proposé à chacun de se sustenter et les ai quelque peu rassuré en leur disant qu’il serait dorénavant difficile à quiconque de nous arrêter étant donnée notre notoriété naissante. Des riches philanthropes en vadrouille au Danemark et Thaïlande, c’est probablement fréquent mais pas forcément un groupe constitué de telles individualités.

Nous verrons bien ce que l’avenir nous réserve. Le grille-pain a alors demandé ce que nous ferions du 45% restant de la fortune que nous n’avons pas. J’aimerais bien le savoir.

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Chronique – 21


De l’incompatibilité appare*te entre u* Yéti et l’i*formatique

*ous avo*s du rester da*s *otre petite maiso* près du parki*g pratiqueme*t toute la jour*ée, *o* pas e* raiso* d’u*e plai*te quelco*que des autorités mais de par la me*ace co*comita*te des i*o*datio*s et de l’avala*che de co*sommateurs déchaî*és et passio**és e* ces veilles des po*ts. A plusieurs reprises j’ai te*té e* m’aida*t de mo* passé de rugbyma* de forcer l’étau des lig*es d’ava*ts mais *’ai rie* pu faire, ceci sa*s compter le fait que derrière moi se traî*aie*t u* certai* *ombre d’éléme*ts peu disposés pour la lutte ou la course et deva*t u* Yéti a*archiste qui malheureuseme*t pour lui a été pris pour u*e peluche géa*te par u*e armée de *ourrisso*s, charma*ts au demeura*t, et de leurs mama*s, charma*tes elles aussi et du reste des troupeaux familiaux hurla*t et trépig*a*t tels des bœufs musqués e* période de rut.

Il *ous a do*c semblé bie* plus avisé de *ous réfugier da*s *otre local dit tech*ique auprès des très chaleureux circuits électriques et p*eumatiques qui *ous o*t accueillis la *uit der*ière. *ous y sommes restés toute la jour*ée parve*a*t à la co*clusio* que rie* *e pourrait être e*trepris ava*t la fi* des *octur*es et le début de la *uit réelle, celle avec ciel *oir, obscurité, reflets des lampes sur les *uages bas et humides, et pluie diffuse céda*t le pas à la *eige vers quatre heures quara*te quatre.

*ous avo*s discuté de choses et d’autres ava*t que les pi*goui*s aux lu*ettes roses *e fi*isse*t par aborder le sujet particulièreme*t délicat qu’aucu* d’e*tre *ous *e souhaitait aborder, la *ourriture… *ous avio*s faim. Pour l’exti*cteur, pas de problème particulier da*s la mesure où ce der*ier se *ourrit, comme chacu* le sait, les *uits d’équi*oxe seuleme*t. Pas de problèmes *o* plus pour le réfrigérateur ou le grille-pai* qui disposaie*t de certai*es réserves au sei* de logeme*ts i*adéquats prévus à cet effet.

Pour Maria – c’est bie* so* *om, je le sais avec u*e certitude proche de 99 pour ce*t depuis les rêveries de la *uit der*ière, et pour moi – il y avait u*e certai*e forme d’urge*ce mais éta*t humai*s et do*c sujets disposa*t d’u*e forme de co*trôle sur soi démesurée et remarquable, *ous savio*s que *ous pouvio*s *e pas ma*ger ou boire pe*da*t vi*gt deux mi*utes et deux seco*des. Ce temps éta*t écoulé, il *e restait peu de choses à faire si ce *’est dormir puisque qui dort dî*e comme chacu* le sait bie*. C’est ce que *ous avo*s fait avec u* peu de regret de mo* côté je dois l’admettre.

Restait le Yéti a*archiste. Je *’ai pas compris au départ ce qu’il ferait mais après u* lo*g somme, *ous avo*s découvert l’ampleur des dégâts : circuits p*eumatiques e* caoutchouc, la*ières e* plastique et fusibles rouges pour des raiso*s que seuls les a*archistes co**aisse*t réelleme*t. Mais égaleme*t, il semblerait qu’il ait souhaité disposer de certai*es touches laquées *oires do*t il *ous a dit après coup qu’elles étaie*t très délicates… A ce stade *ous *e pouvo*s que le croire mais avo*s du lui dema*der de *e plus agir ai*si au risque de *ous priver à jamais de la possibilité d’écrire les chro*iques qui vous parvie**e*t depuis des étapes bie* choisies de *otre fuite.

E* espéra*t que ceci sera lisible e* dépit de l’abse*ce de la lettre ‘*’ pour laquelle le yéti a*archiste *ous a soulig*é qu’elle avait u*e saveur particulière : *éa*t, *éa*dertalie*, *amur, *oémie, *ihilisme, *o*o, *elly, *i*apur, et *ullissime a-t-il de fait murmuré da*s u* éla* de profo*de gé*érosité.

Je dois admettre compre*dre de moi*s e* moi*s mes compag*o*s de fuite mais là *’est pas la questio*.

Bo**e jour*ée…
§1040

Chronique – 20


De la nécessite d’une fuite et des conséquences qui s’en suivent forcement

La situation est de plus en plus chaotique comme vous avez malheureusement pu vous en rendre compte par vous-même.

Les autorités ont agi avec une grande célérité, je dois en convenir et en application de dispositions légales dont j’ignore l’exacte délinéation ont exigé que nous cessions d’inonder la toile de nos chroniques habituelles et contribuer ainsi à disséminer des informations dites infiables selon la lettre c) de la circulaire sur la nécessaire infaillibilité des nouvelles fraîches ou rances à plus de 432.089 personnes au titre du sous paragraphe 8 de ladite lettre.

Les individus masqués ayant il y a peu tenté de s’introduire dans mon humble logis avant d’être roués de coups par mes amis ont cédé la place à d’autres moins naïfs et bien plus retors. Ceux-ci se sont introduits dans la salle à manger par le conduit de la cheminée que les pingouins roses avaient patiemment nettoyé. Ils se sont rendus maître des lieux en deux temps, trois mouvements et quatre casseroles, puisque c’est le nombre de tels outils qu’ils ont utilisé pour frapper nos intellects de révélations étoilées.

Ceci explique cela. Nous avons dû obtempérer, nous n’avions pas le choix et comme nous sortions d’une crise interne relativement sérieuse nous n’avons pas immédiatement pris la mesure de la menace que cette intrusion représentait. Certains ont décidé de coopérer avant de se rétracter tandis que d’autres se sont tenus à l’écart de toute collaboration illusoire. Mais, bientôt, nous nous sommes retrouvés sur une même longueur d’onde et largeur d’esprit et avons pris la disposition qui s’imposait : nous nous sommes enfuis.

Nous avons quitté mon logement à trois heures trois minutes et trente-trois secondes, question de principe car ils étaient trois et nous étions 9, tout cela convenait fort bien. Ils dormaient dans les chambres qu’ils avaient réquisitionnées. Nous sommes partis sur la pointe de mes pieds car hormis ma charmante et nouvelle campagne alémanique dont j’ignore le nom mais soupçonne que le prénom est Maria ou Anna les autres n’ont pas de tels appendices, surtout pas le grille-pain qui en dépit de son mutisme absolue ne semble pas en mesure de certifier le contraire, CQFD.

Nous sommes partis en ville, l’un derrière l’autre, en longue file indienne par ma mère et papou par le Yéti anarchiste, et nous sommes dirigés vers le lieu d’où nous écrivons ces lignes, c’est-à-dire le local technique du parking souterrain de Surplus-les-Gonettes, sis en plein air, mais dont la partie fonctionnelle et électrique se trouve dans une maisonnette de huit mètres sur quatre sur deux qui correspond au rapport précis qu’utilisait les architectes de la civilisation de l’Indus lorsqu’ils cuisaient leurs briques, un parfaitement bon présage selon les pingouins aux lunettes roses qui connaissent pourtant peu de choses au-delà de la chapelle d’Arezzo.

L’endroit est chaud, de par la présence de centaines de circuits électriques en parallèle, série ou pattes d’éléphants et nous bénéficions naturellement de la protection des fusibles et bornes électriques.

Nous avons envisagé l’avenir mais nul n’a réussi à déterminer ce qu’il sera. Par contre, l’extincteur et le Yéti anarchiste se sont un brin affrontés, verbalement s’entend, par fatigue plus que par illusion ou violence renfermée, au sujet de la couleur de l’extincteur, rouge a dit le Yéti, rouge ? pourquoi rouge ? pourquoi cette couleur d’inspiration bourgeoise socialiste, pourquoi se référer au passé, des périodes qui ont visiblement été se faire voir par les papous du haut comme du bas, pourquoi ne pas opter pour la couleur du moment, le gris-vert ?

Ce à quoi l’extincteur, paisible et courtois, comme à son habitude a fait remarquer que s’il n’éprouvait aucun problème envers le gris si ce n’est le souvenir de la suie, le vert était problématique à bien des égards, c’était en effet la couleur des feuillage, des petites herbes dans le vent, des champs et des prés, petite musique de Bruckner en prime, voire Schubert, ou les deux, mais pas celle du feu. Or, lui, était là pour éteindre ces derniers et l’un imposait donc l’autre. C’était ainsi et pas autrement. Pas de choix autre que celui-ci, d’ailleurs lui l’extincteur n’en avait jamais eu aucun. Sur ce, il s’est mis à verser une larme, à crier à la fuite et s’est senti très mal.

Nous l’avons consolé. Le Yéti anarchiste s’est repris et lui a dit de ne pas trop s’en faire que demain il le peindrait en noir s’il le souhaitait et qu’entre-temps tout irait mieux. Et nous avons fait de même.

La nuit est ronde et la lune noire ou l’inverse et je dors auprès de mes amis, y compris une certaine Maria, Anna ou Léona, je ne sais pas, et je vois dans le plafond des étincelles qui me rappelle le bruit des étoiles lorsqu’elles se couchent.

Je vais en faire de même.
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Chronique – 19


D’une notification importante à l’attention des lecteurs adorés

Ceci est une chronique rédigée par un collectif librement réquisitionné au titre de la législation sur la liberté de pensée et d’expression et le devoir de garantir une information neutre, objective et dépassionnée à l’attention d’un public exigeant tels que visés aux disposition 765c/89 à 987 du 32 février 2010.

Le personnel ayant souscrit par écrit à ces dispositions est composé d’un humanoïde de haute taille prénommé Yéti anarchiste et de deux machines, l’une électrique, et l’autre mécanique, respectivement un réfrigérateur et un extincteur.

Le personnel ayant, abusivement et sans scrupule particulier mais beaucoup de remords, fait usage de son droit de retrait regroupe de manière déplorable un humanoïde lunetté, trois pingouins portant lunettes roses et une autre machine avec résistance électrique, à savoir un grille-pain.

Ladite chronique est passionnante et comprend des morceaux d’anthologie destinée à informer le public sur des questions d’importance rarement évoquées ailleurs. Le lectorat est convié à se délecter et apprécier la possibilité qui lui est faite de s’instruire en s’amusant.

L’attention du lectorat est attirée sur la possibilité qui lui est offerte de répondre à un formulaire de 345 questions et cinquante commentaires surlignés demandant une moyenne de 45 minutes pour être complété. En vertu des dispositions sur la liberté personnelle et le bien-être de l’état, son attention est également attirée sur le fait que sa lecture est localisée géographiquement, historiquement, localement, nationalement, institutionnellement, visuellement, et transversalement, pour qui de droit, de fait et proquo.

Le texte dont il s’agit est le suivant :

« Merci »

Le fait d’être arrivé à ce point de la lecture de ce texte riche en imprévu et émotions, engage le lecteur au titre des dispositions précédentes ainsi que celles sur la libre volonté, le libre arbitre, et le libre café. Merci de répondre aux questions et réponses facultatives en cochant la case qui vous convient le mieux. S’agissant de la question obligatoire, la voici :

Préférez-vous le nouveau format des chroniques à l’ancien :

Oui :
Bien sur :
Tout à fait :
Absolument :
Nécessairement :
Naturellement :
Autre : (Veuillez préciser votre pensée en donnant également votre numéro d’immatriculation à la société du bonheur, de la santé et de la joie collective, votre numéro de compte bancaire individuel sous forme collective, 253 photos en noir et blanc et 763 en couleurs, toutes différenciées et un forfait de 300 Euros déposé devant notaire assermenté, juge des doléances, maitre du bien et du moins bien, courtier en assurance non obligatoire mais recommandée, et préposé postal de catégorie d) ou plus).

Bonne matinée, journée, et soirée, que le bien-être soit et le soi s’y perde.

Au nom du collectif qui a conformément à la loi signé en responsabilité individuelle sans pression morale ou physique tel qu’attesté au téléphone par une boite vocale dument assermentée.
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Chronique – 16


Des choses que l’on comprend et d’autres moins

J’ai enfin compris comment mes co-locataires étaient parvenus à obtenir des informations si précieuses sur le comportement des autruches volantes, un sujet d’importance dont j’ai parlé voici deux jours. De fait, sans que je ne le sache, le soupçonne ou même l’envisage, un individu de cette nouvelle espèce volante vit dans mon appartement depuis quelque temps. Il y avait, chose que j’ignorais jusqu’à ce moment-là, un logement fort exigu mais non moins réel entre le salon et la salle à manger, un local de quelques mètres cubes à peine dont l’entrée se cache entre deux portes, très étroite voire même impossible à discerner au premier regard mais s’élargissant au fur et à mesure de la progression pour devenir un étrange volume de forme hexagonal.

C’est là qu’elle se cachait. J’ai découvert cet endroit parce que mes amis qui apparemment y passaient plusieurs heures chaque nuit à disserter sur l’avenir de notre chère planète avaient omis de calfeutrer l’orifice d’entrée, ou sortie, trop pressés qu’ils étaient ce matin à se précipiter dans la pluie et jouer comme des demeurés. Je les ai regardé depuis la fenêtre de la cuisine et me suis dit que les choses n’étaient jamais aussi simples qu’on voulait bien l’imaginer.

Qui aurait imaginé il y a peu que je me retrouverais ainsi à partager mon appartement avec un réfrigérateur, un extincteur, un Yéti anarchiste et maintenant une autruche volante ? Qui aurait envisagé en se promenant dans mon logement que les pièces étaient extensibles et leur dimension étirables suivant l’endroit où l’on se plaçait ?

Tout est relatif et élastique, Einstein serait comblé s’il vivait encore.

Mais, ces réflexions je n’ai pu les tenir que quelques minutes avant d’être surpris dans ma torpeur indolente par la sonnerie de l’entrée et celle du téléphone. Agissant instinctivement à l’une comme à l’autre, je me suis retrouvé à l’entrée de mon appartement face à deux individus d’espèce et condition humaine, l’un masculin, l’autre féminin, de peau extérieure bleue marine, la couleur d’un uniforme d’un ordre monastique ou public dont j’ignorais jusqu’alors l’existence, qui m’ont rappelé les termes de la circulaire 234xn/jk/is56 lettre c) selon laquelle si jeudi était ravioli vendredi devait être sac bleu et papier seulement, visant ainsi la collecte des déchets et la nature des contenants. J’ai subi cette avalanche verbale tout en entendant à l’autre bout du combiné une voix céleste m’instruisant de mon obligation d’obtenir l’arrêt immédiat des nuisances sonores diurnes en lieu et place visibles et non délimitées en vertu d’un arrêté de quelque ci-devant non identifié.

Je me suis d’abord interrogé sur la santé mentale des personnes qui me parlaient ainsi avant de conclure que peut-être la mienne était atteinte. Me sentant déstabilisé par la conduite de deux actions concomitantes, l’agente me faisant face a répété en termes un peu plus clair que le vendredi les sacs poubelles devaient être bleus et que leur contenu devait être composé de papier ou équivalent seulement. Au téléphone, la voix a répété que le silence était d’or et la contravention que je recevrais sous huitaine aussi. J’ai dit aux uns comme aux autres : désolé, désolé, oui, oui, dans cet ordre ou dans un autre, peu importe.

Ils sont partis et ont raccroché, respectivement, mais pas respectueusement je dois l’admettre, et je me suis perdu dans mes pensées avant d’en ressortir avec l’ombre d’un début de compréhension. Je suis allé à la fenêtre et ai appelé mes amis qui eux ne m’ont pas rappelé. Je suis ensuite allé les chercher et lorsque tout ce beau monde s’est retrouvé gai et rafraîchi dans la cuisine, nous avons fait le point sur la situation. J’ai demandé aux uns de cesser de crier sur la place et aux autres, surtout les êtres métalliques généralement silencieux, de ne pas traîner près des poubelles, ce qui pouvait engendrer des quiproquos délicats.

Mes amis n’ont pas franchement compris mais ils m’ont promis de faire comme bon me semblerait et m’ont assuré de leur silence pour les heures à venir puis se sont retirés dans la pièce du fond précédemment mentionnée. Lorsque je leur ai demandé s’il y en avait d’autres du même style, ils m’ont simplement répondu que celle-ci était Louis-Philippe mais que les autres ils ne savaient pas.

J’ai regardé à nouveau la place au bas de mon immeuble et ai noté que des individus y avaient disposé un appareillage électronique volumineux. Une missive épistolaire, éparse et épuisante, pour les nerfs en tout cas, m’est parvenue m’informant qu’après mesure des débordements de ces dernières heures, les décibels déployés énergétiquement par mes amis avaient dépassé la limite de 60 en zone urbaine et 90 en zone agricole de type b. J’en suis ainsi pour mes frais puisque je me trouve sous le coup d’une verbalisation de 59 francs et 3 centimes, mais sous forme recommandée seulement et avec un délai de sept heures et douze minutes pour le paiement.

Vous comprendrez que dans les circonstances je me sois trouvé fort désemparé. J’ai néanmoins pris les jambes à mon cou, les ai décrochées et me suis rendu à mon tour sur la place. J’ai arraché l’appareil électronique des mains de celui qui s’y trouvait et ai hurlé quelque chose ressemblant à un chant bulgare du haut Moyen-âge. Cela ne facilitera certainement pas la résolution de la situation mais en tout cas cela m’a profondément soulagé.

Bulgarement vôtre,
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Chronique – 14


Des autruches et de leur courage et dignité

Le calme est revenu dans ma cuisine. Hier soir, le réfrigérateur, l’extincteur et le Yéti anarchiste se sont assis sur le carrelage et ont contemplé la pluie qui tombait à l’extérieur. Ils y sont encore.

Depuis hier, ils devisent sur le sujet de réflexion que je leur avais suggéré, à savoir pour quelles raisons depuis Pline l’ancien au moins on considère que les autruches sont des animaux stupides et peureux qui enfoncent la tête dans le sable lorsqu’elles sont effrayées.

Je suis rassuré par ce comportement car je dois admettre que les tensions qui sont apparues ces derniers jours et ont culminé hier sont intolérables et difficilement supportables. Elles me mettent en porte-à-faux par rapport aux dispositions légales et règlementaires telles que décrites dans les lois sur le bien-être, la liberté, les droits des humains et de leurs congénères organiques, les devoirs de retrait et les droits d’entrée, la joie et le bonheur pour tous et un peu pour toutes et que la paix soit sur le monde et ailleurs.

De fait, je dois absolument leur faire comprendre qu’en tant que co-auteurs de ces chroniques ils ont une responsabilité non négligeable sur le contenu de ce qui est diffusé, partagé ou effleuré sur le web et qu’en conséquence moins ils aborderont de sujets controversés, délicats ou sensibles et mieux nous nous porterons.

Voici donc un sujet qui ne fâchera personne et qui apportera à chacun en termes de consolidation et expansion de sa culture générale, particulière ou végétale. Dont acte.

Selon le réfrigérateur, les autruches sont des animaux courageux qui vivent en Arctique et hibernent lorsque la mauvaise saison arrive. Elles volent vers le sud une année sur deux et lorsqu’elles rencontrent des baleines elles se mettent à voler en cercle et hurler ‘Drasckh’ pour des raisons qu’elles seules comprennent. Les baleines n’ont jamais compris ce comportement, malheureusement, et de ce fait les éloignent par des jets puissants pour éviter les salissures ou des griffures sur leur dos lisse et fin. Le fait qu’elles aient été vues lors de leurs migrations de nord au sud ou réciproquement en train de se nettoyer le visage de ces embruns a été mal compris par ledit Pline qui comme chacun le sait n’a jamais mis les pieds dans le grand nord et n’a jamais vu de baleines.

Pour le Yéti, les autruches sont des animaux très chaleureux et sociables qui cherchent par tous les moyens à attirer l’attention sur les méfaits d’une vie isolée. Elles haranguent les uns et les autres et leurs suggèrent de mener une vie communautaire basée sur le contentement de soi par celui du groupe, le respect des entités animales, végétales et minérales et la pratique de l’ascèse himalayenne par les gestes et les rites prévus par le grand yéti bleu et retranscrits dans ses pensées sauvages et saines intitulées : ‘Jets et pulsions dans l’orient ancien ainsi que taille des nénuphars’. Ladite gestuelle recommande dans ses livrets 3 et 15 de baisser la tête et procéder à des ablutions à même le sol tout en criant ‘bouah, bouah !’ sept fois. Les autruches se sont conformées à ces rites mais ont payé le prix fort et Pline l’ancien qui comme chacun l’imagine ne comprenait rien aux précis himalayens a procédé à des interprétations oiseuses et hâtives sur le comportement des pauvres autruches.

Enfin, selon l’extincteur, les autruches qui sont des animaux charmants et fins, ont été choisis lors d’une migration extra-terrestre précédente, celle des xilophons, comme représentants en bonne et due forme des populations terrestres et ont appris les prémisses du dialogue intergalactique de base qui enjoint les négociateurs se rencontrant pour la première fois de baisser l’appendice le plus élevé, quel qu’il soit, vers le bas en signe de respect tout en s’embrassant, se serrant dans ce qui peut servir de bras, tentacules ou ventricules, et disant l’équivalent dans leur langue ou dialecte de ‘ami, aimer, cher, joie, bonheur, paix, volupté’ et ce avant tout coup fourré de première, deuxième voire quatrième catégorie – seule la troisième catégorie étant exclue selon les édits de Naples et Sainte Augustine-la-vive. Les répétitions nombreuses effectuées par les diplomates autruchiens sont ainsi dignes d’éloges et il n’est donc pas surprenant que les humains, en particulier le vieux Pline, n’ai rien compris à cela.

Je laisse ceci à votre réflexion tout en posant ma tête sur le sol pour apaiser mes amis. Nous sommes tous et toutes les autruches de quelqu’un, autant commencer chez soi
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Chronique – 11


DE LA NEIGE, DE LA RÉVOLUTION, DES DESPOTES ET D’UN YÉTI ANARCHISTE

La neige est tombée cette nuit et a revêtu le monde de son manteau blanc …. Arghhhh ! Excusez-moi, cela me reprend, je dois avoir mal digéré quelque chose. Bon, la neige est tombée et tutti quanti, joli, joli… Oui, je l’admets, ce matin je ne suis pas en très grande forme, c’est ainsi, ne m’en veuillez pas.

En fait, tout a commencé vers six heures du matin. Une grande agitation, des bruits crépusculaires, des sons stridents et patibulaires, un chaos en gestation dans ma cuisine. Je me suis levé en sursautant et me suis précipité vers la cuisine. En passant, j’ai noté qu’il neigeait et ai compris que tout cela provenait du réfrigérateur. Du bruit, des sauts, des cris, c’est sa manière de réagir, de partager son enthousiasme et sa joie, mais tout ceci est peu contagieux et je le lui ai dit ; Vous devez cependant commencer à comprendre que mon ami est très soupe au lait et peu enclin à s’adoucir ou s’amollir suite à mes commentaires de quelque nature soient-ils.

Cependant, ce matin les bruits étaient particulièrement gargantuesques et en pénétrant dans la cuisine je dois admettre avoir eu très peur. Le réfrigérateur sautait littéralement sur place, se jetait sur les autres occupants de la cuisine, tournait dans tous les sens et se transportait en se balançant de la cuisinière à la machine à laver la vaisselle, les deux qui en dépit de leur calme légendaire montrait des signes d’affolement. J’ai pris tout cela en main, ai crié STOP et ai tapé du pied sur le carrelage blanc. Finalement le bruit s’est arrêté et c’est alors seulement que j’ai compris que tout ce dérangement provenait d’une combinaison de l’enthousiasme frigotien et de l’agitation yétienne.

En effet, après avoir ouvert la porte du réfrigérateur, l’extincteur qui venait de me rejoindre en baillant lamentablement et moi-même avons constaté que notre ami placide et léthargique la veille avait laissé la place à un étrange personnage hirsute, trépignant, glapisseur, et hurlant, se jetant par terre pour immédiatement se relever et s’accrocher à la lampe de la cuisine avant de trépigner à nouveau. J’ai essayé de le calmer et lui ai demandé en articulant précieusement : Bonjour Hans, comment allez-vous ? Souffrez-vous d’une indisposition quelconque ? Pouvons-nous vous porter assistance ?

Et lui a répondu à peu près ceci : Grmaskzuilpla tresmara falkk gerstchn vruk plousch a kniff tre

Ceci nous a profondément interpellés. Le réfrigérateur qui entre temps avait retrouvé un peu ses esprits a doctement indiqué que notre nouvel ami souhaitait visiblement manger une tarte à la rhubarbe et aux carottes. Je lui ai rétorqué que j’avais des doutes sur cette traduction.

L’extincteur a indiqué de son côté que ces cris pouvaient signifier au choix :

Option 1 : Alerte, alerte, les extra-terrestres arrivent;

Option 2 : La neige tombe, les bombes aussi, le ciel est en ivresse;

Option 3 : Gretchen, fais-moi de la soupe ;

Là également j’ai été obligé de faire remarquer à mon ami d’habitude si posé et calme que cette interprétation laissait à désirer.

Pour ma part, j’avais l’impression que ce que notre ami singeait était tout simplement une marque affective liée à la neige qui tombait.

Cependant, notre ami, lassé par nos conjectures futiles, s’est précipité sur l’ordinateur du salon, celui-là même que la veille il avait inondé de son urine poisseuse et a tapé un message fort long. Quelques minutes plus tard, il a utilisé le logiciel de traduction Google qu’il a opéré de l’allemand vers le portugais, puis le papou, le basque et le français.

Voici le résultat :

Attention, dictateurs et philanthropes de tous pays charmants, unissez-vous les tous, profitez de ces instants privilégiés pour que vos excellences organisiez petits coups d’état démocratiques, invasions militaires humanitaires et libératrices bons sentiments, bombardements cadeaux, hausses impôts ou autres inconvénients pour peuples naïfs, moutons ou rigolos très perturbés par choses importantes comme neige, divorce fils cousin sœur Madonna, ou coiffure cousin Mathieu. Nous pas bien !

Après avoir déchiffré le texte, nous avons compris que notre Yéti était un être sensible et indigné, fortement teinté révolutionnaire.

Le réfrigérateur s’est alors précipité vers lui et a crié de la force de ses poumons électriques glacés : « Vive la révolution ». Quant à mon extincteur, il a essuyé une larme et a dit avec tristesse : « Nous pas bien ». Les trois se sont alors immobilisés et ont sombré dans un état cataleptique proche de la dépression aigue.

J’ai essayé de ranimer leur enthousiasme et ai dit : « Tout cela n’est pas faux mais innovons alors. Si les despotes aux petits et grands pieds profitent de ces moments pour parvenir à leurs fins, pourquoi les démocrates n’en feraient pas autant. Puisque nous ne pouvons pas dissoudre le peuple alors profitons de la neige, de l’été au soleil, du mariage de figaro ou que sais-je encore pour abolir la peine de mort, autoriser les mariages gays, réformer le code pénal, promouvoir les droits des femmes, virer les machistes et paranos du pouvoir et autres mesures de ce type. » C’était un peu démagogique mais je ne savais plus que faire pour calmer mes amis. J’ai même ajouté à cette liste et à leur attention la libération des zoos, la décriminalisation de la pyromanie et la généralisation des voyages aux pôles.

La petite crise s’est terminée vers 8 heures du matin avec des chants bizarres de notre Yéti préféré et des sanglots longs des extincteurs et réfrigérateurs.

Moi je me suis recouché sans penser plus avant à la révolution et ai rêvé de pingouins qui faisaient des maths.
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